Il y a quelques mois, « Le Jeu de la dame » réussissait le tour de force de rendre visuellement passionnant une partie d’échecs. Son pendant japonais, le shōgi, subit un traitement similaire dans « March comes in like a Lion », un animé qui sort des sentiers battus et qui suit les tourments d’un jeune joueur professionnel aux prises avec ses traumatismes.

Le manga sportif est un genre en lui-même au pays du soleil levant. De Slam Dunk à Captain Tsubasa (Olive et Tom en France) en passant par Eyeshield 21 ou Prince of Tennis, certaines œuvres ont même traversé les frontières nippones pour connaître un succès international.

D’autres mettant en scène des spécialités 100% japonaises ont permis également de mettre en lumière des sports que l’on connaît moins sous nos latitudes. Hikaru no Go traite par exemple, avec beaucoup de talent, du jeu de Go, là où Hinomaru Sumo se focalise sur un des plus gros symboles culturels du pays : le sumo.

Autre fleuron du patrimoine de l’archipel, le shōgi a lui aussi droit à son œuvre consacrée avec March comes in like a Lion, dont l’adaptation en animé est disponible sur Netflix.

March comes in Like a Lion : the shōgi must go on

March comes in like a Lion est l’adaptation du manga du même nom, écrit et dessiné par Chica Umino.

On y suit le quotidien de Rei Kiriyama, lycéen de 17 ans et prodige du shōgi. Réservé et très timide, il vit seul dans un appartement de Tokyo et s’exerce sans relâche à devenir le meilleur possible dans son domaine. Il n’a aucune autre distraction et y consacre chaque moment de cette vie marquée par un grand isolement.

Il n’a qu’un seul ami, Harunobu, autre joueur de shōgi de son âge, et encore, ce dernier a autoproclamé cette amitié qui, au départ, est surtout vraie dans un sens.

Il faudra à Rei une rencontre avec les trois sœurs Kawamoto pour que son horizon s’élargisse à autre chose que le jeu. Son approche un peu robotique de l’existence va changer et laisser place à une empathie qui va troubler le jeune garçon autant dans sa vie que dans sa façon de jouer.

Un petit air de hollandais

Le manga était déjà une œuvre très soignée que ce soit dans le cadre ou le trait des dessins. Le contemplatif a sa place toute trouvée dans les pages de la version papier. Cette délicatesse dans le traitement graphique, on la retrouve également dans cette adaptation en animé qui en transcende davantage encore la beauté puisqu’elle y rajoute de la couleur.

Et quel plaisir pour les yeux ! Le spectateur découvre des plans qui s’apparentent à des tableaux peints à la gouache et qui rappellent, par certains aspects et encore plus lors des scènes de nuits en extérieur, le style tourbillonné de Van Gogh que l’on peut retrouver, par exemple, sur La Nuit étoilée.

Un animé qui s’inspire d’un des plus grands peintres de l’histoire, voilà qui est déjà une surprise en soi et attendez-vous à parfois mettre pause lors de votre visionnage de March comes in like a Lion pour simplement profiter de la beauté de certaines compositions.

La mise en scène joue des métaphores pour nous montrer l’état d’esprit de Rei, qu’il se noie dans l’océan ou tente d’avancer contre le vent. Ces séquences sont très poétiques et réussies, en plus de donner une vraie personnalité à la série. Néanmoins, si elles désarçonnent et touchent en plein cœur dans les premiers épisodes, elles ont tendance à un peu trop se répéter dans la saison 2 et finissent, hélas, par lasser le spectateur, même si elles sont toujours un vrai régal pour les yeux.

Sur le plateau de la vie

March comes in like a Lion est une série sur la solitude et l’amitié, et le shōgi est loin d’être toujours au premier plan. Sachez dès le départ que vous n’êtes justement pas dans un shonen comme les autres et, même si les matchs sont présents, ils ne constituent pas la plus grande partie de l’histoire.

Pour le profane, difficile de vraiment y voir une opportunité d’apprendre à jouer à cet équivalent japonais des échecs occidentaux. Toutefois, la tension des matchs est magnifiquement retranscrite et le « Tac » qui retentit quand chaque joueur pose une pièce sur le plateau claque comme un véritable coup de poing à l’adversaire.

Si nous suivons avec grand plaisir la carrière de Rei, la série se concentre principalement sur son cheminement psychologique, lui qui s’ouvre peu à peu aux autres et qui voit son monde grandir. Ce besoin d’émancipation -qu’il ne se connaissait pas lui-même- le fait se questionner sur son activité de joueur de shōgi. Est-il vraiment passionné par ce jeu ou n’est-ce qu’un palliatif à cette solitude qui l’a toujours entouré ? La série est une plongée dans les tourments de Rei qui apprend petit à petit qu’il ne peut pas réagir dans la vie avec cette même froideur tactique qui le rend pourtant si redoutable face à un plateau de shōgi.

La série signe également un instantané intéressant du Japon d’aujourd’hui. On y traite de sujets contemporains comme le harcèlement scolaire, les difficultés à joindre les deux bouts quand on est une femme dans cette société, et celles de continuer à faire vivre les traditions.

L’animé n’en oublie pas pour autant de vous faire rire et les séquences délirantes surgissent souvent sans prévenir. Le contraste avec celles plus mélancoliques rend ces éruptions de folie encore plus fortes et vous vous amuserez également beaucoup en regardant la série.

Mention spéciale aux trois chats gourmands de la famille Kawamoto qui nous réjouissent de leurs pensées et de leur style kawaï à souhait. Difficile également de résister à Momo, la plus jeune des sœurs, petite boule d’énergie et source inépuisable de câlins pour Rei qui n’a pourtant pas trop l’habitude d’en partager.

March comes in like a Lion est une très belle série avec ce sujet original qu’est le shōgi en toile de fond, en plus d’être absolument sublime dans sa direction artistique et sa mise en scène. Les rires répondent aux larmes et le spectateur ne peut que s’attacher aux personnages de Rei et des membres de la famille Kawamoto.

Un petit conseil d’ami : si vous voulez l’apprécier à son maximum, n’enchaînez pas les épisodes afin d’éviter ce sentiment de redondance qui peut naître si, comme votre serviteur, vous regardez l’intégralité des 44 épisodes en l’espace de 15 jours.

Les deux premières saisons sont disponibles sur Netflix. Couvrant les 9 premiers volumes sur les 15 que contient jusqu’à présent le manga original, on espère voir un jour arriver une saison 3 pour poursuivre les aventures de Rei avec lui et découvrir où son amour du shōgi le mènera. La version papier est éditée en France par Kana.

Stéphane Hubert


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