En 2021, nous vous présentions le projet de Chin et Pierre : construire leur maison roulante pour sillonner les routes du Japon à la rencontre de personnes vivant loin du rythme effréné imposé par la société contemporaine. Trois ans plus tard, leur rêve s’est accompli. Et comme promis, le couple nous partage les précieux moments qu’ils ont vécu dans un documentaire : Wara Nihon.

Retour en 2021, quand tout a commencé pour Chin et Pierre : « A l’époque, nous vivions encore à Tokyo, nous avions des envies et des projets pleins la tête, dont celui de construire une maison mobile et de partir sur les routes du Japon pour voir une autre facette de l’archipel et en faire un documentaire.

Et bien, tout ce que nous souhaitions s’est réalisé ! Nous avons voyagé et vécu pendant un an dans notre maison mobile auto-construite et nous avons réalisé un film documentaire intitulé « Wara Nihon ». »

« Nous », c’est ce couple formé par Pierre et Chin, un Français et une Japonaise d’origine chinoise. Avant de vivre ensemble à Tokyo, chacun avait expérimenté un mode de vie sobre, à contre-courant de l’hyper-consumérisme moderne.

Comme nous le détaillions à l’époque, Chin avait habité seule une maison abandonnée sans électricité au Pérou où elle prit conscience de l’importance de la Nature et du respect à lui porter. Quant à Pierre, il avait vécu dans un petit village campagnard français où lui aussi était proche de la nature ainsi que des êtres vivants la peuplant. Leurs chemins se sont croisés au Myanmar (Birmanie) dans un centre de méditation bouddhiste, ce qui les a menés vers une nouvelle vie à deux, au Japon.

Leur séjour à Tokyo représenta un arrêt temporaire pour mieux retourner sur la route. Le temps de faire quelques économies pour Chin, celui de découvrir une mégalopole pour Pierre qui a eu la malchance d’arriver à Tokyo en même temps que la pandémie de coronavirus. Un an et demi entre confinement et choc citadin.

Au sein de cette fourmilière bétonnée et robotisée, le couple a su dénicher des îlots de résistance, des Japonais refusant la déconnexion citadine, toujours liés à l’environnement et aux êtres la composant.

« Le capitalisme divise et crée l’esprit de compétition. Il permet d’être très efficace, mais dans cette course, nous nous perdons » Kenji Usui, Wara Nihon

Alors, Pierre et Chin ont acheté un camion sur lequel ils ont posé une cabane de 4m2. Avec cette maison roulante, ils sont partis durant un an sur les routes de l’Archipel munis d’une caméra pour Pierre et de pinceaux pour Chin. Le projet « Wara Nihon » prenait vie, inspiré de l’ouvrage de Masanobu Fukuoka Wara Ippon (La Révolution d’un seul brin de paille) sur l’agriculture « sauvage ».

Pierre et Chin, eux, sont deux brins de paille (Nihon, ‘ni’ 二 = 2), plus forts ensemble, partis mener une vie minimaliste ramenée à l’essentiel, partis à la recherche d’individus qui « n’écoutent que leur cœur et qui vivent à leur façon, connectées à ce qu’elles sont vraiment et à leur environnement proche. »

« Deux brins de paille, tu peux les assembler entre eux. Et c’est solide, ils ne se casseront pas. » (bande-annonce)

Ce serait (divul)gâcher que d’égrener les rencontres que Pierre et Chin firent sur les routes, de Shikoku jusqu’à Hokkaido. D’une certaine manière d’ailleurs, cela ne se raconte pas. Cela se ressent au visionnage de « Wara Nihon » dont la sérénité traverse l’écran pour englober le spectateur dans une bulle hors du temps.

Tout au plus, nous nous contenterons d’esquisser les moments qu’ils passèrent chez Himeno et Keiko, habitants de la montagne de Mitake sans eau courante ni électricité. Ou leur participation à un festival ancestral aïnou, ce peuple autochtone d’Hokkaido. A Fukaya, Kenji Takeishi a préservé une ancienne fabrique de saké en la transformant en cinéma. Oizumi-san est potier, il milite contre le nucléaire et refusa de commercialiser ses œuvres pour conserver sa liberté de création.

La grainothèque de Kenji Usui.

Dans la maison d’hôtes Shantikuti à Ikeda, le gardien Kenji Usui a crée une grainothèque où toute personne est libre de venir se servir, s’engageant simplement à rendre le double de graines qu’elle a prises après sa récolte.

Et bien d’autres moments touchants encore… L’essence de ces rencontres, nous laissons le soin aux spectateurs de le ressentir eux-mêmes devant « Wara Nihon ».

Au départ, Pierre et Chin s’étaient lancés au hasard, sans autre guide sur la route à suivre que la météo. Puis les rencontres (et la publicité faite par des magazines) les ont faits (re)connaître et ont favorisé les connexions : chaque personne leur proposant d’aller à la découverte d’une autre.

Alors, le chemin du couple ne fut plus dépendant de la météo. Il se mit à suivre un fil reliant les individus. A chaque halte, Pierre et Chin offrent leur aide, partagent le quotidien et la philosophie de vie de leurs hôtes, pour recevoir en retour de quoi nourrir leur corps et leur âme.

Après cette année sur les routes, le couple n’est pas retourné vivre à Tokyo. Bien au contraire : « A la fin de notre tournée de projections en avril 2024, nous nous sommes installés dans une maison abandonnée depuis sept ans, dans les montagnes d’Ooka (préfecture de Nagano), pour essayer d’y mener une vie simple, et de faire le maximum de choses par nous-mêmes. »

Leur documentaire Wara Nihon a été finalisé en décembre 2023. S’en est suivie en début d’année une tournée de projections citoyennes, de Yakushima à Nagano.

Et Pierre d’expliquer : « Les citoyens organisaient les projections, s’occupaient de la logistique, de la communication, et nous nous rendions sur place avec notre maison mobile pour échanger avec les spectateurs après la projection. Nous avons partagé une quarantaine de projections sur la route, dans des lieux plus particuliers les uns que les autres (des fermes, des universités, des temples ou encore des cafés), chaque projection fonctionnant sur le don libre. »

Wara Nihon fut également sélectionné au Hokkaido international film festival. Une diffusion en France est à l’étude via des partenariats de diffusion, des projections citoyennes, lors de festivals ou en ligne.

– S. Barret