Quand on pense à la Seconde Guerre mondiale au Japon, ce sont les noms d’Hiroshima et de Nagasaki qui nous viennent tout de suite à l’esprit. Pourtant, une autre ville a subi des bombardements qui l’ont réduite en ruines : Tokyo. Comment vivre dans de telles conditions à la fin du conflit quand on est un enfant orphelin livré à lui-même ? C’est sur ce sujet que se penche « Plus haut que le ciel », manga essentiel sur le courage, la solidarité et l’amitié.
Plus haut que le ciel est un manga écrit et illustré en 1995 par Saburô Ishikawa (Sacré prof, Bunza l’insouciant).
Nous y suivons un groupe d’enfants dans le Tokyo d’après-guerre ravagé par les bombardements et les incendies. Se serrant les coudes, huit enfants se retrouvent et forment un groupe soudé pour combattre la faim et le froid. Petit à petit, entre débrouilles, menus larcins et entraide, ces orphelins se reconstruisent une famille. L’espoir renaît alors par étincelles dans les ruines.
Au-delà du réel
Plus haut que le ciel est une œuvre marquante qui plonge le lecteur dans le Japon d’après-guerre, un pays ravagé par les bombardements et marqué par les profondes cicatrices laissées par le conflit mondial.
« un récit centré sur la ténacité humaine et la quête d’espoir dans un contexte où tout semble perdu ».
Les événements ont laissé des milliers de morts et notamment transformé Tokyo en un vaste champ de cendres. L’auteur utilise cette période dramatique comme toile de fond pour tisser un récit centré sur la ténacité humaine et la quête d’espoir dans un contexte où tout semble perdu. La narration ne s’attarde ainsi pas uniquement sur la tragédie de cet instant, mais explore les répercussions sur les survivants et leur lutte quotidienne pour reconstruire leur existence.
Ce seinen (青年漫画) historique met en lumière une période sombre de l’Histoire à travers les yeux d’orphelins, tentant de survivre dans un Tokyo dont il ne reste plus grand chose. Tout ce qui semblait encore « normal » quelques mois avant devient tout à coup extraordinaire, à commencer par les besoins primaires que sont boire et manger. Le manga nous montre ainsi combien la capitulation du Japon va signer le début d’une nouvelle guerre : celle de la survie.
Tout devient si rare qu’une simple patate douce chaude prend l’allure d’un festin. Alors pour ne simplement pas se laisser mourir, les enfants usent de toutes les méthodes possibles.
Le club des 8
L’histoire de Plus haut que le ciel suit un groupe de huit orphelins, chacun portant ses propres traumatismes et aspirations. L’écriture des personnages est un des points forts de l’œuvre : Saburô Ishikawa parvient à les rendre à la fois attachants et crédibles, en capturant avec justesse les émotions complexes d’enfants confrontés à l’horreur de la guerre.
Leurs interactions, oscillant entre solidarité et tension, reflètent les difficultés de s’accrocher à leur humanité dans un monde qui semble s’effondrer autour d’eux. Tout est bon pour gagner quelques yens ou faire du troc, même revendre des mégots de cigarettes bien entamées.
La solidarité, aussi pure soit-elle, craquelle parfois et nos jeunes n’hésitent pas à esquisser quelques pas dans la criminalité. Fort heureusement, très tôt dans le récit, ils font plusieurs rencontres qui changeront leurs vies, comme cette femme qu’ils appellent affectueusement « la mère ».
Elle leur apportera un semblant de normalité et un cadre maternel dont, par la force du drame, ils se retrouvent privés. Et même si l’avenir semble bien sombre, l’espoir n’est jamais loin.
Reconstruire pour mieux se relever
Malgré son contexte lourd, Plus haut que le ciel ne sombre jamais dans un pessimisme excessif. Au contraire, le manga offre un message d’espoir et met en avant la capacité de l’être humain à se relever face à l’adversité. La survie des orphelins devient un symbole de la reconstruction, tant sur le plan personnel que collectif. L’équilibre entre les moments de douleur et de légèreté est habilement géré, offrant un récit émouvant sans jamais être accablant.
« Des choix seront faits. Certains mèneront à des sourires. D’autres à des drames ».
Le mangaka a en plus la très bonne idée de faire avancer son histoire dans le temps. Voir les destins de tous les personnages se dessiner devant nous est un vrai plaisir. Eux qui ont tous commencé le visage noirci par la poussière et le sommeil compliqué dans les tunnels insalubres du métro vont peu à peu s’émanciper. Des choix seront faits. Certains mèneront à des sourires. D’autres à des drames. Ainsi va la vie, bien retranscrite par le pinceau d’un homme en mission.
Un style graphique au service de l’histoire
Le style visuel de Saburô Ishikawa est à la fois sobre et efficace. Les décors de Tokyo en ruines accentuent le sentiment d’immersion, tandis que l’expression des personnages capture parfaitement leurs émotions. Les planches sont vraiment sublimées par la minutie du mangaka.
Il gratifie les arrière-plans de nombreux détails pour nous faire ainsi partager ces sentiments de destruction et de désolation qui entourent nos petits héros. Le noir et blanc est exploité avec finesse, renforçant la gravité du récit tout en laissant transparaître des éclats de lumière dans les moments plus flamboyants.
Avec ses trois tomes et ses plus de 700 pages, Plus haut que le ciel est bien plus qu’un simple manga historique : c’est une œuvre touchante, profonde et magnifiquement écrite, qui parvient à mêler habilement gravité et espoir. Elle nous rappelle les terribles conséquences de la guerre – au Japon comme ailleurs – tout en soulignant la force de l’esprit humain face à l’adversité. Pour celles et ceux qui recherchent un manga alliant narration poignante, réalisme historique et humanité, ce titre est un choix incontournable.
Plus haut que le ciel est édité par Black Box (déjà éditeur du méconnu mais très réussi Toutes nos condoléances) et également disponible en ligne sur Mangas.io.
– Stéphane Hubert