Si les barrières tombent peu à peu dans le monde, il reste parfois difficile d’assumer son identité dans nos société moderne et l’affaire est encore plus compliquée au Japon où les traditions sont solidement ancrées. Comment arriver à s’en libérer ? C’est le sujet du film « I am what I am », à découvrir gratuitement pendant 3 mois.
I am what I am est un film de 2022 écrit par Asada Atsushi et réalisé par Shinya Tamada.
Nous y suivons Kasumi qui, à 30 ans, a abandonné son rêve de devenir violoncelliste professionnelle. Elle retourne ainsi vivre avec ses parents et sa grand-mère, et accepte un travail ennuyeux dans un centre d’appel. Sa mère, elle, cherche désespérément à la marier, mais la jeune femme n’a aucun attrait pour l’amour. Très peu de gens la comprennent et sa quête de liberté ne fait ainsi que commencer.
Pas de bonheur sans mariage ?
Même si le monde change, au Japon, on n’en démord pas : pour être heureux, il faut être marié ! Un constat qui vaut encore plus pour les femmes dont le mariage est en surface faussement synonyme d’épanouissement mais s’avère surtout une cage dorée.
Dans I am what I am, Kasumi tient justement plus que tout à sa liberté. Hélas, partout où elle se rend, elle se heurte à des murs. Et la première à en ériger autour d’elle, c’est sa propre mère. Motivée par une certaine pression sociale, elle lui arrange même une rencontre contre son gré.
Lors de ce rendez-vous arrangé, sa mère prononce plusieurs phrases terribles sur la situation amoureuse de la Japonaise. « Dis-moi, tu as un petit ami ? Non. Tu es amoureuse de quelqu’un ? Non. Alors quel autre choix as-tu ? ». Pourtant, quelques minutes plus tard, le constat de sa fille est sans pareil : « Je me fiche de l’amour et du mariage. » confie-t-elle à celui qui semble aussi embarrassé qu’elle par cette mise en scène.
« il est difficile de s’émanciper d’une certaine idée préconçue du bonheur »
Le film de Shinya Tamada nous montre alors combien il est difficile, même pour une femme de 30 ans, de s’émanciper d’une certaine idée préconçue du bonheur. Et ce, encore moins quand on a une façon de ressentir les choses bien différente de la plupart des personnes autour de nous.
I am what I am : c’est quoi l’amour ?
Kasumi n’est en effet pas une femme comme les autres. Le cliché de la « Cendrillon qui rêve du prince charmant », elle le fait exploser de toutes ses forces. Au-delà des poncifs véhiculés depuis des siècles – ne serait-ce que par les contes pour enfants -, Kasumi veut, elle, écrire sa propre histoire. Elle souhaite ainsi s’éloigner au plus vite des préjugés.
Oui, elle veut crier au monde qu’il existe une alternative. Non pas en se forçant à être différente mais tout simplement en l’étant par nature. Car le combat de la Japonaise, c’est bien de faire comprendre qu’elle n’a pas choisi qui elle est.
Elle est en effet comme elle est née et le plus dur, c’est de faire accepter cet état de fait au plus grand monde. Asexuelle, elle ne ressent pas d’attraction pour qui que ce soit. En est-elle plus malheureuse pour autant ? Bien au contraire, et le malaise naît finalement toujours du regard de la plupart des autres qui ne sont pas assez ouverts et en phase avec eux-mêmes pour l’accepter. La différence, hélas, effraie encore et toujours, où qu’elle se mue.
I am what I am sait nous amener avec notre héroïne dans un monde aussi clivant que chaleureux, porté par une réalisation aussi discrète qu’efficace.
Une caméra intimiste
La réalisation de Shinya Tamada se veut en effet très délicate pour ne pas parasiter le propos que le film soutient. Le Japonais utilise ainsi beaucoup de plans séquences à la mise en scène très fluide et recherchée.
La caméra se place ainsi comme le témoin pudique de moments de vie charnières dans celle de Kasumi. La jeune femme va s’émanciper et s’assumer telle qu’elle est, mais le chemin pour y arriver est parsemé d’embûches personnelles et sociétales qu’elle devra souvent affronter seule.
Et pour donner corps à un personnage aussi fort, il ne fallait rien de moins que le talent de Toko Miura. Découverte sur la scène internationale grâce à son rôle de chauffeur dans l’excellent Drive my Car de Ryusuke Hamaguchi, elle excelle un an plus tard dans ce I am what I am dont elle est de tous les plans. Tour à tour en colère, pensive ou rayonnante, elle nous désarçonne par sa sincérité à fleur de peau et nous demande de la soutenir dans son aventure. « Je ne comprends rien à l’amour. » nous dit-elle. Le spectateur découvre alors, tout au long du film, que ce n’est finalement pas grave et que l’on peut tout simplement vivre sans.
I am what I am est un beau film sur le combat contre les préjugés tenaces et la pression sociale, que ce soit partout dans le monde et encore plus sur l’archipel quand on est une femme.
Portée par une actrice principale touchante et une réalisation qui donne sa place aux sentiments, l’œuvre de Shinya Tamada est à découvrir gratuitement sur le site du Japan Film Festival. Il vous suffit pour cela de créer un compte et, tous les trimestres, vous pourrez découvrir plusieurs films japonais sans dépenser un centime.
Stéphane Hubert