Masaaki Hiroi fut un artisan japonais renommé qui a dédié sa vie à la fabrication de jouets en bois. Sa spécialité : les toupies « koma » populaires à l’époque Edo (1603-1868) tant auprès des enfants que des plus grands. Un jouet traditionnel auquel il a su apporter une touche marquante de fantaisie et d’originalité en leur donnant vie… Malheureusement, Masaaki Hiroi nous a quitté en 2019. Nous lui rendons hommage à travers cet article.

Né en 1935, Masaaki Hiroi était un artisan de jouets en bois peint de couleurs vives de la quatrième génération, formé par son père lorsqu’il avait déjà une trentaine d’années. Il s’est dévoué à son métier durant plusieurs décennies – au point de fabriquer encore des jouets à plus de 80 ans – et de devenir un expert des toupies d’Edo. Sa longue maîtrise lui permit d’accéder au rang d’artiste reconnu au Japon. Si les toupies « kyoku-goma » paraissent simples d’aspect, il faut pourtant un grand savoir-faire pour leur conférer équilibre et vitesse.

Mais il n’a pas seulement perpétué la tradition d’un artisanat ancien, il l’a aussi renouvelée. Son imagination fertile lui a soufflé l’idée d’ajouter aux toupies des objets, des personnages, qui se mettent en mouvement grâce à la force de rotation de la toupie. Masaaki Hiroi en a ainsi crée plus de 4 000 durant sa longue carrière !

Les jouets crées par Masaaki Hiroi se doivent d’allier fonctionnalité, originalité et amusement : « Je veux faire rire les gens qui achèteront mes jouets. Et faire des jouets que tout le monde, vieux et jeunes, hommes et femmes, peut apprécier. » déclarait-il lors d’une interview. Il espérait que l’attention des enfants ne soit pas seulement focalisée sur les nouvelles technologies, mais qu’ils puissent aussi aimer des jouets plus traditionnels et continuer à les faire vivre.

A 80 ans, il confiait avoir moins d’idées en vieillissant, même s’il se sentait toujours vif quand il commençait à travailler sur un nouveau jouet. Le temps de sa vie avait filé si vite qu’il aurait aimé pouvoir vivre jusqu’à 200 ans pour continuer à créer des jouets et s’améliorer.

Divers toupies « animées » de Masaaki Hiroi. Source : mingeiarts.com

Si les toupies ne tournent que durant 10 à 20 secondes, ce court laps de temps doit suffire à provoquer de la joie chez son possesseur, et même raconter une histoire. Pour cela, il puisait son inspiration dans les contes et figures populaires du Japon. Comme l’illustre cette toupie qui met en scène un couple s’abritant sous un parapluie :

« Au Japon, un parapluie amoureux – en d’autres termes, un parapluie partagé par deux personnes – est un signe que les deux personnes s’aiment, même si elles n’osent pas le dire. Cette toupie est cependant plus qu’un simple couple d’amoureux un peu gênés. Préparez-vous à une petite surprise lorsque la toupie s’arrêtera de tourner ! ».Source : japanuniquegifts.com

Ou encore celles de la joueuse de shamisen et du mangeur de nouilles !

Source : japanuniquegifts.com/

Les créations de Masaaki Hiroi s’inscrivent dans le mouvement « Mingei », un courant d’art populaire apparu en 1925 pour revaloriser l’artisanat traditionnel. L’art Mingei rejette le luxe et prône à l’inverse la beauté des objets du quotidien, confectionnés à partir de matières humbles comme le bois, le fer, la céramique… Bref, l’espoir d’un retour aux traditions japonaises minimalistes devant l’écrasante modernité.

L’un des premiers maîtres du Mingei, Sōetsu Yanagi, le décrivait ainsi : « Il doit être modeste mais non de pacotille, bon marché mais non fragile. La malhonnêteté, la perversité, le luxe, voilà ce que les objets Mingei doivent au plus haut point éviter : ce qui est naturel, sincère, sûr, simple, telles sont les caractéristiques du Mingei. » (L’Idée du Mingei, 1933). Qu’en reste-t-il de nos jours ?

Estampe de Utagawa Yoshiharu (1828–1888). « Acrobates sous les cerisiers : Toupies et équilibres » 1857. Source : ukiyo-e.org

Les jouets de Masaaki Hiroi ont franchi les frontières de l’Archipel. Il fut invité à Paris en 1980 pour les exposer et à partir de 1983, il commença à être invité aux États-Unis puis d’autres pays. En tout, ce sont plus de 50 pays qui ont exposé ses œuvres et leur auteur a acquis une renommée internationale. Certaines de ses créations ont été acquises par le musée du Louvre.

Enfin, son art a fait l’objet d‘un e-book écrit par Hannah K en 2013 : « Wonder Man – A Memoir of a Craftsman Who Is Recognized as an Artist » (Wonder Man – Les mémoires d’un artisan reconnu comme un artiste). Masaaki Hiroi faisait partie de ses artisans japonais, voyageurs d’un autre temps, égaré dans le 21eme siècle. Son message pourtant nous parle, nous qui devons désormais faire face à la perspective d’effondrement écologique et le nécessité d’un retour à plus de simplicité. Puissent-t-ils, lui et d’autres, être entendus.

 

S. Barret