En occident, le réveillon de Noël c’est la fête de famille par excellence, réunissant parents, enfants, grands-parents… autour du sapin et d’un bon repas. Et ce, que Noël soit fêtée de façon religieuse ou profane. La nuit du Nouvel An est plus facilement passée entre amis. Au Japon, c’est exactement l’inverse. Dans un pays où la religion catholique est très peu présente, Noël est aussi certes, une occasion de se réunir en famille, mais surtout entre amis et amoureux (et tristement d’aller manger du poulet KFC pour beaucoup). La vraie fête japonaise traditionnelle familiale c’est le Nouvel An, le « Oshôgatsu » ! Poulpy vous explique tout.

Origine et préparatifs

Le « Oshôgatsu » 正月 est même LA fête la plus importante de l’année au Japon. Tellement importante que les Japonais, réputés pour ne pas prendre tous les jours de vacances auxquels ils ont droit, posent nécessairement des congés à cette période pour se réunir en famille.

À l’origine, sa date de célébration se basait sur le calendrier lunaire chinois. Mais après la Révolution Meiji, le nouveau gouvernement désireux de moderniser le Japon a pris modèle sur les pays occidentaux dans de nombreux domaines et a décidé en 1873 de faire coïncider le Shôgatsu avec le 1er janvier du calendrier grégorien. Hormis cette concession « à la modernité », le déroulement du Oshôgatsu n’a pas varié au fil des siècles.

Un évènement aussi important se prépare des jours en avance. Cela débute par un ménage intégral dans les derniers jours du mois : « Ôsôji » 大掃除. Il s’agit de nettoyer son domicile de fond en comble pour le purifier. On fait également le tri de ses affaires pour jeter ce qui est devenu inutile ou réparer les objets auxquels on tient (surtout qu’un objet délaissé pourrait se transformer en yôkai !), on aère les tatamis, on renouvelle le papier des shôji. On s’assure également d’avoir réglé toutes les factures et dettes impayées. De même qu’on échange des présents « oseibo » お歳暮 avec ses collègues. Grâce à tous ces préparatifs, on s’assure de démarrer la prochaine année sur des bases neuves. C’est aussi à cette période que l’on prépare les décorations typiques du Nouvel An comme le « kadomatsu » 門松 et le « shimekazari » 注連飾り.

Inspiré de l’ikebana, le kadomatsu (« pin du seuil ») est une composition de pin noir et de bambou sur une base de paille de riz tressée dont l’origine remonte à l’ère Heian (794-1185). Si sa composition peut légèrement varier d’une région à l’autre, le kadomatsu reste aisément identifiable avec ses trois morceaux de bambou biseautés de longueur inégale pour symboliser le ciel, la terre et l’humanité. Le pin est, lui, symbole de longévité quand la santé est associée au bambou.

Un kadomatsu avec du pin, du bambou mais aussi des choux ornementaux et quelques autres décorations. Source : commons.wikimedia.org

Les kadomatsu vont par paire. Les particuliers les disposent de chaque coté de leur entrée entre le 13 et 30 décembre pour qu’ils la gardent. Ils sont laissés en place jusqu’au 7 voire plus rarement au 15 janvier au plus tard. On peut également en apercevoir à l’entrée des entreprises et des sanctuaires. Car le kadomatsu sert de maison temporaire aux kamis (dieux) de la nouvelle année, les « Toshigami »  年神. C’est pourquoi on ne les jette pas vulgairement à la poubelle – et il serait mal vu de les garder pour les réutiliser l’année suivante – mais qu‘ils seront amenés dans un sanctuaire pour être brûlés et permettre aux kamis de repartir. Il en existe de toutes les tailles, les plus imposants étant évidemment les plus onéreux, ce qui permet d’afficher discrètement son aisance financière.

Flanquée de ses kadomatsu, la porte d’entrée est ornée d’un shimekazari 注連飾りpour attirer les divinités de la chance et repousser les mauvais esprits. Cette décoration est composée d’une corde sacrée que l’on retrouve dans les sanctuaires : le shimenawa 標縄 et qui délimite une enceinte sacrée. Elle doit être fabriquée à la main à partir de paille de riz torsadée en double ou triple hélice. S’y ajoutent plusieurs ornements : le plus souvent des bandes de papier pliées « gohei » , une orange amère « daidai », des fougères « urajiro » , mais on voit aussi un éventail, des cordelettes de papier « mizuhiki » , divers petits objets porte-bonheur (comme cette magnifique grue, symbole de longévité, en mizuhiki)…

Un « shimekazari » typique. Source : flickr

Comme le kadomatsu, le shimekazari sera emmené vers la mi-janvier dans un sanctuaire pour être brûlé rituellement à son tour sur un bûcher lors du « dondoyaki »  どんど焼き.

En même temps que les honneurs rendus aux kamis, il faut aussi penser à préparer bien en avance les cartes de vœux « nengajô » 年賀状  destinées à sa famille, ses proches et ses collègues – soit entre 50 et 100 cartes – et qui doivent idéalement être délivrées le 1er janvier (le 7 au plus tard). Il faut les poster entre le 15 et 25 décembre pour que la Poste soit en mesure de les regrouper par adresse et de les distribuer à cette date. Elles sont souvent illustrées de l’animal du Zodiaque japonais de la nouvelle année.

Celles vendues par la Poste (« nenga hagaki » 年賀はがき) comportent un numéro de loterie qui permet de faire gagner divers lots, voyage, télévision, ordinateur, carnet de timbres… Le 1er janvier, une cérémonie spéciale se tient devant tous les bureaux de poste pour marquer solennellement la délivrance des cartes de vœux, ici à Osaka en 2015 :

Les repas pendant la période du Nouvel An

Comme dans tous les pays, le Nouvel An japonais possède ses traditions culinaires.

Le Réveillon du Nouvel An, « Ômisoka » 大晦日, au soir du 31 décembre, est plus frugal que celui auquel on est habitués en occident. Le plat principal consiste en une soupe chaude à base de dashi, de sauce soja et de mirin que l’on déguste avec des nouilles de sarrasin « soba » et appelée « toshikoshi soba »  年越しそば. La longueur des nouilles est synonyme de longévité et donc de bon augure. La soupe peut aussi être garnie au choix de tempura, d’oignons, d’algue wakame, de daikon, de crevette, d’œuf…

Il est de coutume de ne pas cuisiner pendant les trois premiers jours de l’année (les sanganichi 三が日) pour privilégier le temps passé en famille. Il faudra avoir préparé (ou acheté) en avance des mets spécifiques qui seront disposés dans une boite laquée spéciale le « jûbako » 重箱 semblable à une boite à bento.

Osechi ryori dans sa boite laquée. Source : flickr

Ces plats traditionnels « Osechi ryôri » 御節料理, possèdent chacun une symbolique en rapport avec les vœux que l’on forme pour le futur. On déguste notamment de la daurade « tai » car son nom rime avec « medetai » (« félicitations ») et porte donc chance ; des racines de lotus « renkon » dont les trous aident à voir l’avenir ; des crevettes « ebi » car leurs longues moustaches rappellent les barbes des personnes âgées et sont donc de bon augure pour une vie longue ; des haricots noirs « kuromame » en référence à la promesse d’un travail acharné car on retrouve le son « mame » dans l’expression « travailler dur » ; de l’omelette sucrée « datemaki » dont la forme qui se déroule est assimilée à la volonté d’apprendre ; et bien d’autres plats chargés en symboles.

Parmi les autres plats incontournables du Nouvel An qu’il faut aussi citer : la soupe zôni 雑煮 dont la recette diffère selon la région ou même la famille. Mais la base demeure : un bouillon de dashi, de miso blanc, de sauce soja dans lequel on plonge du mochi (parfois remplacé par du tofu), des légumes, de la viande…

Si les vivants se régalent, on n’oublie pas de nourrir aussi ses ancêtres. C’est à leur intention que l’on aura préparé un mochi (gâteau de riz gluant) spécial, le « kagami mochi » 鏡餅 (gâteau miroir) et qui prendra généralement place dans l’alcôve « tokonama » ou dans l’autel dédié aux ancêtres. On confectionne deux mochis de taille différente pour pouvoir les superposer. On les surmonte d’une orange amère « daidai » ou d’une mandarine « mikan » qui doit encore posséder une feuille verte. Là encore, il existe des variations : trois mochis au lieu de deux, présence d’une fougère, d’une branche de kaki, des gohei, d’un ornement fait de mizuhiki, d’un minuscule éventail placé à son sommet..

Exemple d’un kagami mochi. Source : flickr

Le kagami mochi sera cassé au maillet – car le mochi ordinairement mou aura eu le temps de durcir – et mangé soit lors de la cérémonie shinto kagami biraki 鏡開き célébrée le 11 janvier (et également très présente dans les dojos d’arts martiaux), soit le deuxième samedi ou dimanche de janvier.

Les premières fois

Peu avant minuit, dans les temples, les moines font sonner 108 fois leur cloche pour se purifier des 108 tentations terrestres existantes selon le Bouddhisme. Il faut que le 108ème coups retentisse tout juste à minuit pour inaugurer la nouvelle année. C’est le « joya no kane » 除夜の鐘 auquel des croyants peuvent parfois se joindre selon le temple. Le nombre de « sonneurs » doit également être de 108.

Dès minuit, après l’Ômisoka et le joya no kane, les Japonais ont l’habitude de se rendre au temple ou au sanctuaire pour la première visite de l’année, le « hatsumôde » 初詣. Ils se purifient à la fumée de l’encens, font une offrande d’argent « saisen » 賽銭, prient, achètent une amulette protectrice « omamori » 御守 et tirent des prédictions « omikuji » 御御籤. Cette première visite se concentrant principalement sur les trois premiers jours de l’année, les lieux de culte accueillent donc des millions de Japonais durant ce court laps de temps.

C’est au matin du jour de l’an que l’on doit boire le premier sake de l’année, le « toso » 屠蘇 – servi aussi directement dans certains sanctuaires – et réputé pour avoir des propriétés médicinales grâce au mélange d’épices et d’herbes qu’on y a dilué (le tososan). Son nom signifie littéralement « tuer les mauvais esprits ». Il s’agit de guérir des maladies de l’année passée et de rester en bonne santé durant celle qui débute.

Autrefois, la croyance voulait que pour atteindre ce but, ce sake devait être bu du membre le plus jeune au plus âgé de la famille. De nos jours, c’est le chef de famille qui boit le plus souvent en premier. Le toso se boit dans trois coupes laquées « sakazuki », en commençant par la plus petite, et en les faisant circuler, chaque membre en prenant une gorgée.

Un service pour boire le toso. Source : flickr

Les Japonais attachent également une grande importance au premier lever de soleil de l’année, le « hatsuhinode » 初日の出. Selon le Kojiki 古事記, recueil des mythes fondateurs du Japon, la divinité du soleil est la déesse Amaterasu, protectrice du Japon et dont la lignée des empereurs japonais descendrait, ce qui explique la vénération des Japonais pour cet astre. Les Japonais se rassemblent dans les lieux où le lever du soleil est le plus visible. Les plus chanceux peuvent gagner par tirage au sort le droit de l’admirer depuis la Tokyo Skytree ; un vol spécial est même organisé par la Japan Airlines pour admirer le mont Fuji sous les premiers rayons solaires. Dès que ces derniers paraissent, on prie pour le bonheur de la nouvelle année.

Dernière coutume du Nouvel An japonais à mentionner, et peut-être la plus amusante : l’attention accordée au premier rêve fait dans la nuit du 1er au 2 janvier, le hatsuyume 初夢. Ce rêve prédit si l’on aura de la chance durant l’année à venir. Il est de bon augure de rêver, dans l’ordre d’importance : du mont Fuji, d’un faucon, d’une aubergine, c’est le « Ichi-Fuji, ni-taka, san-nasubi » . À toutes et tous, une très belle année sous le regard bienveillant du soleil levant.

S. Barret