La malbouffe est hélas bien ancrée dans nos habitudes alimentaires occidentales. Nous y sommes confrontés tous les jours dans le moindre supermarché où sont vendus des plats préparés et des aliments transformés industriels bourrés d’additifs. Un cocktail explosif qui n’est pas pour plaire à notre santé. Avec comme conséquence des hausses des maladies cardio-vasculaires, du diabète, du surpoids conduisant à de l’obésité. Un symbole de cette malbouffe, les fast-foods. Si en France ou aux États-Unis les enseignes n’ont pas de souci à se faire pour leur développement, au Japon, il en va autrement. Ainsi Burger King ferme en ce moment de nombreux restaurants au pays du Soleil levant. Mais les raisons ne sont pas celles que vous croyez…

Au Japon la chaîne américaine de restauration rapide Burger King compte 99 restaurants. C’est peu en comparaison de ses 13 000 établissements dans le monde dont les deux-tiers sont situés aux États-Unis. Et pourtant à la fin du mois, 22 d’entre eux auront définitivement fermé leur porte, soit un effectif de 20%, ramenant la présence de Burger King sur l’Archipel à 77 restaurants pour une population de 127 millions d’habitants. Déjà minoritaire, l’enseigne perd donc encore du terrain.

La première chaîne concurrente bien connue McDonald’s avait aussi connu des déboires quelques années plus tôt. En 2015 l’enseigne américaine avait dû se résoudre à fermer 190 restaurants et à mettre à la retraite anticipée 15% du personnel de direction. La faute à une baisse des ventes de 29% et de la clientèle de 23%. En 2014, l’entreprise avait affiché un déficit record de 38 milliards de yen ! Malgré tout, les Japonais restent les seconds plus gros consommateurs de McDonald’s, après les Américains évidemment. Un paradoxe économique difficilement tenable à long terme.

Toutes les calories journalières dans un burger. C’est l’apport du marketing US au Japon ! Source : flickr

Comment alors expliquer cette fermeture de fast-foods Burger King au Japon si la concurrence n’est pas écrasante ? À première vue, on est nécessairement tentés de croire que l’alimentation japonaise traditionnellement saine est en opposition avec la culture des fast-foods à malbouffe. Et pourtant, cette logique peine à convaincre quand on y regarde de plus près. Il faut savoir que les fast-foods sont très bien implantés sur le territoire nippon mais sous des formes multiples avec un large éventail concurrentiel. Plusieurs enseignes étrangères ET locales s’y livrent une concurrence sans pitié, avec un taux d’ouverture/fermeture record, ce qui explique en partie la perte de 251 millions de yen subie par Burger King pour l’année 2017.

Culture de la rapidité oblige, il existe de la restauration rapide pour tous les goûts au Japon : du burger naturellement, mais aussi pour tous les plats traditionnels : sushis, ramen, bento, etc… Un visiteur étranger n’aura d’ailleurs pas forcément le sentiment de se trouver dans un fastfood en entrant dans une de ces enseignes. Si bien que la restauration traditionnelle s’y confondrait presque. Le marché est à ce point concurrentiel et saturé que la moindre mauvaise décision (nouveaux plats peu attirants pour la population locale, mauvaise campagne publicitaire) peut rapidement conduire une enseigne à perdre une grosse partie de sa clientèle au profit de ses nombreux concurrents aux offres tout aussi alléchantes. Rappelons enfin que le prix d’un menu au Burger King est souvent plus élevé qu’un repas complet dans le premier restaurant japonais venu !

Puisque le client a l’embarras du choix, il est particulièrement facile d’aller pousser la porte d’un établissement voisin qui semble plus attirant. À noter que les petits restaurants « familiaux » que l’on trouve dans les ruelles et où l’on déguste encore de la véritable cuisine japonaise peinent malgré tout à résister aux mastodontes du secteur capables de dépenser des millions en campagne publicitaire et d’attirer autant de consommateurs. Tout comme pour les konbinis qui remplacent les commerces locaux, les fastfoods japonais et autres « family restaurants » ont tendance à grignoter les enseignes traditionnelles, surtout autour des gares.

On est loin de la saine gastronomie japonaise… Source : flickr

Une histoire d’amour moderne

Les fast-foods ont tissé leur toile sur l’Archipel après la Seconde Guerre Mondiale avec l’occupation américaine du Japon qui y a importé de nombreux éléments de la culture occidentale toujours présents aujourd’hui. Et avec le développement fulgurant de l’économie japonaise dans les années 70, les salarymen et les ouvriers ont de plus en plus pris le chemin des fast-foods pour rapidement avaler leur déjeuner pendant leur courte pause de midi. C’est également ce phénomène qui a fait le succès des fameuses « cup noodles » : prendre beaucoup de calories rapidement et retourner travailler tout aussi vite. Une tendance toujours actuelle et qui concerne également la jeune génération qui a été baignée par la culture occidentale. Et en a adopté les codes de malnutrition. Il est d’ailleurs à ce titre de moins en moins rare de croiser des japonais en surpoids.

La culture du bentô, ce panier-repas froid à la composition équilibrée fait maison, a été partiellement délaissée au profit des fast-foods ou des plats préparés industriels dans les kombini, prêts à consommer, riches en glucides. L’occidentalisation de l’alimentation japonaise – qui remonte à l’ère Meiji – a aussi amené les Japonais à augmenter leur consommation de viande. Alors que l’alimentation japonaise traditionnelle se basait principalement sur le poisson, le riz, le soja, les légumes et de nombreux végétaux, l’ouverture à la culture occidentale a mis dans les assiettes japonaises viandes rouges et produits laitiers qui leur étaient jusque là très peu connus (sauf exceptions régionales) et dont la consommation excessive n’est pas sans risque à long terme. On trouve aujourd’hui des « steak-house » partout au Japon, en particulier la chaîne Ikinari qui permet de manger un steak au poids, debout, en quelques minutes.

Manger un steak de 400 gramme debout en mode fast-food ? Possible au Japon…

Avec ce changement radical de leur alimentation et l’augmentation conjointe de la part de produits industriels transformés, les Japonais ont vu, à l’instar des pays occidentaux, augmenter le nombre de maladies cardio-vasculaires, de diabète et de surpoids. Par manque de temps, ou tout simplement par manque d’envie, il est très facile de se nourrir au Japon sans jamais cuisiner, les konbini, family-restaurants et fast-foods offrant une vaste gamme de produits et de plats prêts à consommer pour un prix défiant toute concurrence, mais dont la qualité laisse à désirer. En résumé, on peut affirmer que les « bonnes » habitudes alimentaires se perdent petit à petit au Japon.

Par conséquent, même si quelques restaurants Burger King ferment leurs portes, structurellement, la malbouffe continue de bénéficier d’un boulevard d’opportunités au Japon. Et à terme risquent de se profiler de sérieux problèmes de santé publique autant qu’une participation accrue au désastre climatique généré par la consommation industrielle et carnée. Depuis 2008, les employeurs ont l’obligation de faire suivre médicalement leurs employés en surpoids. Une loi votée suite à l’augmentation du surpoids proche de l’obésité touchant alors 28,6% des hommes et 20,6% des femmes ! Et si les habitudes des Japonais continuent sur cette voie, la situation ne pourra que s’aggraver pour prendre le même chemin que celui des États-Unis… le tout dans un contexte paradoxal où les personnes en surpoids sont largement discriminées.

S. Barret


Pour un média libre et indépendant sur le Japon, soutenez Poulpy sur Tipeee !