Une fois de plus, le sang de centaines de dauphins coule inutilement à Taiji dans la province de Wakayama. Malgré les pressions des associations comme Sea Sheperd et Greenpeace depuis des années, malgré les injonctions de la communauté internationale, de personnalités publiques et politiques, cette année encore des pêcheurs sillonnent la baie y piégeant les dauphins soit pour les tuer sur place, soit pour les capturer et les revendre aux delphinariums du mond. Si depuis une dizaine d’années le nombre de dauphins massacrés a été divisé par dix, les quotas de chasse sont encore élevés. Taiji, surnommée la baie de la honte, peut continuer de porter le nom qu’elle a grandement mérité à l’aune du massacre des dauphins.
En 2009, grâce au documentaire « The Cove, la baie de la honte » filmé secrètement en 2007, le monde découvrait l’horreur du massacre annuel des dauphins dans la baie de Taiji, au Japon. Chaque année y sont abattus des centaines de dauphins, autrefois dans la discrétion et l’ignorance, aujourd’hui en pleine lumière, sous le feu d’une indignation internationale dont les pêcheurs du village de Taiji n’ont cure. Au contraire, ces critiques renforcent leur volonté d’aller chasser, la centaine de pêcheurs visés y voyant des « motivations racistes », un « impérialisme culturel » envers une tradition ancestrale remontant au XVIIème siècle, alors qu’en Occident existe la corrida (contre laquelle des associations luttent aussi, ce qu’ils omettent habilement). Ils revendiquent le droit de se nourrir de la chair des dauphins tout comme les occidentaux se nourrissent de la viande de cheval ou de grenouille.
En outre, ils avancent l’argument que de tuer les dauphins est nécessaire pour préserver un nombre suffisant de poissons pour la consommation humaine. Les dauphins mangeant trop de poissons, ils seraient néfaste pour la pêche. Une idée totalement fausse du point de vue scientifique mais qui séduit de plus en plus… Quant au gouvernement japonais, il invoque ses lois pour justifier cette chasse traditionnelle, des lois ont même été votées pour assimiler le fait de filmer ou photographier le massacre des dauphins à un acte terroriste !
Il refuse aussi toute autorité à la Commission baleinière internationale, son domaine d’activité se bornant à la surveillance des baleines (un sujet sur lequel le Japon est régulièrement épinglé pour sa pratique de la chasse scientifique qui n’a de scientifique que le nom). Une Commission par ailleurs critiquée dans le documentaire « The Cove, la baie de la honte » pour la corruption qui y sévirait à l’instigation du Japon notamment. Les médias japonais, eux, pratiquent l’omerta et avant « The Cove » la majorité des Japonais eux-mêmes n’avait pas connaissance de ce massacre « traditionnel » ce qui n’a pas vraiment changé depuis sa parution.
https://www.youtube.com/watch?v=Z0KPJCRwUvk
Tradition ou business bien moderne ?
La justification de cette pratique au nom de la tradition a fait long feu, d’autant plus que certaines sources ne la font remonter qu’à la fin des années 1960 et non au XVIIème siècle. La première chasse aux dauphins organisée en baie de Taiji a eu lieu en 1969 (24 ans APRÈS Hiroshima), pour les besoins du Musée des Baleines de Taiji, ce qui signifie que cette grande « tradition » n’aurait que 49 ans…
Car si le massacre continue c’est principalement par appât du gain. Oui, autrefois la chasse locale aux dauphins (et aux baleines) à Taiji et dans d’autres petites villes japonaise était nécessaire pour nourrir la population. Les cétacés représentaient une source de protéines que les habitants ne trouvaient pas ailleurs. Et cette pêche n’avait pas l’allure du massacre qu’elle n’a pris qu’au milieu du XXème siècle. Aujourd’hui, hormis quelques amateurs (qu’on estime à 2% de la population), les Japonais ne se nourrissent plus de viande de dauphins – ni de baleines) – et certains ne comprennent d’ailleurs pas l’obstination de leurs compatriotes à massacrer des dauphins à Taiji. La demande est donc pratiquement inexistante.
Si les dauphins sont toujours chassés à Taiji ce n’est plus principalement pour leur viande mais surtout pour répondre à la demande juteuse des delphinariums du monde entier. Sur le marché international, un jeune dauphin peut se vendre jusqu’à 130 000€ pièce ! Les dauphins arrachés à leur milieu naturel et à leur groupe sociaux y mèneront une vie de captivité, dressés par la faim pour se produire en spectacle tels des clowns amusant des visiteurs inconscients. Et le tout, dans le but officiel, dixit les delphinariums, d’améliorer la connaissance et la protection des cétacés ! Le cynisme à son paroxysme.
Le vrai coût du divertissement des delphinariums payé par les dauphins : volés à la Nature, gardés en esclavage, alors qu’ils devraient être laissés libres.
À Taiji, lors de la saison de chasse entre septembre et mars, les pêcheurs rabattent chaque jour des dauphins dans la baie où ils décideront de leur sort le lendemain après les avoir laissés s’affaiblir durant la nuit, pris au piège de leurs filets. Au petit matin, les créatures affaiblies se laissent capturer facilement. Le travail d’associations permet d’avoir une estimation annuelle précise du nombre de dauphins capturés, tués et des espèces concernées : lors de la saison de chasse 2017-2018 sur les 919 dauphins capturés, 614 ont été massacrés, 106 ont été placés en captivité dans les delphinariums et 199 ont été relâchés d’après Réseau-Cétacés, la plus ancienne association de protection des cétacés en France (les chiffres pour la saison 2018-2019 sont disponibles en direct sachant que les quotas autorisent la mise à mort de 2040 dauphins pour cette saison).
« Cela m’a frappé droit au cœur. S’il y a bien une chose pour laquelle vous voulez vraiment vous battre et protester, c’est bien celle-ci : si chacun pouvait faire ne serait-ce qu’un petit peu pour ce qu’il croit, nous pourrions ensemble, je l’espère, faire de ce monde un endroit meilleur. » s’en était indignée Maisie Williams, alias Arya Stark en 2016.
Les plus beaux spécimens sont donc sélectionnés pour être vendus aux delphinariums tandis que la grande majorité des dauphins sera massacrée discrètement sous des bâches à l’abri des caméras – les autorités veillant à filtrer les journalistes étrangers. Les pêcheurs leur transpercent la colonne vertébrale à l’aide d’une tige métallique causant une mort lente : les dauphins agonisent près d’une demi-heure, mourant dans terribles souffrances par noyade, suffocation et/ou hémorragie. Leur viande, vendue environ 400€ par tête, finira sur les étals et les restaurants parfois sous l’appellation mensongère de « viande de baleine » pour augmenter son prix. Jusqu’il y a quelques années, elle était même servie dans des cantines scolaires de la région. Une viande qu’il est pourtant dangereux de consommer, la pollution des océans ayant entrainé une importante contamination au mercure dans les grands prédateurs d’où aussi sa transformation marketing en viande de baleine. Quand au petit nombre de dauphins relâchés, le traumatisme vécu et la perte de membres importants de leur groupe rendent leur survie incertaine, surtout pour les plus jeunes.
Les internautes peuvent suivre le massacre heure par heure grâce aux compte-rendus facebook réguliers des membres de l’association Dolphin Project présents sur place, témoins impuissants de l’horreur. Cette association fut créée le 22 avril 1970 (date du Jour de la Terre) par Richard O’Barry, un ancien dresseur de dauphins pour des delphinariums et la célèbre série télé « Flipper le dauphin ». C’est en 1970 après qu’un dauphin de cette série soit mort dans ses bras (mort dont il est intimement convaincu qu’il s’agit d’un suicide) qu’il a brutalement pris conscience de la maltraitance qu’il infligeait à ces animaux dont il avait perçu la grande intelligence. Dolphin Project a vu le jour le lendemain de ce drame, acte de naissance de la lutte contre l’exploitation des dauphins que Richard O’Barry mène toujours après plus de quatre décennies, à l’âge de 78 ans.
Richard O’Barry est à l’origine du documentaire « The Cove, la baie de la honte » (où il apparait aussi dans le rôle principal) récompensé aux Oscars qui témoigne de son engagement profond contre le massacre des dauphins, notamment celui de Taiji dont il a porté l’existence à la connaissance du grand public à travers le monde. Il travaille désormais pour l’association française « One Voice » engagée « pour les droits des animaux et le respect de toute vie ». Son association Dolphin Project lutte contre la capture, l’exploitation et le massacre des dauphins. Elle se charge aussi de rééduquer d’anciens dauphins captifs afin de les relâcher dans leur milieu naturel qu’ils n’auraient jamais du quitter.
Toujours rongé par la culpabilité d’avoir participé au développement de l’industrie des delphinariums via le succès de « Flipper », Richard O’Barry s’efforce désormais d’informer le grand public sur les traitements et conditions de vie en captivité des dauphins dans les parcs aquatiques pour que ces derniers soient amenés à cesser leur activité faute de clients. Et qu’ainsi cesse la demande de capturer des dauphins comme c’est hélas encore le cas à Taiji sur fond de ferveur nationale et d’une pseudo tradition qui n’en est pas une.
Un espoir se fait jour au Japon même, car cette année huit villes japonaises se sont élevées contre le massacre de Taiji au cours du Japan Dolphin Day, évènement mondial annuel qui se tient le 1er septembre (jour d’ouverture de la chasse à Taiji) pour dénoncer le massacre. Il est de plus en plus difficile pour les médias japonais et les autorités de faire la source oreille. Et le fait que les Japonais s’opposent à l’horreur de Taiji est le moyen le plus efficace pour faire à terme cesser le massacre par la pression de l’opinion publique, en plus des campagnes d’informations sur cette tragédie et de préventions contre la fréquentation de delphinariums. Les J.O. de 2020 devraient d’ailleurs être un moment clé dans cette lutte alors que les regards du monde entier seront tournés vers le Japon.
S. Barret
Sources : communiqué de presse de Réseau-Cétacés / interview de Richard O’Barry / notre-planete.info / maxisciences.com / Crédit image : Ric O’Barry’s Dolphin Project