Il y a quelques jours, nous vous expliquions comment les cerfs de Nara ont littéralement sauvé cette ancienne capitale du Japon, notamment grâce au tourisme. Un service que ce tourisme de masse ne leur rend pas. Un cerf vivant dans le centre touristique vient de perdre la vie. Il portait en lui 3,2 kg de plastique. Et ce n’est pas le seul à présenter des troubles similaires. Les touristes sont pointés du doigt. Les cerfs sika, eux aussi, ne semblent pas à l’abri de la folie des Hommes…

Ils sont la coqueluche de Nara – capitale du Japon de 710 à 784 – et garantissent depuis quelques décennies sa prospérité économique : les cerfs Sika sont devenus une institution vivante au Japon. Selon la légende, le dieu Takemikazuchi-no-mikoto s’est un jour rendu à Nara sur le dos d’un cerf blanc. Associés à cette divinité, les cerfs ont acquis un statut sacré durant des siècles. Il était interdit de les tuer sous peine de mort jusqu’au XVIIème et les habitants devaient s’incliner devant eux quand ils les croisaient ! Devenus trésor naturel protégé en 1957, ils vivent au cœur de la ville dans une relative liberté.

S’il est évident que les cerfs Sika servent d’attraction pour attirer des curieux et éviter un exode rural à cette petite ville, il est de notoriété que ceux-ci vivent une vie paisible, protégé par les autorités locales, sans risquer de se faire dévorer par un prédateur. Enfin, c’est ce qu’on pensait ! Voilà qu’un ennemi invisible rend de plus en plus de Sika malades. Une même fléau qui détruit en ce moment nos océans et les créatures qui y vivent : le plastique.

Crédit : Tetsushi Kimura

Le record : 4,3 kg de plastique dans l’estomac

C’est un vétérinaire de l’association Nara Deer Welfare Association, spécialisée dans l’étude et la protection des sika de la région, qui a médiatisé le cas. Un cerf qui semblait malade et faible a été repéré non loin du temple Tōdai-ji, au cœur du parc de Nara, fin mars dernier. L’animal a été pris en charge mais celui-ci refusait systématiquement de se nourrir. La femelle de 17 ans ne pesait que 30 kg, soit environ 10 kg de moins que le poids normal à cet âge. Le cervidé s’est rapidement affaibli avant de perdre la vie.

C’est l’autopsie qui va révéler que l’estomac de l’animal était pratiquement rempli à ras bord d’une matière durcie et synthétique. Le spécialiste va alors réaliser qu’il s’agissait de sacs en polyéthylène, probablement accumulés depuis des mois, voire des années. Le genre de sac qui pullule au Japon, en particulier dans les konbini. Cette masse pesait à elle seule 3,2 kg et empêchait l’animal de se nourrir.

Les cervidés sont des créatures à l’appareil digestif complexe. Tout comme les vaches, ils possèdent plusieurs chambres de digestions (des estomacs) qui lui permettent de digérer de grandes quantités de nourriture dans un processus appelé rumination. Mais en dépit de cet appareil digestif complexe, les animaux ne peuvent en toute logique pas décomposer les matières synthétiques industrielles. Quand ceux-ci ne peuvent pas être évacués par les voies naturelles, ils s’accumulent et durcissent jusqu’à bloquer le passage des autres aliments et donc provoquer une mort lente.

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Les touristes pointés volontiers du doigt…

Ce n’est pas la première fois qu’un tel phénomène est observé. L’année dernière, un cas similaire avait été observé en novembre : un sika a soudainement perdu beaucoup de poids avant de mourir. Chez lui aussi, des traces importantes de plastique avait été retrouvées dans son organisme. Depuis, les cas semblent de plus en plus nombreux, comme si les cerfs avaient accumulés trop de plastique dans leur organisme depuis toutes ces années. Ainsi, depuis mars, 8 cerfs ont trouvé la mort dans des causes indéterminées. 6 d’entre eux avait des sacs plastiques entassés dans leur estomac. Le cas le plus important rapporte un amas de plastique de 4,3 kg dans l’organisme.

Le dernier cas en date répertorié par l’association semble être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Aujourd’hui, l’information fait le tour du monde et nécessite des actions fortes. Mais contre qui ? et quoi ? À cet instant, les observateurs pointent du doigt les visiteurs indélicats. En effet, les sika sont réputés pour leur gourmandise. Ils mangent à-peu-près tout ce qui se trouve à leur portée. En principe, les touristes sont légalement obligés d’utiliser les « crackers » officiels vendus dans le parc. Ceux-ci sont adaptés aux animaux et ne contiennent forcément aucun plastique.

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Il est donc suggéré que certains touristes préfèrent contourner les vendeurs pour donner de la nourriture diverse et non conforme aux animaux. Nourriture transportée dans des sacs. Les sika étant particulièrement coquins – certains n’hésitant pas à vous pincer les fesses à la première occasion – il n’est pas impossible que ceux-ci tentent d’agripper un sac plastique qui traînerait dans des mains indélicates… Pas de mystère également pour les déchets éventuellement abandonnés sur le sol, en dépit d’une relative propreté des lieux. Le phénomène étant le fruit de plusieurs années d’accumulation, il suffit de quelques sacs par mois pour générer une situation sanitaire aberrante sur le long terme, comme nous l’observons aujourd’hui à Nara.

Que faire pour protéger les cerfs concrètement ?

Le Nara Deer Welfare Association prie les visiteurs de les aider à protéger les cerfs, notamment en étant plus consciencieux dans la manière de nourrir les bêtes. Des panneaux ont été placé aux lieux stratégiques afin de rappeler que les sika ne peuvent pas être nourri autrement que par les senbei officiels, cette galette de riz gluant traditionnelle. Pourtant, de nombreux cas de touristes bravant les règles sont toujours régulièrement rapportés. « Ils ne savaient pas ». Alors que faire ?

Crédit : naradeer.com

Localement, pour lutter contre l’utilisation abusive des sacs en plastique, les autorités ont tenté de popularité les sacs réutilisables en tissu ou en matières durables. Cependant, les effets sont limités tant les magasins ne cessent de distribuer du plastique à toutes les occasions. Le cas de Nara est donc symbolique d’une systémique qui frappe le pays tout entier dans des proportions malsaines et cette incapacité du politique à prendre des décisions courageuses pour bloquer à la source la production. Une problématique d’autant plus interpellante que le Japon ne sait déjà plus quoi faire de son plastique depuis que la Chine a fermé les portes des importations de ce déchet.

Pas de doute, tout comme les animaux marins, les sika payent aujourd’hui le prix fort d’un aveuglement collectif qui use de toutes les excuses du monde pour ne surtout rien changer.


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