Au Japon, le début du printemps est traditionnellement annoncé par l’éclosion des fleurs de cerisiers. C’est l’un des moments de l’année le plus attendu des Japonais qui se rendent par milliers dans les lieux les plus réputés pour les admirer et pique-niquer à leur pied. Néanmoins, cette année dans la péninsule d’Izu, les cerisiers déjà précoces de Kawazu (préfecture de Shizuoka) ont décidé de déployer leurs pétales en avance sur la saison habituelle.
Fleur fétiche du Japon entre toutes, sakura est sans aucun doute un des mots les plus connus des étrangers aux cotés de samouraï, sushi, geisha… Au Japon le mot sakura a d’ailleurs fini par désigner aussi bien le cerisier que sa fleur même. Elle était l’emblème des samouraïs pour qui elle symbolisait le caractère éphémère de leur existence, beaucoup étant fauchés par la mort en pleine jeunesse, tout comme cette fleur qui perd rapidement ses pétales avant même de retourner poussière. Car entre l’éclosion des bourgeons et la chute de ses délicats pétales, les fleurs ne restent pleinement épanouies qu’à peine le temps de quelques jours.
Chaque année, la floraison des cerisiers est patiemment attendue, surveillée avec attention. La population est tenue informée de son avancée par des bulletins météorologiques télé, radio ou des sites internet dédiés. Dès que le pic de floraison est atteint, les Japonais envahissent les parcs pour faire la fête, boire, manger, s’amuser en famille, entre amis ou entre collègues. Les lieux les plus réputés sont pris d’assaut et il faut parfois se lever tôt pour réserver une place et profiter pleinement de ce moment de détente durant lequel la hiérarchie sociale, parfois lourde au Japon, est abolie.
La tradition de se rassembler pour admirer les cerisiers en fleurs, appelée Hanami 花見, trouve ses racines aux débuts de l’ère Edo (1603-1868), lorsque le shogun Yoshimitsu Tokugawa, amoureux des cerisiers, en fit planter dans tout le pays. A l’origine réservée à l’aristocratie, elle s’est progressivement implantée dans toutes les couches la société qui y voyait également une des rares occasions de mettre de coté les stricts codes sociaux instaurés par le shogunat.
Si la floraison bat son plein entre la fin mars et la mi-avril dans les régions très touristiques de Kyoto et Tokyo, on oublie souvent que la saison du Hanami s’étale en fait sur plusieurs mois en raison des différents climats parcourant un archipel, on le rappelle, long de plus 2000 kilomètres du nord au sud. Le phénomène débute dès la fin janvier à Okinawa et se poursuit jusqu’au mois de mai à Hokkaido.
L’une des premières régions à voir les cerisiers fleurir chaque année est Kawazu, une petite ville située dans la préfecture de Shizuoka, à environ deux heures de Tokyo en train. Les cerisiers de Kawazu sont connus pour leur floraison précoce, et il n’est pas rare de les voir fleurir dès le début du mois de février. Cela tient à la variété locale de cerisiers, le Kawazu-zakura, qui a donné son nom à la ville. Elle a pour particularité de fleurir plus tôt et plus longtemps que le Somei yoshino (le cerisier le plus répandu au Japon, parmi pas moins de 400 espèces). Chaque variété de cerisier possède une teinte toute particulière, allant du simple blanc au rose foncé en passant par le rose pâle du Somei yoshino. La fleur du Kawazu-zakura possède une teinte rose vif et les arbres peuvent atteindre 10 mètres de haut.
Parmi les autres espèces de cerisiers présentes au Japon, on peut couramment trouver le Yamazakura (cerisier sauvage des montagnes, souvent utilisé pour la fabrication de bois d’œuvre) et le Satozakura (cerisier de village, cultivé pour ses fleurs ornementales). Sont aussi appréciés pour leur beauté les variétés Kanzan (aux dizaines de pétales), Shidarezakura (cerisier pleureur), Kanhizakura (cerisier d’Okinawa), Edohigan (à la floraison précoce) et Ukon (de couleur jaune).
Cependant, cette diversité est menacée par la tendance actuelle à privilégier les variétés les plus productives et les plus résistantes aux maladies. Cela a entraîné une réduction de la diversité génétique des cerisiers, car les producteurs ont tendance à se concentrer sur un petit nombre de variétés populaires. Certaines variétés rares et anciennes ont disparu, victimes de cette sélection. Les producteurs sont souvent plus intéressés par la productivité et la rentabilité que par la préservation de la diversité génétique et culturelle des cerisiers. Pour pallier à ces manquements et préserver ce patrimoine naturel, des initiatives ont vu le jour : des associations de conservation ont été créées pour sauvegarder et perpétrer les variétés de cerisiers menacées. Des gouvernements locaux ont également lancé des programmes pour encourager les agriculteurs à cultiver des variétés rares et à les faire connaître auprès des citoyens.
Le Kawazu-zakura Matsuri (le festival des cerisiers de Kawazu) 河津桜祭り dure environ un mois, généralement de la mi-février à la mi-mars, mais les dates exactes sont ajustées chaque année selon l’avancement de la floraison. On les retrouve sur le site officiel du festival avec toutes les informations nécessaires pour préparer sa venue et se rendre sur place. Pour l’année 2023, il a commencé le 1er février dernier et se tiendra jusqu’au 28. Durant cette période, les rues de la ville sont décorées avec des lanternes en papier, on installe des stands de nourriture et de souvenirs.
Un des lieux les plus prisés de la ville est la rivière Kawasu longue de 3,5km, dont les berges sont plantées de 8 000 cerisiers qui fleurissent progressivement. Il est possible d’y naviguer en bateau pour en embrasser des dizaines d’un seul regard. Selon ses goûts, on s’émerveillera sous les cerisiers pleinement éclos ou ceux qui laissent déjà échapper une pluie de pétales (le sakura fubuki). Les amoureux se laisseront tenter par la promenade en train miniature à travers un tunnel de sakura dont ils frôleront les fleurs.
Outre le festival des cerisiers, Kawazu est également connue pour ses sources chaudes populaires auprès des touristes. On peut ainsi se détendre dans un onsen tout en profitant d’une vue magnifique sur les cerisiers en fleurs.
Des illuminations nocturnes permettent de continuer à profiter de ce fabuleux spectacle une fois la nuit tombée. À seulement deux heures de train de Tokyo, le festival attire chaque année un million d’adorateurs des sakura ! Ces images vous offrent un avant goût de cet émerveillement.
S. Barret
Source de l’image d’en-tête : flickr