Le Japon entretient une relation complexe avec le plastique. Un paradoxe que Poulpy avait abordé dans un précédent article. On le retrouve particulièrement utilisé à outrance dans l’industrie agro-alimentaire et ses produits du quotidien nippon. Pour s’assurer qu’un produit soit bien protégé, il sera le plus souvent sur-emballé de multiples couches de plastique, quand bien même il s’agirait d’un produit « bio ». Une exigence qui vient directement des consommateurs que ce sur-emballage rassure. Dans le même temps, les Japonais sont persuadés – à tort – que le recyclage du plastique ne pose pas de problème aux autorités. Mais peu à peu les yeux s’ouvrent sur le drame de cette pollution. Ainsi, un bar éphémère avec vue sur le traitement des ordures a été ouvert dans un centre de recyclage à Musashino, dans la préfecture de Tokyo. Et la ville de Kameoka a tout simplement décidé de bannir les sacs plastiques. Un projet ambitieux !

Un bar avec vue sur les ordures

C’était un projet porté par la municipalité de Musashino en décembre dernier : sensibiliser la population sur le traitement des déchets et les questions environnementales. Et pour y parvenir elle a misé sur l’ouverture d’un bar éphémère dans l’usine de traitement des déchets de la ville. Les clients sont ainsi invités à siroter des cocktails devant une fenêtre offrant une vue plongeante sur une fosse à ordures nauséabonde. Dans ce centre sont traités et incinérés des déchets dangereux, encombrants, combustibles (ou pas) provenant de la localité. Ils sont transformés en cendres qui seront utilisées pour la fabrication de tuiles ou de ciment. La quantité de déchet produit saute aux yeux.

La municipalité a effectué un tirage au sort pour désigner les vingt clients de ce bar particulier. L’objectif étant avant tout de médiatiser la chose à l’échelle nationale et internationale. Parmi les personnes sélectionnées, une jeune femme, Takara, s’est déclarée stupéfaite par le nombre d’ordures jetés seulement dans la municipalité de Musashino. Et de songer à agir pour réduire ses déchets ménagers. Un signe optimiste que le message semble être passé. L’expérience pourrait être reproduite dans d’autres villes à travers le Japon pour une sensibilisation à grande échelle sur l’impact environnemental d’un mode de vie basé sur la consommation.

Si une simple citoyenne comme Takara a été impressionnée par le nombre de déchets que compte sa municipalité (2,81 millions de tonnes brûlés en 2017) on est pourtant très loin des chiffres au niveau national : en 2016, dernière année où des statistiques ont été révélées, le Japon a produit 43,17 millions de tonnes de déchets dont environ 10 millions de tonnes de plastiques ! Comme nous l’avions souligné dans notre précédent article, une grande partie de ces déchets prenait la route de la Chine. Mais celle-ci a récemment décidé de mettre fin aux importations au début de l’année 2018. Un changement radical qui frappe également l’occident. En conséquence de quoi de nombreux gouvernements locaux ont vu leurs centres de récupération être soudainement submergés de déchets au delà de la limite légale. Mais cette déferlante d’ordures a au moins eu l’effet bénéfique de pousser les villes à réaliser l’ampleur de la problématique et chercher des solutions pour produire moins de déchets, à lancer des campagnes d’informations à l’adresse de la population, dont le « bar à ordures » de Musashino est un exemple original.

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Dans cette ville, on a également noté une évolution des mentalités concernant le traitement des ordures. Alors que durant près de trente ans les habitants étaient réticents à l’idée d’avoir un nouveau centre d’incinération près de chez eux, la ville a du longuement batailler pour obtenir l’accord de ses citoyens pour ouvrir en 2017 ce nouveau centre de traitement. Et pour rassurer la population qui craignait une pollution de l’air et des saletés aux alentours, des visites de l’usine ont été organisées, accueillant 23 000 visiteurs. Son utilité a aussi été mise en avant, comme sa capacité à convertir des déchets en énergies « renouvelables » pouvant alimenter des établissements publics proches même en cas de catastrophe naturelle.

Mais au-delà de l’importance de trier et traiter correctement les déchets, il convient aussi de réduire au maximum leur quantité produite en amont, car le recyclage coûte cher et reste partiellement efficace. Mais, au Japon comme ailleurs, l’idée de ne pas produire un déchet plutôt que d’avoir à le recycler n’a pas encore fait son chemin. Nos dogmes économiques occidentaux placent la liberté des acteurs industriels au dessus de tout, dont la liberté de produire du plastique à outrance. Dans ce domaine, la ville de Kameoka a pris le problème à la source en décidant par exemple d’y bannir les sacs plastiques ! Quid du reste ?

Une ville sans sacs plastiques ?

En décembre 2018, le maire de Kameoka, ville de 89 000 habitants dans la préfecture de Kyoto, a décidé de frapper fort en publiant une ordonnance locale interdisant l’usage des sacs en plastiques à usage unique que l’on trouve dans les supermarchés. Des sacs que l’on retrouvait jetés dans les rivières, alimentant la pollution marine. Et pour ne pas s’arrêter aux frontières de sa municipalité, le maire Takahiro Katsuragawa a appelé le maire de la proche ville de Kyoto, Daisaku Kadokawa connu pour son engagement écologique, à lui emboîter le pas et signer une ordonnance identique. Mais si ce dernier approuve la nécessité de réduire les déchets plastiques, il ne compte pourtant pas suivre l’exemple de Kameoka…

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Car tout n’est pas encore joué. L’ordonnance devant être approuvée par le conseil municipal pour espérer entrer en vigueur en 2021. De nombreux membres du conseil la soutenant, il y a de fortes chances qu’elle soit acceptée. Une fois les sacs plastiques bannis, les clients des 760 supermarchés concernés devront alors se munir de sacs en papier ou en tissu. Les supermarchés qui ne se plieraient pas à la loi seraient exposés à une amende. Ce serait également une première au Japon qui pourrait inciter d’autres municipalités à suivre le mouvement. À l’heure actuelle, la plupart (comme le maire de Kyoto) préfèrent inciter les consommateurs à changer leurs habitudes plutôt que de les contraindre à le faire par une loi. Malheureusement, chacun sait que ces incitations sont totalement inefficaces. Il faut des transformations structurelles de la société tant la crise est grave : de nouvelles règles du jeu.

Les sacs plastiques ont déjà été interdits dans de nombreux pays du G20 et les citoyens se sont adaptés sans heurts. Une telle évolution semble plus difficile au Japon (comme dans d’autres pays d’Asie) où les habitants, bien que sensibilisés à l’écologie, sont englués dans une culture moderne profondément ancrée dans l’omniprésence du plastique utilitaire. Si l’ordonnance contre les sacs plastiques est approuvée à Kameoka, ceci risque cependant d’envoyer un message fort et positif à tout l’archipel.

S. Barret


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Sources : japantimes.co.jp (1 & 2)