Kamikaze. En occident, le terme fait généralement référence à un attentat suicidaire. Au Japon, le terme kamikaze, très ancien, n’a jamais été utilisé de la sorte, ni avant, ni après la guerre. Qui étaient ceux qui se revendiquaient de ce « titre » quasi-honorifique à l’époque ? Les femmes kamikaze ont-elles existé ? Avaient-ils réellement la volonté de se sacrifier ? C’est ce que nous allons explorer dans cet article, à travers ces portraits « impossibles » de femmes kamikaze.
Kamikaze signifie littéralement « dieu du vent ». Son utilisation remonterait à l’époque d’Edo où il désignait les typhons légendaires par leur puissance qui ont repoussé les mongoles au 13th et sauvé le Japon de l’invasion. C’est un terme lourd de sens qui fut longtemps utilisé par les japonais pour décrire une « intervention divine » ou un miracle des cieux. Le terme n’était donc pas historiquement associé au suicide. Ce n’est que pendant la seconde guerre mondiale que le mot kamikaze va prendre un sens nouveau, à travers le prisme impérialiste japonais.
Sous l’impulsion du pouvoir, c’est la Marine impériale japonaise qui utilisera pour la première fois le mot kamikaze dans le sens d’un sacrifice patriotique. Certains pensent que les kamikaze étaient de simples pilotes qui, acculés, décidaient de se jeter sur un bateau ennemi par désespoir ou courage. En réalité, le sacrifice des soldats japonais va être organisé de manière froide, rationnelle et ordonnée. Une unité d’attaque spéciale composée de pilotes formés pour projeter leur appareil sur des bâtiments ennemis fut fondée en 1944. Le terme kamikaze, qui n’avait toujours rien de péjoratif, allait désigner toutes les unités aux missions sans retour. La mort était leur mission.
Si, depuis, le monde entier utilise ce mot de manière forcément péjorative, les japonais, eux, ne l’ont plus jamais utilisé dans le langage courant de cette manière, pas même après la guerre, surtout pas pour décrire un éventuel attentat-suicide… Pour cause, indépendamment de l’horreur de l’acte, le mot porte historiquement en lui la notion d’une action divine qui ne peut être assimilée à une attaque de terreur. Une nuance un peu dérangeante que l’occident n’a jamais vraiment pu saisir. Pour cause, on parle bien de jeunes gens qui allaient offrir leur vie pour leur pays de la manière la plus violente et tragique possible.
C’est donc vers la fin de la seconde guerre mondiale que le quartier général impérial, devant le risque d’une défaite cuisante, prendra la décision radicale de constituer cette unité spéciale d’attaque par sacrifice (« Tokkōtai ») dans le but officiel déclaré d’invoquer les kami (divinités) pour réitérer le miracle de 1274 contre les assaillants mongols. Il faut à tout prix dissuader les américains d’envahir l’île principale. Le narratif militaire de l’époque tourne autour de l’apogée des valeurs oubliées de l’esprit des samuraïs que l’empire tente de réhabiliter depuis la chute du shōgun et le retour de l’empereur Meiji à la tête du pays. À cet instant de l’Histoire, l’esprit du sacrifice et la soumission totale à l’autorité sont au paroxysme de cette nouvelle culture moderne, sans quoi, l’idée même de fonder une unité suicidaire aurait été inacceptable.
La première attaque kamikaze « test » eut lieu en octobre 1944 à Leyte. 40 navires américains furent coulés en une seule vague. L’attaque surprise fut un tel succès que les officiels impériaux décidèrent de multiplier les sacrifices à grande échelle. Ceci impliquera d’augmenter massivement le nombre de « volontaires » … Les futurs sacrifiés sont majoritairement des étudiants, pleinement formatés par la propagande de guerre. Ils partent avec un vague sentiment d’être des élus de la nation, des quasi-divinités.
L’appel dans cette unité de la mort était officiellement basé sur le volontariat, mais en réalité, les jeunes sont sélectionnés par les autorités et leur liberté était toute relative, notamment en raison d’une forte pression sociale et structurelle. Une fois sur le terrain, leur formation était courte : deux jours pour apprendre le décollage, deux pour le pilotage et trois pour les tactiques d’attaque. Le cynisme des impériaux était total : quitte à sacrifier un jeune japonais, autant le faire vite et bien. Lors de la seule bataille d’Okinawa, le Japon envoie à la mort 400 avions-suicides. L’effet psychologique sur l’ennemi est tout aussi important que les dégâts matériels.
Le kamikaze suit un rituel très ordonné qui va dicter ses dernières heures. D’abord, il déclare son allégeance à l’Empereur Hirohito, puis récite un poème d’adieu (tanka) en référence à son devoir de sacrifice, vient ensuite l’ultime saké avalé d’une traite en se tournant dans la direction de son lieu de naissance. Avant de monter dans ce qui sera son tombeau, le kamikaze noue autour de son front un bandeau Hachimaki blanc orné d’un disque rouge, les couleurs du Japon.
Dans certaines occasions, les archives évoquent des épouses et jeunes japonaises qui venaient faire des signes d’adieu aux sacrifiés sur la piste de décollage. Enfin, l’acte ultime du sacrifice s’accompagnait généralement d’un cri de guerre, comme au temps des samouraïs, pour se donner le courage d’affronter le néant. Le fameux « banzai » tant popularisé par la suite. Mais personne n’est évidemment jamais revenu de cet instant fatidique pour le confirmer.
« Je priais pour ne pas être désigné. Ceux qui ne l’avaient pas été se réjouissaient secrètement, comme j’en avais fait l’expérience, prétendant regretter la situation. »
Les sources s’accordent à dire que plus de 5000 japonais ont perdu la vie dans ces attaques kamikaze. À bien y réfléchir, ce chiffre fait froid dans le dos. Chacun d’entre eux rêvait d’entrer dans la vie adulte, peut-être de trouver l’amour, voire de se marier et de fonder une famille. Et si la propagande était forte, les témoignages indiquent qu’ils étaient surtout terrorisés à l’idée de mourir. Par exemple, le pilote Kikumi Ogawa écrivait dans son journal avant de partir : « Je priais pour ne pas être désigné. Ceux qui ne l’avaient pas été se réjouissaient secrètement, comme j’en avais fait l’expérience, prétendant regretter la situation. » comme les japonais savent si bien le faire. Si les jeunes hommes se donnent la mort, c‘est surtout par soumission à l’autorité et par peur de la honte, pas nécessairement par idéologie.
Officiellement, la quasi totalité des sacrifiés japonais furent des hommes. On rapporte le cas d’une jeune épouse, Asako Tanifuji, 24 ans, qui décida de monter à bort de l’avion de son mari à la dernière minute pour l’accompagner dans sa mission suicidaire. Officieusement, le bruit court qu’une poignée de femmes japonaises téméraires se seraient prêtées à l’exercice, se déguisant en homme pour passer inaperçues dans les rangs de ces kamikazes au visage particulièrement jeune et imberbe. Qui étaient-elles ? Impossible de le dire aujourd’hui. Après la guerre, les japonais se chargeront de détruire systématiquement toutes les preuves et documents liés au conflit. Tout au mieux, quelques romans de fiction évoquent leur existence.
Si aucun document d’archive ne peut confirmer la destinée tragique de ces femmes kamikaze, nous avons pris l’initiative de leur donner vie, l’espace d’un court instant, à travers cette série de portraits imaginaires créée à partir de photographies d’archives avec l’assistance d’une intelligence artificielle (Midjourney). Leurs regards aussi tristes que déterminés nous laissent toujours sans voix mais donnent corps à une page terriblement sombre de l’histoire moderne du Japon.
Disclaimer : Ces images générées avec l’assistance d’une intelligence artificielle sont à utiliser dans un cadre didactique et informatif uniquement. Elles ne peuvent constituer des documents d’histoire, ni des supports commerciaux.