Arashi, SMAP, Kanjani8, Hey! Say! JUMP, KAT-TUN, NEWS… Ces noms ne vous disent peut-être rien, mais ces différents boys-bands rythment le quotidien des Japonais depuis maintenant plusieurs décennies. Non seulement leurs singles/albums sont classés numéro 1 et diffusés un peu partout, mais en plus ces jeunes hommes jouent dans de nombreux dramas (séries) et films japonais et sont les invités et présentateurs de plusieurs émissions à succès de la télévision japonaise. L’homme derrière tous ces succès se nomme Johnny Kitagawa. Son agence, Johnny & Associates, détient le monopole des idols masculines japonaises (boys-bands) depuis sa création dans les années 60. Décédé en 2019 à l’age de 87 ans, son nom est associé depuis ces derniers mois à de nombreuses accusations d’agressions sexuelles sur mineurs. Ces accusations sont en réalité loin d’être les premières, puisqu’elles ont commencé dans les années 1980, avec pour ainsi dire aucune conséquence… Dans cet article, nous allons faire le point sur ces différentes accusations, volontairement étouffées par les médias japonais par peur d’être blacklistés par la très riche agence Johnny & Associates. Cet article est dédié aux victimes qui, après des années de pressions et de souffrance, ont le courage de prendre la parole dans un pays qui ne veut pas les entendre.

Si on vous dit que le monde des idols japonais est pourri jusqu’à la moelle, vous ne serez qu’à moitié étonné. Outre l’extrême difficulté de percer dans le milieu, les abus sexuels sont légions en échange de promesses de réussite et de gloire. En réalité, les filles gagnent peu leur vie et travaillent énormément parfois jusqu’à épuisement. Une fois trop vieilles, parfois même avant leur 25 ans, elles tombent généralement dans l’oubli, sans filet sécurité pour vivre, et doivent une fois encore se plier au bon vouloir des hommes pour survivre, tels des objets de consommation. Ce qu’on sait moins, c’est que le monde des idols masculins – qui jouissait d’une image plus « clean » – est tout aussi toxique… L’affaire « Johnny » lève le voile sur des années d’exploitation des jeunes garçons.

Qui est Johnny Kitagawa, le créateur du premier groupe d’idols masculines japonaises ? 

De son vrai nom Hiromu Kitagawa, Johnny Kitagawa ジャニー喜多川 est né le 23 octobre 1931 à Los Angeles. Il passa son enfance entre le Japon et les États-Unis avant de revenir définitivement au Japon dans les années 50 pour travailler à l’Ambassade des États-Unis à Tokyo. Ayant vécu aux États-Unis, Johnny Kitagawa connaît bien le baseball et se retrouve à entraîner une équipe de jeunes garçons qui venait jouer au parc Yoyogi. Il eut alors l’idée de former un groupe de musique avec quelques-uns de ces joueurs. Le tout premier groupe d’idols masculines du Japon est ainsi né en 1962, sous le nom des « Johnny’s ».

Le groupe SMAP fut formé en 1988 et se sépara en 2016 (wikimedia commons)

Johnny Kitagawa crée ensuite une agence de talent en 1964, connue sous le nom de Johnny & Associates ou Johnny’s Jimusho ジャニーズ事務所 en japonais. L’agence, officiellement ouverte en 1975, est spécialisée dans la production d’idols masculines. Johnny & Associates est une histoire de famille, puisque l’agence fut fondée par Johnny Kitagawa et sa sœur Mary. Par la suite, la nièce de Johnny Kitagawa, Julie Fujishima, est également impliquée dans le projet puisqu’elle s’occupe du label de musique J Storm, qui produit la plupart des albums des groupes créés par Johnny Kitagawa. C’est d’ailleurs cette dernière qui est présidente de l’agence depuis son décès en 2019 suite à un anévrisme. Hideaki Takizawa, ancien membre du groupe Tackey & Tsubasa était quant à lui vice-président de l’agence jusqu’à sa démission en novembre 2022.

Les membres des groupes formés par Johnny Kitagawa sont couramment appelés Johnny’s. En d’autres termes, les garçons de Johnny. Ces groupes ont tellement de succès qu’en 2011 Johnny Kitagawa reçoit en tant que producteur deux records du monde du livre Guinness des records : le plus grand nombre de singles classés numéro 1 (en tout 232 singles, entre 1984 et 2010) et le plus grand nombre de concerts produits (en tout 8419 concerts entre 2000 et 2010). On sait au final très peu de choses sur Johnny Kitagawa, car c’est un homme plutôt discret qui se montre rarement en public, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’existe quasiment aucune photo de lui. Et pourtant, il fut pendant longtemps l’une des personnalités les plus réputées du Japon.

Les membres du groupe Arashi avec l’ancien Premier ministre japonais Abe Shinzô, 2019 (wikimedia commons)

Impossible de passer à côté des Johnny’s…

Depuis la création du tout premier groupe en 1962, chaque décennie a vu naître son lot de Johnny’s. Pour former ces différents groupes Johnny Kitagawa recrute de très jeunes garçons, qui ont souvent entre 8 et 10 ans (!), et les envoie dans une sorte de campus privés où ils sont alors formés à différentes disciplines, incluant le chant et la danse. En attendant d’être choisis pour faire leurs débuts, les membres sélectionnés sont appelés Johnny’s Jr et participent chaque année à des représentations avec des membres confirmés des Johnny’s. Oui, c’est une industriel du spectacle très codifiée et fermée.

La popularité des Johnny’s explose dans les années 1990 avec la formation des SMAP (91), des Tokio (94), des V6 (95), des Kinki Kids (97) ou encore des Arashi (99). C’est lors de cette décennie que les Johnny’s commencent à tourner dans des dramas et films, mais aussi à être omniprésents à la télévision. Par exemple, le groupe SMAP présentait une émission extrêmement populaire (environ 20 millions de téléspectateurs en moyenne) appelée SMAPxSMAP de 1996 à 2016. Aussi, lorsqu’un membre des Johnny’s est l’acteur principal d’un drama, c’est en général son groupe qui s’occupe de la musique du générique de la série.

Les Johnny’s sont particulièrement populaires auprès des femmes. D’ailleurs, si les Johnny’s ont le droit d’être en couple ils ne peuvent pas se montrer en public avec leur moitié et ne doivent pas parler de leur vie privée… ils doivent absolument rester accessibles pour leurs fans qui sont d’énormes consommateurs de produits dérivés.

Illustration de Johnny Kitagawa réalisée pour le documentaire de la BBC

Les premières accusations arrivent très tôt…

Ces derniers mois, Kauan Okamoto, un ancien membre des Johnny’s (groupe ANTIME), révèlent que Johnny Kitagawa aurait commis des agressions sexuelles sur mineurs dans un documentaire très sérieux réalisé par la BBC. Mais ce n’est pas la première fois que le célèbre producteur japonais est accusé d’agressions sexuelles, bien au contraire. Les accusations existent en effet depuis la fin des années 1980… En 1988 déjà, Koji Kita, ancien membre des Four Leaves, le deuxième groupe créé par Johnny Kitagawa, révèle dans un livre que Johnny Kitagawa l’a agressé sexuellement alors qu’il n’avait que 15 ans. L’année suivante (1989) c’est au tour de Nakatani Ryo, ancien membre du tout premier groupe formé, de déclarer également dans un livre avoir été abusé sexuellement par Johnny Kitagawa à l’âge de 11 ans seulement ! Il précise aussi que les trois autres membres du groupe ont subi eux aussi des attouchements sexuels et qu’il a mis des années à vraiment réaliser ce qu’il s’était passé.

Ces deux déclarations d’une extrême gravité seront à peine relayées dans les médias japonais, d’autant plus que, comme nous l’avons vu, les années 90 marquent l’omniprésence des Johnny’s à la télévision japonaise. La boite de production inonde les médias japonais d’argent. Les grandes chaînes n’ont aucun intérêt à se mettre à dos Johnny Kitagawa et à se priver de la présence des Johnny’s qui font des cartons d’audience. Ce n’est pourtant pas la fin des accusations… puisqu’en 1996 Junya Hiramoto révèle dans son livre qu’il a vu de ses propres yeux Johnny Kitagawa forcer des jeunes garçons à avoir des relations sexuelles dans les dortoirs où ils dormaient. Il mentionne également le fait que Johnny Kitagawa forçait les Johnny’s à faire des injections hormonales pour ralentir leur croissance, comme celui-ci aimait beaucoup les garçons aux traits féminins. On retrouve aussi la mention de ces injections dans le livre de Kiyama Shogo, sorti en 2005. Il déclare avoir refusé de faire ces injections et, en conséquence, n’aurait pas pu débuter sa carrière. Pour en revenir aux premières accusations, en 1997 Toyokawa Jo déclare lui aussi avoir été abusé par Johnny Kitagawa. Il a même quitté les Johnny’s pour pouvoir l’accuser librement. Conséquences médiatiques et légales de ces faits de pédophilie et de viols sur mineurs ? Aucune…

Fin de l’histoire ? Non, les accusations d’agressions sexuelles se multiplient, toujours sans qu’il n’y ait aucune enquête ou couverture médiatique. Ce n’est qu’en 1999 que la presse décide enfin de s’en mêler pour la première fois. Le courageux journal Shukan Bunshun publie en effet pendant 14 semaines des articles incriminant le producteur. Ces articles révèlent que Johnny Kitagawa est impliqué dans une douzaine d’affaires d’agressions sexuelles sur des garçons mineurs, avec les témoignages de six anciens membres à l’appui. Il en ressort également que des garçons encore mineurs ont facilement accès à de l’alcool et du tabac.

L’affaire est reprise timidement par plusieurs médias et va tout de même atteindre les sphères politiques. En effet des membres de la Diète, le parlement japonais, vont parler de cette affaire pendant une session spéciale. Cependant, ces quelques déclarations n’aboutiront à aucune mesure… Tout le monde décide de fermer les yeux une fois de plus. Pire, en 2002 Johnny’s & Associates attaque en justice le Shukan Bunshin devant le tribunal du district de Tokyo pour diffamation. Pendant ce procès hallucinant, des anciens Johnny’s témoignent à la barre, mais le tribunal donne raison à Johnny & Associates en condamnant le journal à payer 8,8 millions de yens de dommages et intérêts. À n’en plus douter, tout le système semble pourri jusqu’à la moelle.

Heureusement, le Shukan Bunshin va faire appel de ce jugement hallucinant auprès du tribunal qui reviendra finalement sur sa décision. Le tribunal du district de Tokyo reconnaît désormais qu’il n’y a pas eu de diffamation de la part du journal. Au vu des témoignages accablants, les accusations sont jugées « crédibles ». Seules les parties concernant l’alcool et le tabac sont jugées diffamatoires et le journal ne doit plus que 1 million de yens pour diffamation (tout de même). De son côté, Johnny Kitagawa fait appel de cette décision auprès de la Cour suprême du Japon, mais cette dernière rejette sa demande. Le fait que la justice ait finalement reconnu la crédibilité des témoignages n’a absolument pas été relayé par les médias. Ceux-ci ont seulement mentionné la première décision en faveur de Johnny Kitagawa ! Ainsi, l’opinion générale fut orientée en faveur du producteur.

En dépit des nombreux témoins, Johnny Kitagawa a toujours nié avoir commis des agressions sexuelles sur mineurs. Pour lui, ces accusations sont faites par des Johnny’s qui n’ont jamais eu de succès et qui jalousent les autres…

Conférence de presse de Kauan Okamoto (Foreign Correspondents’ Club of Japan)

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Après la mort de Johnny Kitagawa…

Si pendant quelques années les témoignages se sont raréfiés, le producteur étant vieillissant, en 2021, Maeda Koki du groupe de Johnny’s « 7 MEN samurai » a donné une interview pour le média en ligne « Arama ! Japan » dans laquelle il raconte à son tour que plusieurs Johnny’s ont eu des relations sexuelles avec Johnny Kitagawa. Pour certains membres, c’était même devenu un passage obligé pour espérer pouvoir lancer leurs carrières. L’interview en ligne a depuis été « corrigée » (plusieurs passages modifiés / supprimés) pour des raisons que l’on ignore.

C’est par la suite, grâce aux déclarations de l’ancien membre des Johnny’s Kauan Okamoto que les accusations d’agressions commises par Johnny Kitagawa reviennent sur le devant de la scène. En plus de ses déclarations, sur lesquelles on va revenir, le 7 mars 2023 est sorti sur la BBC (chaîne britannique) un documentaire sur les accusations liées à Johnny Kitagawa, intitulé « Predator : The secret scandal of Jpop« .

Le documentaire saisissant revient en détail sur les différentes accusations et contient des interviews de victimes. Aucun média japonais n’avait fait cette démarche jusqu’ici. Ce documentaire produit par une chaîne aussi importante que la BBC a fait connaître l’affaire au niveau international. Aujourd’hui, de plus en plus de médias internationaux en parlent, mais aussi certains journalistes japonais qui utilisent des moyens moins traditionnels, comme YouTube, pour relayer les faits que les médias officiels ne veulent pas diffuser. C’est le cas par exemple de la chaîne YouTube Nakata University, qui a fait une longue vidéo en japonais pour présenter les faits.

Pour en revenir à Kauan Okamoto, tout commença lors une interview réalisée par GaaSyy (youtubeur et homme politique japonais) en 2022. Pendant cette interview, il déclare avoir été abusé personnellement par Johnny Kitagawa entre 15 et 20 fois sur une période de 4 ans ! La première fois eut lieu en mars 2012, alors qu’il avait 15 ans. Les agressions n’ont duré « que » 4 ans, car il est parti des Johnny’s en 2016. Le Shukan Bunshun, qui avait déjà mis en avant les affaires d’agressions sexuelles dans les années 1990, en profite pour relancer le dossier. Ils réalisent une interview et lui demandent de tenir une conférence de presse, mais pas auprès des médias japonais qui ne veulent pas relayer l’info, la conférence se déroule alors auprès du « Foreign Correspondents’ Club of Japan » le 12 avril 2023. L’affaire est donc plus vive que jamais.

Pendant cette conférence, Kauan Okamoto a montré une vidéo prise de la maison de Johnny Kitagawa. On y voit les chambres où dormaient les Johnny’s lors de leur passage à Tokyo. Il raconte qu’une vingtaine de personnes peuvent dormir dans ces chambres. C’est d’ailleurs dans l’une de ces chambres qu’il déclare avoir été agressé sexuellement par Johnny Kitagawa. Alors qu’il était resté dormir avec d’autres membres, Johnny Kitagawa serait entré dans la chambre, s’est glissé près de lui, lui a massé les organes génitaux avant de lui faire une fellation forcée. Le lendemain Johnny Kitagawa l’a croisé dans l’ascenseur et lui a donné 10.000 yens (environ 67€ avec le taux de change actuel), sans évoquer ce qu’il s’était passé la nuit d’avant. Il ne lui donnait pas de l’argent à chaque fois, seulement quand il se retrouvait seul avec lui, sinon, il faisait simplement comme si rien ne s’était passé.

Kauan Okamoto précise également que Johnny Kitagawa ne menaçait jamais les membres. C’était beaucoup plus subtil. Par exemple, lorsqu’il refusa un rapport sexuel, le lendemain, Johnny Kitagawa ne lui a plus adressé la parole et l’ignorait totalement quand il lui parlait. C’est cette absence de menace notamment qui pose problème pour inculper un prédateur sexuel comme Johnny Kitagawa, comme nous le verrons dans la suite de cet article. Pendant toutes les années où il resta dormir chez Johnny Kitagawa, Kauan Okamoto estime qu’il y a eu environ 100 à 200 membres qui sont venus dormir et que la plupart ont aussi subi des agressions sexuelles…

Autre fait intéressant, Kauan Okamoto déclare qu’il n’était pas au courant de ces affaires avant de rejoindre les Johnny’s. Ce n’est qu’une fois qu’il les a rejoint que les autres membres l’ont prévenu. Une fois à l’intérieur, impossible de s’en sortir, les contrats étant signés. Une femme travaillant pour la NHK en a alors profité pour demander s’il avait su, est-ce qu’il aurait refusé de rejoindre l’agence. Kauan Okamoto a alors répondu qu’il ne savait pas si ça l’aurait dissuadé, mais ses parents eux ne lui auraient pas laissé le choix. Nombre sont les jeunes idols ayant intériorisé l’idée qu’une agression sexuelle dans ce milieu est possible. On comprend donc que le fait que les médias japonais n’aient rien relayé, alors que les accusations existaient depuis les années 1980, a permis à Johnny Kitagawa de continuer ses agressions sans éveiller les soupçons des familles. En dépit de la nature des accusations, les journalistes se doivent de faire leur travail en relayant les faits et en enquêtant sur leur véracité. Dans cette affaire, ce travail n’a absolument pas été fait. Les médias japonais sont directement responsables de la perpétuation de ces violences sexuelles. Et on ne parle ici que d’une affaire isolée qui a fuité. Combien d’autres restent cachées ?

Depuis la diffusion de cette conférence de presse, l’agence Johnny & Associates a tenu des propos assez ambigus en déclarant : « Nous ne pensons pas que le problème n’existait pas ». Ce qui signifie qu’ils reconnaissent donc, à demi-mot, qu’il y a eu des abus… L’agence a également déclaré : « Nous travaillons pour mettre en place des structures organisationnelles transparentes et adaptées à notre époque, dans le respect des lois, ainsi qu’au renforcement de la gouvernance de l’entreprise avec des experts impartiaux. » Nous ne pouvons que l’espérer.

Pendant ce temps, une pétition japonaise avec plus de 16.000 signatures réclament une enquête interne chez Johnny & Associates sur les cas d’agressions sexuelles. Les victimes déclarent que la société japonaise ne changera pas si les citoyens ne réclament pas des réponses claires sur ces faits graves. Et pourtant, la norme japonaise reste globalement au silence, afin notamment d’éviter les problèmes et maintenir une paix sociale, aussi fausse et toxique soit-elle pour l’humain.

Qu’encourt-on en cas d’agression sexuelle sur mineur au Japon ?

Si la question de condamner Johnny Kitagawa pour ses actes ne se pose plus vraiment depuis sa mort, les victimes qui prennent la peine de s’exprimer veulent avant tout que l’agence Johnny & Associates reconnaisse officiellement les faits, afin que ça n’arrive plus aux nouvelles recrues mais aussi que ça ne se produise pas au sein d’autres agences. La peur doit changer de camp. Quant à savoir si Johnny Kitagawa aurait pu être condamné de son vivant, si on regarde la loi japonaise de plus près, on se rend compte que cela aurait été très compliqué, voire impossible… au grand bonheur des prédateurs.

Les lois sur les crimes sexuels au Japon ont changé récemment, en 2017. Une évolution très importante, car les précédentes lois dataient de… 1907 ! Avant 2017, seules les femmes pouvaient porter plainte pour viol, ce n’était pas possible pour un homme. Depuis 2017, il n’y a plus de différence entre les hommes et les femmes, mais il est toujours très difficile d’apporter les preuves nécessaires pour établir le crime. Il faut absolument pouvoir prouver qu’il y a eut agression physique ou intimidation. Dans le cas des agressions commises par Johnny Kitagawa, on note au vu des déclarations des victimes qu’il n’a jamais usé de violence ou d’intimidation directe. Son pouvoir d’influence reste cependant énorme. Les actes qu’il commet commencent souvent par un massage et l’intimidation est implicite : les victimes acceptent parce qu’elles ne veulent pas qu’il mette fin à leur future carrière, mais il ne les menace jamais directement de le faire. Johnny était ainsi passé maître dans l’art d’abuser sexuellement les enfants et ses jeunes recrues sans devoir faire face à la loi japonaise.

Concernant la pédophilie, il faut savoir que l’âge de responsabilité sexuelle au Japon est de 13 ans et beaucoup de victimes de Johnny Kitagawa avaient déjà 13 ans au moment des faits. Ce qui choque dans cet âge légal aussi bas, c’est surtout qu’à cet âge là, les enfants japonais n’ont pas reçu de cours d’éducation sexuelle à l’école, alors que c’est pourtant le cas dans la plupart des pays développés. Ils ignorent ainsi tout ce qu’est une relation sexuelle saine et ont tendance à suivre les adultes, jugés responsables et supérieurs, la soumission japonaise à l’autorité étant particulièrement forte. Le fait que ces jeunes adolescents ne reçoivent aucun cours d’éducation sexuelle est une aubaine pour les prédateurs sexuels, qui peuvent faire passer leurs actes comme des preuves d’amour ou d’affection.

Le changement de loi en 2017 a permis d’ajouter une notion très importante pour protéger les enfants de ceux qui ont justement la responsabilité de les protéger en qualité d’éducateur. Selon cette définition, étant donné que les membres des Johnny’s quittaient leurs parents pour être formés au sein de l’agence de Johnny Kitagawa, ce dernier prenait en quelque sorte le relais en tant qu’éducateur et aurait pu donc être condamné. Sauf qu’en réalité, cela ne concerne qu’un cadre très limité de personnes : parents biologiques ou adoptifs, famille d’accueil et personnel de l’établissement d’accueil. Tous les autres peuvent ainsi être considérés comme des partenaires sexuels classiques !

Réussir à faire condamner quelqu’un pour agression sexuelle est très difficile au Japon, même si les nouvelles lois de 2017 ont amélioré un peu la protection, ce n’est pas encore suffisant. Le fait qu’il faille user de contrainte pour être condamné est bien évidemment connu des prédateurs sexuels sur mineurs qui utilisent alors une technique appelée en anglais « grooming » (pédopiégeage en français). Cette technique, principalement utilisée en ligne de nos jours, permet d’établir une relation de confiance avec la victime qui cherchera alors à protéger son agresseur. Selon le grooming, le prédateur passe d’abord par une phase d’observation pendant laquelle il localise les cibles les plus dociles ou vulnérables. Ensuite, il va chercher à isoler l’enfant en le séparant de ses parents ou des personnes censées le protéger (amis, adultes…). Ces deux phases étaient très faciles à accomplir pour Johnny Kitagawa puisque les enfants étaient séparés de leurs parents physiquement pour rejoindre les campus situés à Tokyo et Ôsaka.

Une fois ces deux phases établies, le prédateur cherche alors à installer une relation de confiance avec sa victime, en lui offrant de nombreux cadeaux par exemple. Comme Kauan Okamoto l’a lui-même expliqué, Johnny Kitagawa lui a donné un double des clefs de chez lui, en lui disant que peu les avaient (alors que beaucoup d’autres membres les avaient aussi…) et qu’il pouvait venir quand il voulait pour se détendre ou se reposer. Enfin, les prédateurs attendent avant d’agresser sexuellement leur victime et cherchent d’abord à instaurer un contact progressif. Ils commencent alors par un massage, un câlin… en toute innocence. Kauan Okamoto a d’ailleurs expliqué que Johnny Kitagawa ne l’avait pas agressé la première fois et qu’il l’avait « seulement » massé.

Portrait du jeune Kauan Okamoto qui apporte de l’espoir aux victimes d’agressions sexuelles.

Et maintenant, que fait-on ?

La mort de Johnny Kitagawa en 2019 n’aura pas mis fin aux accusations d’agressions sexuelles à son encontre, bien au contraire. La conférence de presse de Kauan Okamoto a eu lieu en avril 2023 et il y a fort à parier que l’affaire ne s’arrêtera pas là, d’autant plus qu’il a appelé les anciennes victimes à se manifester à leur tour pour que ces viols ne se reproduisent plus ici et ailleurs.

À n’en pas douter, la société japonaise évolue lentement mais dans une bonne direction. En attendant, de nombreux jeunes souffrent en ce moment d’une culture qui prétexte bien souvent les traditions pour permettre à des gens riches et puissants d’abuser d’enfants et de jeunes innocents en toute tranquillité. Le rapport à la sexualité et à la notion de consentement reste particulièrement problématique dans le pays, et pas seulement pour les enfants. De nos propres observations, les actes sexuels forcés et autres agressions parfois publiques semblent monnaie courante. Rares sont les femmes japonaises à ne pas avoir elles-mêmes expérimenté ces faits, les plongeants à leur tour dans une relation compliquée à la sexualité. Il faudra encore de nombreuses années et le courage des victimes afin de faire bouger les lignes. Cependant, elles sont plus nombreuses que jamais à briser le silence sur les violences sexuelles.

Édit : le 15 mai, en réponse à la conférence de presse de Kauan Okamoto, la présidente de Johnny & Associates Julie Fujishima a tenu à présenter des excuses sincères « envers les personnes qui ont exprimé leur souffrance » sur le site officiel de l’agence.

Claire-Marie Grasteau / Mr Japanization

Image d’en-tête : Illustration de Johnny Kitagawa réalisée pour le documentaire de la BBC