Une affaire criminelle japonaise vieille de 30 ans, non résolue, fascine encore de nos jours : l’affaire Glico-Morinaga. On vous raconte.
L’affaire Glico-Morinaga impliqua plusieurs protagonistes sur une période de 17 mois. D’un côté, les victimes, des géants de la confiserie. D’un autre, une police aux abois, mise en échec constant par un grand méchant semblant sorti tout droit d’un film policier : un criminel surnommé le « monstre aux 21 visages ».
Ce dernier a semé une terreur psychologique sans précédent dans l’archipel, ébranlant par la même occasion l’image d’un Japon où la criminalité n’existe presque pas. Retour sur une affaire qui, encore aujourd’hui, soulève de nombreuses questions.
D’un banal enlèvement à 17 mois de terreur
Pendant 17 mois, un criminel insaisissable défia les forces de l’ordre. À travers des lettres de menace, des tentatives d’empoisonnement, et une habileté à échapper à toute capture, le Monstre exposa les faiblesses de la police japonaise et bouleversa la tranquillité d’un pays entier.
Le 18 mars 1984 vers 21h, deux hommes armés et visages dissimulés firent irruption au domicile de Katsuhisa Ezaki, président de l’entreprise Glico. Les malfrats commencèrent par ligoter la femme et la fille de l’entrepreneur. Ezaki, quant à lui, se trouvait dans la salle de bain avec ses deux autres enfants. Organisés et méthodiques, les malfrats le furent sûrement, car ceux-ci prirent le temps de couper les lignes téléphoniques du domicile.
Pire encore, ils avaient obtenu la clé du domicile de leur victime en cambriolant le domicile de la mère de celle-ci. Pensant tout d’abord être la cible d’un home jacking, la famille tenta – en vain – de négocier avec les criminels. Mais l’objectif de ces derniers était tout autre : ils kidnappèrent Ezaki en le chargeant dans une camionnette, laissant derrière eux sa femme et ses trois enfants.
L’attente ne fut pas longue. Le lendemain, les criminels contactèrent le directeur de l’entreprise Glico afin de réclamer une rançon : 1 milliard de yens, et 100 kg de lingots d’or. Une somme considérable, même pour une entreprise aussi puissante que le confiseur Glico.
Seulement, trois jours plus tard, par un quasi-miracle, le captif parvint à s’échapper de l’entrepôt où il était retenu dans la région d’Osaka. C’est cet événement qui aura été le déclencheur d’une véritable campagne de harcèlement et d’extorsion de fonds, à un niveau encore jamais vu dans l’histoire du Japon.
La réponse des criminels ne se fit pas attendre. Quelques jours plus tard, le 10 avril 1984, plusieurs véhicules furent incendiés sur le parking d’une usine de l’entreprise. Coïncidence ? Probablement pas.
Puisqu’un mois plus tard, le 10 mai de la même année, l’entreprise reçut une première lettre d’intimidation. Parallèlement, la police aussi commença à recevoir des lettres, se moquant ouvertement de leurs piètres performances. Toutes étaient remplies d’indices plus farfelus les uns que les autres. Le but avoué était de ridiculiser les forces de police. Toutes les lettres étaient signées du même pseudonyme : le monstre aux 21 visages.
La lettre la plus inquiétante fut reçue par l’entreprise Glico et la police la même année. Celle-ci expliquait que des paquets de bonbons stars du confiseur, empoisonnés au cyanure, avaient été déposés sur les étagères de magasins à travers le pays. Le tout assorti d’une demande de rançon. Des images de vidéo surveillance prises dans un magasin de Tokyo montrèrent en effet un homme portant une casquette de Baseball poser des paquets de bonbons Glico en rayon.
Dans ce genre d’affaire, la réaction la plus naturelle est le retrait de tous les produits de la marque à travers le pays. Après analyse, il a été avéré qu’aucune trace de poison n’a été trouvée. C’était un mensonge, mais le principe de précaution faisait foi dans ce genre de situation.
À l’heure actuelle, il n’existe aucune estimation exacte de la perte engendrée, mais elle se chiffrerait aux alentours de 21 millions de dollars pour l’entreprise. Victimes collatérales du monstre, 450 employés perdirent leur emploi des suites de cette chute financière.
« L’entreprise était alors exsangue, mais ne céda pas ».
L’entreprise était alors exsangue, mais ne céda pas. Peu de temps après, le 16 juin 1984, une dernière lettre parvint à l’entreprise. Dans celle-ci, le monstre disait pardonner à l’entreprise et qu’il allait enfin leur rendre leur tranquillité. Cette dernière missive marqua la fin de la campagne de harcèlement visant le confiseur. La fin du règne de terreur du monstre ? Pas vraiment.
L’affaire Morinaga
Septembre 1985. Après un été sans nouvelles du monstre, une lettre signée par celui-ci fit son apparition dans les médias. La missive intitulée « lettre aux mamans de la nation » a un goût particulièrement amer :
« Aux mamans du Japon : En automne, lorsque l’appétit est fort, les sucreries sont vraiment délicieuses. Quand vous pensez aux bonbons – quoi que vous disiez – c’est Morinaga. Nous avons ajouté une saveur spéciale. La saveur du cyanure de potassium est un peu amère. Cela ne causera pas de carie dentaire, alors achetez les bonbons pour vos enfants. Nous avons joint un avis sur ces bonbons amers indiquant qu’ils contiennent du poison. Nous avons mis vingt cartons dans les magasins de Hakata à Tokyo. »
D’autres lettres apparurent dans la foulée, causant encore plus de panique. Cette fois-ci, le monstre promettait de mettre encore plus de produits contaminés, si les supermarchés du pays n’entamaient pas immédiatement un boycott de l’entreprise. Mais cette fois-ci, sans étiquette avertissant de la présence de poison.
Même procédure que pour l’affaire Glico : retrait des produits, analyse. Sauf que cette fois, l’affaire tétanisa l’archipel. 12 paquets effectivement empoisonnés et porteurs d’une étiquette d’avertissement furent trouvés à Tokyo. Plus tard, d’autres paquets furent confirmés positifs au cyanure, portant le total à 21 paquets.
« Un grand succès pour le monstre, mais une défaite pour la police, toujours impuissante et ridiculisée »
Devant le tournant potentiellement tragique de l’affaire, l’entreprise accepta un deal avec le(s) malfrat(s). 50 millions de yens en échange d’un arrêt de la campagne de harcèlement. Un grand succès pour le monstre, mais une défaite pour la police, toujours impuissante et ridiculisée… jusqu’à se voir offrir une chance de rédemption.
Un suspect aux yeux de renard
Retour sur le jour de l’échange des 50 millions de yens, le 28 juin 1984. La police envoya un agent déguisé en employé de l’entreprise au rendez-vous convenu avec le monstre. Pendant que le policier sous couverture procédait au dépôt de la manière convenue par le(s) criminel(s), il s’aperçut qu’un homme au comportement étrange l’observait. Suffisamment suspect pour que la police le prenne en filature. Finalement, au bout d’un certain temps, l’étrange personnage finit par disparaître entre deux changements de trains.
Cette rencontre aboutit à la création d’un portrait-robot. L’enquêteur qui avait procédé à l’échange fit état d’un homme grand, à la carrure athlétique, avec des cheveux courts. Mais un détail rendit la rencontre et l’image même du suspect encore plus iconiques : son regard. Selon les témoins, celui-ci avait des « yeux de renard ». Un regard perçant, et une forme faisant penser à un renard.
Loin d’être rassasié par ce premier gain, le monstre refit parler de lui peu de temps après. Bien loin des précédentes affaires : dans la préfecture de Shiga. Cette fois, ce fut la somme de 100 millions de yens qui fut extorquée à une autre entreprise, la « House Food Corporation ».
Même modus operandi, avec un lieu choisi pour déposer l’argent. La police réitéra le même procédé que la fois précédente, en envoyant deux agents sous couverture dans une camionnette. Ceux-ci, passant par une station, s’aperçurent qu’un homme étrange, couvert d’une casquette de Baseball, les observait. Aucun doute : l’individu correspondait à la description du suspect. Les agents le prirent en chasse, mais le suspect parvint de nouveau à leur échapper.
« le suspect parvint de nouveau à leur échapper ».
Reprenant la route vers la destination du lieu de dépôt de l’argent, les agents furent troublés par un détail. Il était question de déposer la somme dans une boîte couverte d’un tissu. Or, bien que le tissu fût bel et bien présent, la boîte n’y était pas. Les policiers firent demi-tour en conservant les liquidités.
Encore plus troublant, une heure avant les faits, à seulement quelques kilomètres, des agents en patrouille contrôlèrent un véhicule suspect. À son bord, un homme avec une casquette de Baseball et des lunettes de soleil attendait. Les policiers s’aperçurent que celui-ci semblait porter un casque avec microphone. Le suspect, à l’approche des policiers, démarra et s’enfuit, parvenant à semer les forces de l’ordre. Ceux-ci, à cet instant, n’étaient même pas au courant de l’opération rançon.
Un peu plus tard, le véhicule fut retrouvé abandonné. Il s’agissait d’un véhicule déclaré volé dans la préfecture de Tokyo, dans lequel fut trouvé un micro émetteur. Faute de preuves et d’éléments incriminants, les deux affaires ne purent être reliées entre elles. C’est alors que la police publia un portrait-robot de l’homme aperçu plusieurs fois, au mois de janvier 1985.
L’impuissance des forces de l’ordre et la victoire du monstre
La police, déconfite, ne parvient pas à mettre la main sur le ou les individus terrorisant l’archipel depuis maintenant plusieurs mois. Pendant ce temps, le coupable se permettait de les humilier en leur envoyant des messages moquant ouvertement de leurs performances médiocres.
Le 7 août 1985, le commissaire Shoji Yamamoto, chef de la police préfectorale de Shiga, dans l’ouest du Japon, commit alors l’irréparable. Peut-être par épuisement, peut-être à cause de la pression populaire et politique résultant de plusieurs mois de terreur… Le commissaire âgé de 59 ans se suicida par auto-immolation dans la cour de sa résidence officielle.
Peu de temps avant ce drame, il avait été relevé de ses fonctions et transféré à l’Agence nationale de la police. Une décision qui pourrait avoir été la goutte d’eau faisant déborder le vase. Son acte désespéré de s’asperger de kérosène et de s’immoler est survenu quelques heures seulement après ce déménagement forcé. Un transfert qu’il aurait perçu comme une rétrogradation humiliante selon ses anciens collègues.
Selon ses proches, l’homme était profondément embarrassé par l’incident de la préfecture de Shiga, conduisant à la fuite de l’unique suspect. D’autant plus que cet échec lui fut imputé directement par sa hiérarchie, ayant contraint Yamamoto à présenter publiquement des excuses. Un acte qui a probablement amplifié son sentiment de honte et de culpabilité. Cependant, la culture populaire ainsi que les médias ont choisi de présenter ce suicide comme un acte de désespoir pour ne pas avoir réussi à capturer le monstre aux 21 visages.
Le 12 août 1985, après plus d’un an de terreur, de mystère et de frustration pour les forces de l’ordre japonaises, le « Monstre aux 21 visages » envoya une lettre surprenante aux médias. Dans cette lettre, le ou les auteurs ont annoncé qu’ils arrêtaient leurs activités criminelles et mettaient fin à leur campagne d’extorsion et de harcèlement.
« Nous sommes fatigués de cette affaire de confiserie. Nous avons décidé de faire la paix avec la police japonaise. »
La lettre déclarait : « Nous sommes fatigués de cette affaire de confiserie. Nous avons décidé de faire la paix avec la police japonaise. » Le délai entre la mort du commissaire Yamamoto et cette missive laisse penser que ce suicide a eu une incidence sur la décision du monstre de cesser ses activités criminelles.
Malgré cette annonce, les autorités japonaises ont poursuivi leurs investigations avec l’espoir de trouver des indices pour identifier et arrêter les coupables. Cependant, aucune nouvelle preuve significative n’a émergé. La police a continué à surveiller toutes activités suspectes possiblement en lien avec l’affaire, et à maintenir une vigilance accrue. Mais le « Monstre aux 21 visages » est resté insaisissable.
Aucun autre incident majeur n’a pu être attribué à l’individu ou au groupe criminel. Les menaces d’empoisonnement et les tentatives d’extorsion ont cessé. Les autorités ont finalement clos l’enquête officielle, reconnaissant leur incapacité à résoudre l’affaire et à capturer les responsables.
Impact et héritage de l’affaire
Le cas du « Monstre aux 21 visages » a eu un impact profond sur le Japon, ébranlant la confiance du public dans la sécurité et l’efficacité de la police. En effet, ces 17 mois de terreur ont radicalement transformé la vision de la population japonaise, modifiant sa perception de la sécurité publique. La police, traditionnellement perçue comme une force efficace et fiable, a été ridiculisée et humiliée à plusieurs reprises par un criminel insaisissable, qui semblait toujours avoir une longueur d’avance.
Une situation qui a mis en lumière les faiblesses et les lacunes des forces de l’ordre japonaises, provoquant un sentiment généralisé d’insécurité et de méfiance envers les institutions chargées de protéger les citoyens. L’affaire Lucie Blackman, survenue plus de 16 ans après les actions du monstre, vint d’ailleurs enfoncer le clou.
Il aura fallu plusieurs années afin de refermer les blessures psychologiques laissées par le monstre sur la population. Celui-ci a littéralement créé une atmosphère de peur et de méfiance envers les produits alimentaires. La menace d’empoisonnement au cyanure a poussé les parents à se méfier des bonbons et autres produits alimentaires (qui, au final, contiennent tellement de cancérigènes potentiels que l’empoisonnement par ce biais en devient quasi systématique… )
Et une fois n’est pas coutume, les médias ont amplifié la psychose dans une course effrénée à l’audimat et à la surenchère. Cette peur a conduit à des mesures de précaution extrêmes, avec des entreprises retirant massivement leurs produits des étagères des supermarchés, et les consommateurs évitant certains produits par crainte de contamination. L’impact économique fut important pour les entreprises en question.
À l’heure actuelle, et ce malgré le délai de prescription, personne ne sait qui est le « Monstre aux 21 visages ». À l’instar de l’affaire du casse aux 300 millions de yens, survenue en 1968, le crime parfait est une nouvelle fois japonais.
– Gilles Chemin