Oshōgatsu, le Nouvel An japonais, désormais célébré le 1er janvier, est l’une des fêtes les plus importantes dans la société nippone. Contrairement à Noël, que les Japonais fêtent en amoureux ou en dégustant un bon KFC entre amis (oui, c’est cliché), les festivités d’Oshōgatsu sont l’occasion de se retrouver plusieurs jours en famille autour de nombreuses traditions riches et complexes. Ici, au Nouvel An, on ne fait pas juste la fête…
C’est toujours amusant de voir les médias occidentaux couvrir le Nouvel An japonais en plaçant quelques caméras vers le ciel le soir du 31 dans l’espoir de voir des feux d’artifices merveilleux… Quelle erreur grossière. Certes, certains bars font le décompte sur Tokyo, d’autres tirent quelques feux. Mais ceci ne constitue pas le Nouvel An japonais, tout au mieux une mode sur fond d’occidentalisation de l’archipel. Bref, il est plus riche et complexe qu’on l’imagine.
Le Nouvel An nippon commence dès fin décembre quand les Japonais entament les « festivités » par le Nenmatsu no ōsōji, littéralement le grand ménage de fin d’année. En guise de purification de l’année qui vient de s’écouler, on se lance dans le nettoyage du moindre recoin, et on fait prendre l’air aux tatamis… Maisons, écoles, bureaux : tout le monde y passe. Il faut que ça brille !
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Dès le 26 décembre, toute référence à Noël disparaît : c’est parti pour le Nouvel An, et les décorations qui vont avec. Si vous êtes au Japon à cette période, ne soyez pas surpris de voir de grandes compositions de bambous et de pin de chaque côté de l’entrée des maisons et magasins : il s’agit des kadomatsu, disposés pour s’attirer les faveurs des dieux pour l’année à venir.
Il est également de coutume d’accrocher à sa porte un shime kazari (en corde sacrée) et on dépose dans le foyer un gros gâteau kagami mochi, surmonté d’une orange amère.
(Parenthèse culinaire : Si vous ne connaissez pas encore le mochi, il s’agit de ce gâteau de riz gluant pétri avec un énorme maillet. D’apparence inoffensive, il est pourtant responsable chaque fin d’année de la mort par étouffement de personnes âgées et de touristes… En effet, celui-ci est particulièrement difficile à mâcher et avaler. Vous êtes prévenus !)
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Les derniers jours de décembre sont consacrés à la préparation des mochi, mais aussi de tous les autres plats qui seront consommés les trois premiers jours de l’année, durant lesquels la tradition voudrait que l’on ne fasse rien, pas même la cuisine. Conservés dans de jolies boîtes compartimentées, ces osechi ryōri contiennent toujours des aliments synonymes de prospérité. La racine de lotus, par exemple, avec ses nombreux trous, est le symbole d’une vue dégagée vers l’avenir. Les longues moustaches et le dos courbé de la crevette représentent un souhait de longue vie. De nos jours, de moins en moins de mères de famille japonaise y consacrent du temps, course au travail oblige, et il est courant de commander ces plats tout préparés, voire même de les acheter au supermarché ou à la télévision !
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Le réveillon du 31 décembre (appelé ōmisoka), est l’occasion dans certains villages du Nord du Japon de s’adonner à une coutume pour le moins… étrange. Quelques hommes du village revêtent des costumes de namahage, une créature à l’aspect démoniaque, et vont de maison en maison avec des masques effrayants et des couteaux en hurlant « y a-t-il des enfants pleurnichards ici ? ». Rassurez-vous, le namahage finit par bénir les maisons visitées pour la nouvelle année sans tuer d’enfant ! Il est possible d’observer en ce moment même un de ces costumes face de la station JR d’Akihabara dans l’Atre.
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Le réveillon du Nouvel An « classique » est lui bien moins terrifiant, heureusement ! Il se passe généralement en famille, sauf pour les plus jeunes, qui font la fête entre amis. Les « anciens », eux, ont pour coutume de regarder l’émission musicale spéciale « Kohaku Uta Gassen » diffusée depuis plus de 60 ans, et de manger de très longues nouilles soba appelées toshikoshi, représentant la longévité. Attention, il faut absolument terminer entièrement ce dernier plat de l’année sous peine de s’attirer la malchance pour celle à venir !
Si, ensuite, beaucoup de personnes se rassemblent pour le décompte et font la fête dans les grandes villes, elles sont aussi nombreuses à se rendre au temple le plus proche, pour la cérémonie Joya no kane. Il s’agit de faire sonner la cloche 108 fois juste avant minuit, pour chasser les 108 tentations terrestres enseignées par le bouddhisme. Ainsi, dans les villages et même sur Tokyo, la soirée du réveillon est rythmée par ces grands coups de cloche.
Et alors que les courageux se lèvent très tôt (ou ne se couchent pas) pour admirer le hatsu hinode, premier lever de soleil de l’année, et boire le premier sake, o-toso, une autre cérémonie peu commune se trame ailleurs.
Dans les bureaux de poste de tout le pays, c’est le grand départ des cartes de vœux (nengajō). Cette coutume incontournable est prise très au sérieux : il faut absolument que les vœux arrivent le 1er janvier chez leur destinataire. Et une famille japonaise typique envoyant en moyenne 50 à 100 cartes, il y a du boulot ! C’est pourquoi, de plus en plus passent par des applications mobiles pour créer des nengajō numériques.
Néanmoins, des dizaines de millions de lettres sont envoyées en même temps. On peut dire merci à la Japan Post, l’une des sociétés de livraison les plus rapide et efficace du monde ! Du moins, pour l’instant. Privatisée en 2007, la Japan Post Holdings Co rencontre de sérieux problèmes pour maintenir ses bénéfices, générant licenciements et nouvelles contraintes managériales.
On profite enfin des premiers jours de janvier pour faire des jeux traditionnels en famille, offrir des étrennes aux enfants, manger osechi ryōri, zōni et mochi, et surtout pour pratiquer un autre rituel très suivi : l’hatsu mōde.
Il s’agit de la première visite de l’année au sanctuaire shintō ou au temple bouddhiste, même pour les japonais qui ne sont pas particulièrement croyants.
Les plus fréquentés voient défiler plus de 3 millions de visiteurs sur cette période. Beaucoup de japonaises en profitent d’ailleurs pour sortir leur kimono !
On dépose offrandes et vœux, on achète des amulettes et talismans, et on ramène ceux de l’année passée pour qu’ils soient brûlés lors d’une cérémonie formelle. De nombreux visiteurs tirent également un papier qui prédit la bonne fortune : l’omikuji. Si la prédiction est mauvaise, il faut l’attacher à un arbre de pin près du sanctuaire, pour conjurer le mauvais sort.
Sachez que votre premier rêve de la nouvelle année (dans la nuit du 1er au 2 janvier) peut, lui aussi, donner des prédictions. Bizarrement, si vous rêvez du Mont Fuji, d’un aigle ou d’une aubergine, vous ferez partie des plus chanceux !
Enfin, le 2 janvier correspond à la date très attendue non seulement de l’ouverture exceptionnelle au public du palais impérial (la foule s’y presse car cela n’arrive que deux fois dans l’année), mais également de la mise en vente dans beaucoup de magasins des fukubukuro. Ces « sacs surprises » contiennent un assortiment d’articles qui coûtent en réalité beaucoup plus cher que la valeur d’achat du sac (du moins, c’est supposé être le cas). Ceux qui engendrent les files d’attente les plus phénoménales sont les fukubukuro des magasins Apple, qui proposent parfois du matériel valant jusqu’à cinq fois la valeur dépensée ! Si vous avez la chance d’être au Japon en début d’année, profitez-en donc pour faire de bonnes affaires… ou au contraire faire preuve de sobriété.
Pour conclure en beauté, voici une petite vidéo de hatsumōde.
Bonne année/Akemashite omedetō à tous !