Quelques années après la médiatique affaire Lucie Blackman, le Japon allait être encore une fois le théâtre du meurtre d’une ressortissante britannique. Avec comme particularité un assassin aux mille visages, qui fut l’homme le plus recherché du Japon pendant 2 ans et 7 mois. Récit d’un crime médiatique hors norme au pays du Soleil-Levant.

Soutenez Mr Japanization sur Tipeee

Lindsay Hawker était une jeune Britannique d’à peine 22 ans. En 2007, cette jeune femme rayonnante réalisait le rêve d’une vie, celui d’enseigner l’anglais, sa langue maternelle, au Japon. Et il faut dire que le choix de la destination fut plus que judicieux. En effet, nombreux sont les jeunes Japonais à vouloir maîtriser la langue de Shakespeare. Il est donc très courant que les étrangers se retrouvent à occuper ce type d’emploi. Et pour Lindsay, plus qu’un simple job alimentaire, c’était une véritable vocation.

Malheureusement, une ombre devait apparaître dans ce tableau tant idyllique. Une ombre qui emportera avec elle l’âme rayonnante d’une femme de tout juste 22 ans. Et cette ombre, comme dans toutes les affaires de meurtres, dispose d’un état civil : Tatsuya Ichihashi.

Mais qui est donc Tatsuya Ichihashi ?

Un biais courant de la psyché humaine est de donner des traits monstrueux aux monstres qui nous entourent. Ou bien de tenter de justifier leurs actes incompréhensibles par une vie de carences émotionnelles, affectives, ou un contexte de violence. Et les exemples sont légion. Dans le cas de la très célèbre affaire du tueur en série américain Ted Bundy, énormément de personnes avaient peine à croire qu’un homme aussi charmant et éduqué ait pu connaître des crimes aussi horribles. Mais dans le cas de l’individu dont nous allons vous parler aujourd’hui, rien ne semblait le prédestiner à une vie criminelle.

Tatsuya Ichihashi est né le 5 janvier 1979 dans la préfecture de Gifu où il passera une partie de son enfance avant de s’établir avec sa famille dans la préfecture de Chiba. Très peu de données sont connues sur son passé, mais l’individu grandit dans une famille sans difficultés particulières.

En effet, ses deux parents exerçaient la médecine. Probablement influencé par l’exemple parental, Tatsuya Ichihashi tentera d’entrer pendant 4 ans à l’université de médecine de Chiba, mais sans succès. Résigné, il décida de se tourner vers des études d’horticulture à l’université de Chiba. En somme, un parcours relativement classique, comme il en existe des millions à travers le monde.

Malgré l’obtention de son diplôme en 2005, il ne réussit pas à trouver de travail dans sa branche. Toutefois, grâce à la situation socio-économique familiale, il vivait alors dans un appartement appartenant à ses parents. De plus, ceux-ci le maintenaient financièrement, lui allouant une enveloppe mensuelle de 100 000 yens. Un montant bien plus que confortable à l’époque pour qui n’a point de loyer à payer.

Ses parents, soucieux de l’aider à atteindre une autonomie et une réussite professionnelle, décidèrent alors de lui payer des cours d’anglais. Mais ce fut un échec cuisant. C’est alors que, las de son incapacité à s’intégrer à la société, son père décida de lui couper les vivres.

C’est dans ce contexte que Tatsuya Ichihashi rencontra Lindsay Hawker, qui deviendra peu de temps après la victime d’un monstre à l’apparence ordinaire.

La rencontre

Malheureusement, le stalking au Japon est monnaie courante. De nombreux témoignages, ainsi que nos expériences personnelles d’expatriés, renforcent un constat extrêmement alarmant : il n’est pas rare que des femmes se fassent suivre, stalker, notamment une fois la nuit tombée.

Et c’est précisément ce que fit Tatsuya Ichihashi quand il aperçut Lindsay Hawker le 20 mars 2007 devant la station de métro de Gyotoku à Tokyo. Fasciné par la beauté de la jeune femme, celui-ci entreprit de la suivre jusqu’à son domicile.

Arrivé au pied du bâtiment, il parvint à la rattraper. Il prétexta avoir besoin d’un verre d’eau afin de s’approcher de sa future victime. Dans un premier temps, Lindsay hésita… Mais après tout, se dit-elle probablement, « mes colocataires sont tous à la maison ». Une pensée qui lui coûtera la vie quelques jours plus tard.

C’est ainsi que Lindsay accéda à la requête de cet inconnu. Afin de la remercier et dans un geste de mise en confiance, Tatsuya, qui avait un certain talent de dessinateur, dressa son portrait. Pensant qu’il ne s’agissait que d’un jeune homme maladroit et inoffensif, la jeune femme accepta d’échanger ses coordonnées afin de lui donner des cours d’anglais. C’est ainsi qu’ils convinrent d’un rendez-vous 5 jours plus tard, le 25 mars 2007.

Un meurtre d’une barbarie inimaginable

Nos deux protagonistes se retrouvent donc dans un café de Gyotoku. Le cours se passe normalement. Jusqu’au moment de se quitter, où Tatsuya feint avoir oublié son portefeuille à son domicile. Une excuse afin d’attirer la jeune femme jusqu’à chez lui. Ils prirent un taxi jusqu’à son domicile. Cordialement, il invita Lindsay à rentrer dans son appartement. Suspicieuse, Lindsay accepta mais resta sur ses gardes… C’est malheureusement la dernière fois que la Britannique fut aperçue en vie par les caméras de vidéosurveillance de la résidence.

Une fois à l’intérieur de l’appartement, l’individu feignit de chercher son portefeuille afin de régler sa leçon, puis agressa Lindsay physiquement. Il la maîtrisa, l’attacha, puis la viola. Le supplice de sa victime se prolongera de nombreuses heures. Il la plaça attachée dans sa baignoire et continua à l’agresser soit physiquement, soit sexuellement pendant plusieurs heures. Le calvaire dura à 10h jusqu’à 3h du matin, le 26 mars.

Dans un effort désespéré, Lindsay parvint à se détacher et tenta de s’enfuir. Pris par la peur d’être découvert, Tatsuya étrangla sa victime, la privant ainsi de la vie au jeune âge de 22 ans. Mais il restait un problème que Tatsuya devait résoudre afin de ne pas être pris : comment se débarrasser d’un corps dans une métropole tentaculaire comme Tokyo ?

C’est ainsi qu’il se rendit dans une quincaillerie afin d’acquérir plusieurs kilos de billes d’argile, du terreau, un accélérateur de décomposition des matières organiques, profitant sans doute de ses connaissances en horticulture. Il plaça la baignoire sur son balcon et recouvrit le cadavre de sa victime avec ses achats, dans le but de le dissimuler et de masquer l’odeur.

L’école pour laquelle travaillait Lindsay s’aperçut très vite de l’absence de celle-ci, deux jours plus tard. Elle qui était connue pour son assiduité et pour l’amour de son métier n’avait plus donné signe de vie depuis près de deux jours. Ses colocataires commencèrent eux aussi à s’inquiéter de cette disparition particulièrement préoccupante. En s’appuyant sur les témoignages des proches de la victime, la police parvint le jour même à identifier un suspect : Tatsuya Ichihashi. Le temps pressait : dans les cas de disparition, les premières heures sont cruciales.

Les forces policières décidèrent donc d’encercler le bâtiment afin de procéder à la perquisition et à l’éventuelle détention du suspect. Ils frappèrent à la porte aux alentours de 21h le 28 mars 2007. Mais Tatsuya les avait repérés. Athlétique et sportif, il parvint à s’échapper malgré l’importante présence policière.

La police entama son travail de perquisition et découvrit le corps de Lindsay dans la baignoire sur le balcon. Dans l’appartement, ils trouvèrent des éléments qui ne faisaient aucun doute sur la culpabilité du fugitif : des cheveux coupés conservés dans un sac plastique, un préservatif contenant l’ADN des deux individus. L’autopsie conclura à une mort par strangulation avec des traces de violences pré-mortem. Le corps était attaché et présentait de nombreuses ecchymoses, des traces de violence sexuelle.

Devant l’horreur de la découverte, il restait un énorme problème à régler : le suspect était en fuite. Une fuite qui marquera le début de deux ans de cavale, dans le pur style du tueur en série Akira Nishiguchi dans les années 60. Mais avec un détail bien plus moderne qui fera entrer l’assassin dans l’histoire des pires criminels du Japon.

Une cavale… et de la chirurgie esthétique

Comme dans le cas de Lucie Blackman dont nous vous avons déjà conté l’histoire ici même, l’affaire prit une immense tournure médiatique. Très vite, les autorités britanniques s’impliquèrent dans l’affaire et commencèrent un véritable travail de coopération entre les deux pays.

Le temps pressait. Nul ne pouvait prédire la dangerosité de l’individu, ni où il se trouvait. Une récompense de 1 million de yens fut offerte à quiconque pourrait aider les autorités à parvenir à la capture de l’individu. Et deux ans après le début de la cavale, la récompense fut portée à 10 millions de yens. C’est dire à quel point Tatsuya Ichihashi était devenu un véritable fantôme… À tel point que nombreux furent les enquêteurs et experts à envisager l’hypothèse d’un suicide du criminel comme étant l’explication la plus probable à sa disparition totale des radars. Ils avaient tort.

Ichihashi était plus que déterminé à échapper à une condamnation. Sa cavale commença par l’abandon de toutes ses affaires personnelles. Il changea ses vêtements contre des habits trouvés dans une poubelle afin de ne pas pouvoir être reconnu. Puis, il vola un vélo abandonné comme il en existe des milliers dans les rues japonaises (NDLR : sans rire, n’y touchez pas, c’est un délit avec de graves conséquences au Japon et nombreux sont les étrangers à en payer les conséquences).

Puis il réalisa l’impensable : modifier son apparence physique par lui-même. Il entra le soir même de son crime dans des toilettes publiques et, face au miroir, il rétrécit ses narines à l’aide de fil et d’une aiguille. Puis, il affina sa lèvre inférieure en la mutilant à l’aide d’un cutter. Enfin, il s’arracha deux grains de beauté du visage.

Son périple à travers le Japon le conduisit pendant de nombreuses années à se déplacer de préfecture en préfecture sans jamais s’arrêter. Du nord au sud, en passant par l’est et l’ouest, par les îles… Tout l’archipel fut visité par Ichihashi. Son modus operandi était le suivant : trouver un emploi sous une fausse identité, utiliser l’argent pour financer des opérations de chirurgie esthétique dans des cliniques peu regardantes, puis s’enfuir afin de ne pas être reconnu.

Soucieux de brouiller les pistes, il aurait envoyé des mails à quelques amis au début de sa cavale afin de désorienter les enquêteurs. Il informait ses amis de sa visite prochaine dans leurs villes. Pendant sa cavale, il passa par le quartier le plus pauvre du Japon, Nishinari, dont nous avons déjà parlé dans l’un de nos articles. Le lieu parfait pour passer inaperçu parmi les oubliés de la société japonaise.

Malheureusement pour lui, la stratégie se montra infructueuse et il dut continuer son périple, se déplaçant sans cesse. Le tout, bien sûr, en continuant l’automutilation et de financer des opérations pour modifier de plus en plus son apparence originelle. Au point de devenir quasiment méconnaissable.

Probablement pris de remords, il entama un pèlerinage expiatoire en parcourant à pied le pèlerinage de Shikoku, au départ de Takamatsu en direction de Kagawa. Mais très vite, le long du trajet, il rencontra de plus en plus d’avis de recherche à son ancienne effigie. Hors de question pour autant de se rendre aux autorités. C’est alors que germa en lui une idée qu’il pensa parfaite : s’isoler sur une île reculée, loin de la civilisation.

Il se rendit sur l’île déserte d’Oha, mais se rendit à l’évidence qu’il lui fallait trouver un travail… Pourtant ce n’est pas faute d’avoir tenté de survivre en autarcie. Lors de ses multiples séjours sur l’île, l’individu aurait vécu dans un bunker abandonné de la Seconde Guerre mondiale. Mais cette vie était vraiment trop compliquée à maintenir. C’est durant cette période qu’il aurait commencé à penser sérieusement au suicide. C’est alors qu’il continua son périple à Okinawa où il passa plusieurs mois.

Probablement las de cette vie de cavale, il réussit même, lors de l’année 2008, à se rendre à Disneyland. Probablement sûr de lui quant à sa nouvelle apparence physique, il commença à se comporter quasiment en touriste.

L’arrestation après plusieurs années de cavale

De passage à Nagoya, il tenta une énième opération de chirurgie consistant à refaire son nez, mais aussi à retirer ses grains de beauté. Le personnel de la clinique, tout en consultant les dossiers des patients au mois de novembre 2008, s’aperçut de la ressemblance du patient avec les photos du suspect, devenu le fugitif le plus connu du pays. Ils alertèrent les autorités. Cette imprudence du suspect permit aux autorités d’obtenir une photo mise à jour du fugitif fournie par le personnel de la clinique, issue de son dossier médical sous fausse identité.

Très vite, la photo fut largement diffusée, ce qui conduisit à plusieurs centaines de signalements dans les jours suivants. Mais aussi une certitude pour les autorités : Ichihashi était encore en vie.

Ichihashi travailla pour une entreprise de construction à Kobe entre les mois de février et juin 2009. Quelques temps après, son ex-employeur aperçut la photo mise à jour et reconnut le suspect, et informa immédiatement la police. Les enquêteurs découvrirent qu’il s’était fait embaucher sous l’identité volée d’un homme décédé de la région. Après enquête sur son lieu de vie fourni par l’entreprise, il n’y avait plus aucun doute. Les empreintes et l’ADN retrouvés sur place correspondaient à 100 % avec celles du suspect.

La chute du fugitif intervint le 10 novembre 2009. Il tenta de prendre un ferry en direction de Kobe sous une fausse identité. Or ce jour-là, la liaison était temporairement interrompue. C’est alors qu’un employé de la compagnie de ferry l’aiguilla vers le terminal d’Osaka… Mais un détail le frappa subitement et il fut convaincu d’avoir en face de lui Tatsuya Ichihashi. L’homme informa immédiatement les autorités de la destination prise par le suspect.

C’est ainsi que le fugitif se fit cueillir à son arrivée au terminal de ferry à Osaka, marquant ainsi la fin d’une cavale de presque 2 ans et demi. Il fut poursuivi pour les chefs d’accusation d’abandon de cadavre, de meurtre et de viol ayant entraîné la mort.

Fait troublant mais pourtant habituel dans ce genre d’affaire, un fan-club fut créé en son honneur. Il reçut même des donations afin de pouvoir payer ses frais de justice. Ce phénomène est une paraphilie bien connue des passionnés de true crime : l’hybristophilie. Cette paraphilie est une attirance envers des personnes ayant commis des meurtres ou des crimes atroces, et touche majoritairement les femmes. Durant son incarcération, Ichihashi reçut de nombreuses lettres de fans comme grand nombre de tueurs en série médiatiques au travers de l’histoire moderne.

Lors de son procès, l’assassin ne parvint pas à faire valoir la version des faits de la défense, selon laquelle le meurtre et la commission des faits n’étaient pas prémédités. Malgré de nombreuses excuses envers la famille de la victime, le juge n’a pas retenu les remords exprimés comme étant sincères. Il fut condamné à la réclusion à perpétuité en première instance le 21 juillet 2011. Peine qui sera confirmée en appel le 25 avril 2012.

Ichihashi est à ce jour incarcéré à la prison de Nagano. Durant son incarcération et juste avant son procès, il écrivit et publia l’histoire biographique de sa cavale. Le livre se vendit à 100 000 exemplaires, générant plus de 10 millions de yens en droits d’auteur. Il tenta de reverser la somme aux parents de la victime qui refusèrent. Il aurait pu s’agir d’une vaine tentative d’essayer d’obtenir une réduction de peine en tentant d’amadouer le public avec une version romantisée d’une histoire tragique.

À ce jour, Tatsuya Ichihashi est entré dans l’histoire criminelle japonaise sous le pseudo du « tueur aux mille visages ».

Gilles CHEMIN

Sources
-Affaire Lindsay Hawker : l’obsession de l’assassin aux mille visages ; RTL, 21/06/23
-JAPON. Perpétuité pour l’assassin d’une jeune Britannique ; Le Nouvel Obs, 21/07/11
-Japon : les profils de l’assassin ; Libération, 04/01/10
-Le tueur aux cent visages arrêté au Japon ; Le Parisien, 12/11/09
Affaire Lindsay Hawker ; Wikipédia