L’exemple est venu de Greta Thunberg qui, le 20 août 2018, avait entamé une grève scolaire pour le climat devant le Parlement suédois. Une grève qu’elle a par la suite reconduite chaque vendredi, ce qui a fait naître le mouvement Fridays For Future et qui a incité la jeunesse mondiale à se mobiliser pour le climat. Pour preuve, de nombreuses manifestations internationales ont été organisées et suivies. On citera notamment celles de décembre 2018 (réunissant 20 000 étudiants dans 270 villes du monde), du 15 mars 2019 (30 000 jeunes ont défilé en France), du 24 mai 2019, du 20 septembre 2019 et d’autres à venir. Pourtant, au Japon, on constate au contraire que cette mobilisation n’atteint que peu la jeunesse nippone. Quelques dizaines de jeunes à Tokyo tout au plus. Mais pourquoi donc les jeunes Nippons ne se sentent-ils pas concernés par ce combat ? Poulpy a enquêté.

De fait, comme souvent au Japon, la réponse à cette question est plus nuancée que ce que les apparences laissent croire. Lors de la grève de septembre, on a pu dénombrer la mobilisation de 7,6 millions de personnes à travers 185 pays, un record à l’échelle mondiale. Au Japon, le nombre de participants s’élevait seulement à 5 000 personnes à travers le pays, dont la moitié à Tokyo. Un nombre qui peut paraître faible à première vue surtout en comparaison des 800 000 participants au Canada ou aux 1,4 million d’Allemands.

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Mais si on remet l’évènement dans son contexte national, il prend alors une autre dimension. Car au Japon, la population n’a pas – plus! – pour habitude de descendre dans la rue pour relayer des revendications. Pour les Japonais contemporains, les manifestations sont même considérées comme radicales, voir extrémistes par défaut. Raison pour laquelle on croisera très rarement des marches à l’initiative populaire mais plutôt à celle de partis politiques notoirement d’extrême-droite. Lors d’une grève au Japon, les salariés n’arrêtent le plus souvent pas le travail mais s’y rendent avec un brassard marquant leur mécontentement. Autant dire que le système tremble… La grève y est de plus souvent réduite à une demi-journée – même si cette durée a tendance à augmenter ces dernières années – et sans concertation nationale (plus d’information sur la grève au Japon).

Bref, les grèves existent bien au Japon mais ne se font que rarement dans la rue comme nous en avons coutume en France. Par ailleurs, les manifestations qui ont effectivement lieu dans la capitalise sont sous-médiatisées et se déroulent dans un calme légendaire qui n’attire aucun regard. Elles sont donc « invisibles » pour le citoyen ordinaire. C’est pourquoi les organisateurs ont été surpris de comptabiliser 5 000 participants lors de la grève pour le climat organisée en septembre dernier.

Pour cause, papport aux manifestations précédentes pour le climat, ce nombre marque une augmentation majeure de la mobilisation et donc une préoccupation croissante de la population – particulièrement les jeunes – pour le changement climatique et la sauvegarde de la planète de manière générale. Lorsque le mouvement Fridays For Future (FFF) s’est implanté à Tokyo, sa première manifestation organisée en mars 2019 n’avait réuni qu’une centaine de personnes. En mai, 250 personnes avaient répondu à l’appel soit une augmentation de 150% en deux mois ! Sous cet angle, les nombres prennent alors un autre sens…

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Avec ces éléments en tête, on comprend mieux pourquoi la mobilisation de septembre, qui a rassemblé plus de 2 800 personnes dans le quartier tokyoïte de Shibuya, peut être qualifié de succès. Les membres de FFF y voit un signe encourageant pour les manifestations à venir, celle du 29 novembre 2019 en particulier. Ils espèrent aussi qu’à l’avenir les Japonais oseront davantage s’engager publiquement en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Car dans la sphère privée, les militants de FFF déclarent ne rencontrer que rarement des proches partageant leur préoccupation pour le climat. La retenue des Japonais envers l’expression publique d’opinions politiques en étant certainement la cause.

Pourtant, à l’occasion d’un sondage en ligne réalisé en février dernier, les Japonais sondés ont été 52% à déclarer que le réchauffement et le changement climatique étaient des problèmes graves. Soit le pourcentage le plus élevé du sondage similaire effectué dans 28 pays selon l’Ipsos. Si cette inquiétude ne se reflète pas dans les marches pour le climat pour des motifs culturels, il semble que les Japonais se reposent plutôt sur les initiatives politiques locales qui se multiplient depuis quelques années. Par exemple : mettre fin aux émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 à Tokyo, la proclamation d’une déclaration d’urgence relative au climat dans la ville d’Iki pour réduire les émissions de CO2 et se concentrer sur les énergies renouvelables, des initiatives locales de transition dans certaines villes,… Et au niveau national, le gouvernement s’est engagé à réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Tenable ? À voir ! Car en dehors des engagements verbaux, les actes sont à la traîne et le Japon reste infiniment dépendant des énergies fossiles.

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Ces initiatives sont donc encore insuffisantes à l’échelle du pays. D’autant plus que les problématiques climatiques ne sont pas une priorité des politiciens japonais tant que leurs électeurs ne les poussent pas à agir dans ce sens. Le sursaut de conscience et d’action doit donc se faire au niveau de la population pour entrer un jour dans le champ politique. Malgré les mesures déclarées, les militants pour le climat dénonce un Japon encore très en retard sur la question pourtant urgente du changement climatique. Alors, la secousse salvatrice semble entre les mains de la jeunesse nippone…

S. Barret

Image : Oceanic Preservation Society / Instagram

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