Dans la liste des shows venus du Japon disponible sur Netflix, « Rouge éclipse » fait le choix audacieux de mélanger un sujet sociétal important comme le harcèlement scolaire – une véritable problématique de société qui pousse des centaines de japonais au suicide chaque année – avec la science-fiction. Si la série n’est pas exempte d’imperfections, loin de là, elle offre un regard inédit et original sur la problématique du « bullying » au Japon, problématique systémique qui emporte les vies de nombreux jeunes japonais chaque année.

Rouge éclipse est l’adaptation du manga en trois tomes du même nom, édité en France en 2016 chez Akata.

L’histoire commence avec la lycéenne Ayumi Kohinata. Mignonne, gentille, aimée de ses camarades comme de ses parents, sa vie semble idyllique. Alors qu’elle se prépare pour son premier rendez-vous amoureux avec son ami d’enfance Koshiro, tout semble allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pourtant, elle reçoit un appel téléphonique troublant de sa camarade de classe Zenko Umine qui lui annonce qu’elle va se suicider. Ayumi lève la tête et découvre la jeune fille en haut d’un bâtiment alors qu’une lune rouge brille dans le ciel. Zenko saute et s’écrase sur le sol alors qu’Ayumi perd connaissance. A son réveil dans une chambre d’hôpital, cette dernière découvre qu’elle a échangé son corps avec celui de Zenko.

Pourquoi ? Comment ? C’est ce que nous apprendrons durant les 6 épisodes d’une durée comprise entre une demi-heure et trois quarts d’heure que comporte cette série produite par Netflix en 2018.

Fluorescent adolescent

Rouge éclipse montre les doutes permanents qui résonnent dans les cerveaux des adolescents, peut-être encore plus chez les Japonais qu’ailleurs. Car même si tout le monde porte le même uniforme, les quotidiens de chacun sont bien différents, que ce soit au lycée ou dans les foyers.

Zenko, de par son physique un peu rond et non conventionnel selon les critères japonais, est victime de harcèlement au lycée. Les seules fois où l’on fait attention à elle, c’est manifestement pour se moquer d’elle. Alors vivre dans le corps de la très parfaite et vénérée Ayumi est une revanche qu’elle prend sur sa propre vie. Mais tout n’est finalement pas si simple, comme elle l’apprendra très vite…

Attention ! La suite de l’article contient quelques spoilers sur l’intrigue !

L’amitié dans la peau

En effet, dans Rouge éclipse, personne ne sait vraiment comment il doit se comporter dans la vie. Même une fois dans le clan des « nantis » , il est compliqué pour Zenko de se sentir heureuse alors qu’elle voit son « double » s’en sortir finalement mieux qu’elle dans son propre rôle, juste par sa beauté intérieure et son ouverture d’esprit.

Mais elle peut compter sur le soutien de Kaga qui va néanmoins souffrir indirectement de la situation. Car Zenko, même habitée par l’âme d’Ayumi, est en effet toujours moquée pour son physique au lycée, mais aussi en dehors. Quand elle se promène avec Kaga dans la rue, le couple entend les passants s’étonner qu’un garçon normal puisse sortir avec une fille avec un physique moins glamour. La série nous rappelle à quel point l’opinion des autres pèse encore très lourd au Japon.

La vraie Zenko dans le corps d’Ayumi ne sait pas trop comment se comporter avec ses camarades à cause des trop nombreuses années passées à se faire harceler partout où elle va. Même chez elle, élevée par une mère célibataire qui ne le lui montre aucun amour et passe ses nuits à jouer au Pachinko, elle subit de trop lourds traumatismes qui font qu’elle ne supporte pas sa nouvelle vie auprès des parents attentionnés d’Ayumi.

Zenko s’aperçoit que son amour n’est pas suffisant pour Kunichi qui semble pourtant lui aussi avoir tout pour lui. Il est plutôt beau garçon, a la copine parfaite, est fort en sport et dans toutes les matières scolaires. Pourtant, au fond de lui, c’est aussi de la jalousie qu’il ressent pour Kaga qui est très populaire auprès de ses camarades de classe. Tous observent leur vie à travers le miroir des autres.

Si les deux premiers épisodes sont un peu laborieux, c’est vraiment dans le troisième opus, avec l’arrivée du personnage de Maria (Hisada Riko), adulte qui a elle aussi changé de corps, que les enjeux prennent un peu plus de profondeur. Chacun est prêt à tout pour se sentir mieux, même si cela signifie détruire la vie des autres et dire au revoir à celle que l’on mène. La jalousie est partout et explose dans les cœurs de ces adolescents mal dans leur peau, au sens propre comme au figuré.

On y trouve aussi de belles surprises comme la perruche, anecdotique dans les premiers épisodes, et qui deviendra presque un personnage principal dans la suite. Une des seules cautions comiques de la série qui se veut sérieuse et parfois éprouvante.

Le choc des images

La série parle du mal-être de jeunes gens et n’hésite pas à montrer de nombreuses images de suicide qui ne cachent rien. Autant prévenir que certaines séquences (en plus souvent répétées) pourront choquer les spectateurs autant par le traitement visuel que la bande-son qui l’accompagne. Rouge Eclipse est d’ailleurs déconseillé au moins de 16 ans et cela se comprend aisément.

Kiyohara Kaya et Tomita Miu, qui jouent respectivement Ayumi et Zenko (et vice et versa), s’en sortent très bien dans tous les registres du haut de leur 15 et 17 ans. Bizarrement, les acteurs qui jouent leurs acolytes masculins sont beaucoup plus âgés même si ça ne se remarque pas du tout à l’écran. Shigeoka Daiki (Kaga) et Kamiyama Tomohiro (Koshiro) avaient en effet 25 ans au moment du tournage et font tous les deux partie du groupe Johnny’s WEST.

La réalisation de Hiroaki Matsuyama est assez plan-plan mais le thème (et probablement le budget) n’en demandait pas plus. Reste quelques belles scènes qui profitent de la lumière de la lune rouge pour prendre des teintes pourpres du plus bel effet.

Un seul bémol qui pourra gâcher le visionnage de la série, c’est cette musique omniprésente qui souligne absolument toutes les émotions et qui gâche assez souvent les séquences, faisant parfois confondre ce drama avec un mauvais animé. Ce qui est vraiment dommage parce que le jeu des acteurs est plutôt solide et n’avait pas besoin de cette piqûre de rappel musicale incessante pour surjouer des émotions tout à fait compréhensibles.

En résumé, Rouge Eclipse n’est peut-être pas mémorable mais son intrigue est assez bien ficelée pour vous tenir en haleine jusqu’à son dénouement. On soulignera cette façon originale de traiter le thème du harcèlement scolaire et la difficulté de s’accepter tel que nous sommes par le prisme du paranormal. Le message final est finalement un peu « bateau » mais universel : on peut tous devenir la meilleure version de nous-même si l’on s’ouvre aux autres. Et c’est peut-être ce qui reste le plus difficile à faire chez les jeunes japonais : être pleine soi-même dans une société qui nous invite à finalement être tous les mêmes.

Avec ses 6 épisodes, la série disponible sur Netflix vous occupera deux bonnes soirées que les fans de dramas japonais ne regretteront pas.

Stéphane Hubert


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