Avez vous déjà senti l’odeur des vapeurs d’encres japonaises encore chaudes ? Inlassablement ce même bruit de presse qui donne vie aux motifs un par un. Devant nos yeux, dans ce lieu obscur, se dessinent paisiblement les mouchoirs en tissu que les japonais utilisent depuis leur tendre enfance…

Nous sommes ici dans une des dernières fabriques de mouchoirs en tissu du Japon à Yokohama. Mais oui, souvenez vous, ceux de M. Hajime Nakanishi (CLASSICS・the・Small・Luxury 六本木ヒルズ店) dont nous vous avions confié l’histoire le mois dernier… Touché par la lecture de notre article, le président de Blooming en personne nous a invité à visiter l’usine où sa famille confectionne ses œuvres. Une opportunité de voir concrètement comment on passe de l’état d’une simple idée à un produit de haute qualité made in japan. Comment refuser son offre ?

Photographie : D.K. / Mr Japanization

Fait remarquable, malheureusement de plus en plus rare, leur entreprise continue de fabriquer en presque totalité au Japon, et ce même si le processus est bien plus cher, notamment en raison de salaires plus élevés. La qualité ne se monnaie pas ! Et, en dépit d’une mondialisation qui gangrène peu à peu la tradition, de nombreux japonais continuent de s’accrocher à cette qualité, ce qui permet de préserver un marché de niche. Le « made in Japan » reste un gage de sérieux et de développement économique. Jusqu’à quand ?

Nous voilà donc arrivés où s’opère la magie. L’architecture même de la fabrique symbolise à elle seule un certain état d’esprit qu’on aime associer aux Japonais. De dehors, on dirait une simple habitation, blanche, sobre et neutre. Impossible de s’imaginer qu’à l’intérieur, dans un dédale de chemins étroits, une fourmilière de talents s’affaire à créer la pièce unique. Un masque à part entière. Quelle incroyable machinerie humaine et technique est nécessaire pour créer un seul mouchoir en tissu… Car chaque symbole, chaque impression, chaque carré est renouvelé constamment, imposant un savoir-faire précis.

Concrètement, il existe ici 3 grandes techniques pour imprimer un motif sur un mouchoir en tissu. Passons sur la plus moderne, digitale et automatisée, mais finalement coûteuse et paradoxalement assez peu utilisée. Ceci s’explique par une machine à investissement élevé qui imprime lentement. L’offre est donc limitée pour des motifs très complexes.

Photographie : D.K. / Mr Japanization

Vient la technique d’impression en sérigraphie semi-mécanisée. La plus spectaculaire. Un tissu qui semble n’avoir aucune fin traverse une longue table roulante où viennent se fracasser de grand pochoirs contenant les motifs. La mécanique unique en son genre livre une musique étrangement reposante, d’autant que le processus est relativement lent mais perpétuel. La chaleur qui s’en dégage contraste avec le froid piquant de l’hiver japonais. On se croirait un instant dans les caves de la maison des bains du Voyage de Chihiro. Les boules de suie se cachant à notre vue. Le bruit nous submerge et nous invite à dormir, au risque de se faire avaler par la bête. Si la technique permet de produire un même mouchoir en grande quantité, les teintes restent limitées et la machine réclame une attention de chaque instant. À ces limites, rien de tel que l’approche traditionnelle…

Photographies : D.K. / Mr Japanization

L’impression manuelle est sans doute la plus impressionnante. D’abord, l’équipe étale un long tissu blanc sur une table inclinée à 45% et chauffée sur plus d’une vingtaine de mètres. La matière doit être parfaitement plate et lisse. Section par section, on vient placer manuellement un pochoir géant sur le coton ou le lin immaculé. Un ouvrier déverse alors la couleur dont les teintes sont précisément étudiées en amont. Il racle la couleur sur le pochoir en un seul mouvement bref. Aucune goutte ne peut tomber à côté. L’opération délicate est reproduite autant de fois qu’il existe de couleurs dans l’image ! Imprimer un seul modèle complexe peut ainsi prendre toute une matinée. Mais attention, au moindre millimètre mal placé sur une seule des couches, ce sont des heures de travail qui partent en fumée…

Photographies : D.K. / Mr Japanization

En fin de chaîne, un four géant avale insatiablement le tissu fraîchement imprimé afin d’ancrer la couleur pour toujours dans ses fibres. Se faufilant entre les tuyaux d’acier qui libèrent leur vapeur, une petite vitre nous invite à observer les ombres des futurs mouchoirs virevolter sous des rayons rougeoyants. Dans cette atmosphère étrange, presque mystique, le concept même du mouchoir en papier devient flou et disparaît. Comment ne pas être submergé par ce paradoxe un peu fou entre tout le génie humain à l’origine de cette monstruosité de métal, et la volupté infinie de ce mouchoir qui épongera peut-être un jour les joues délicates d’une japonaise ingénue. Un démon enfantant d’un ange.

D.K. / Mr Japanization

Exemple de mouchoir terminé.
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