Après quelques années d’errances narratives dans ses fictions, Wim Wenders nous revient enfin en forme avec « Perfect Days », film plus facile d’accès mais qui n’en oublie pas la poésie de sa forme. En nous narrant le quotidien d’un Japonais dont le travail est de nettoyer des toilettes publiques, il nous inspire une douce mélancolie de petits riens saupoudrés de grains de sable pour former un grand tout.
Perfect Days est un film réalisé et écrit par Wim Wenders, secondé au scénario par Takayuki Takuma. Le metteur en scène a tourné son film en seulement 17 jours et dans un format 1:33 qui pourra surprendre puisque l’image est quasiment carrée.
On y suit Hirayama, soixantenaire japonais, qui travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo. Il s’épanouit dans une vie simple et un quotidien très structuré. Esseulé par choix, l’homme entretient une passion pour la musique, les livres, et les arbres qu’il aime photographier. Son passé va ressurgir au gré de rencontres inattendues, alors que lui n’aspire qu’à trouver la beauté dans son quotidien.
La routine au service du bonheur
Perfect Days commence lentement, soyez prévenus. Le réalisateur nous montre en effet la routine de son personnage avec force détails et une précision presque documentaire. Vous apprendrez ainsi tout ce qu’il y a à apprendre sur le nettoyage de toilettes publiques, et cela pendant plus d’un quart d’heure. Et puis les choses s’emballent enfin et on comprend que ce long prologue nous préparait pour la suite, alors que cette symphonie sans fausses notes voit entrer des instruments désaccordés.
Hirayama se plaît dans sa vie que l’on pourrait appeler « simple ». Il fait tous les jours la même chose, au même moment. Il se lève au son du balai de la voisine, arrose ses fleurs, sort de chez lui, prend un café dans un distributeur, écoute de la musique dans son camion sur le chemin du travail, nettoie des toilettes publiques, mange dans un parc le midi, nettoie d’autres toilettes, rentre chez lui, va dans un bain public, prend son repas dans un izakaya, rentre chez lui et lit un livre avant de s’endormir et voir ses rêves se peupler des images de sa journée. Pas celles de la Tokyo Skytree qui se situe pourtant à quelques mètres de son appartement exigu mais à laquelle il ne prête pas grande attention, mais plutôt celles des branches qui dansent dans le vent et le fascinent chaque jour. Ce quotidien bien huilé, il l’a façonné au gré de ses envies et il ne s’en éloigne pas.
Perfect Days : à son rythme
Le Japonais n’en est pas pour autant un moine en méditation le reste du temps. Non, il a des loisirs auxquels il s’adonne là aussi quotidiennement. Son plaisir, c’est écouter des cassettes audio d’albums cultes des années 60 et 70. Patti Smith, Otis Redding, les Rolling Stones, les Kinks, le Velvet Underground et bien sûr, Lou Reed, son leader en solo avec Perfect Day qui inspire le titre du film. L’occasion pour Wim Wenders de nous proposer une bande-originale parfaite pour les amoureux des sons de cette époque.
Mais Hirayama aime également prendre des photos avec son vieil appareil photo argentique. Vous l’aurez compris, la technologie moderne n’est pas l’ami de ce Japonais, comme si elle représentait une époque dans laquelle il ne se sent pas à sa place. Une vision du monde qui permet au réalisateur de nous offrir des scènes décalées très drôles. Quand sa nièce lui demande par exemple si Van Morisson est sur Spotify, il lui demande où se trouve cette boutique…
Hirayama est une ombre dans la société nippone, pourtant indispensable à son fonctionnement. Déjà, il ne parle quasiment pas et seulement quand il juge qu’il n’a pas le choix. Il représente aussi une énigme et le metteur en scène ne nous livre des détails de son passé qu’avec parcimonie. Le Japonais, invisible aux yeux des personnes qui utilisent quotidiennement les toilettes qu’il nettoie, est une suite de devinettes dont nous n’aurons pas toutes les solutions, même quand défilera le générique de fin. Au spectateur d’imaginer ce qui a pu le pousser à vivre ce quotidien immuable et millimétré. Mais, malgré les efforts de notre héros, l’est-il vraiment ?
Quand les gouttes d’eau font vaciller les sentiments
Dans Perfect Days, y a de nombreux personnages qui habitent le monde mutique d’Hirayama. Son jeune collègue Takashi qui ne prend pas vraiment son travail au sérieux, la petite amie de ce dernier qui n’est pas insensible au charme auditif particulier des vieilles K7 audio, sa nièce Nikko qui refait surface dans sa vie après des années d’éloignement, Mama la tenancière du bar où il se rend le weekend, ce sans-abris qu’il croise quotidiennement dans le parc où il mange le midi. Tous sont des grains de poussière plus ou moins importants dans la vie du Japonais. Car, oui, l’homme a fait de sa vie un éloge de la simplicité, mais on sait bien qu’elle ne l’est jamais vraiment.
S’il tente tant bien que mal de se fermer aux sentiments trop forts qui pourraient ébrécher son sentiment de bonheur simple, ce sont ainsi bien les interactions sociales qui mettent à mal sa carapace. C’est dans ces moments-là que le film de Wim Wenders est le plus touchant : quand le visage d’Hirayama oublie de porter son masque et que larmes et sourires semblent enfin sincères.
Alors bien sûr, quand ce visage prend en plus les traits de Kōji Yakusho (Charisma), le plaisir du spectateur n’en est que décuplé. L’acteur est éblouissant, nous amène avec lui dans cette épopée humaine du quotidien sans jamais nous lasser et marque la pellicule dans les moments de plénitude comme de détresse. Son prix d’interprétation à Cannes reçu cette année pour le rôle est plus que justifié, lui qui ne quitte quasiment jamais l’écran.
Perfect Days est une ode au bonheur du quotidien, à celui des habitudes réconfortantes loin des troubles qui ont tout de même besoin parfois d’être un peu bousculées. Être humain, nous rappelle Wim Wenders, ce n’est pas que la routine, mais aussi ressentir des sentiments extrêmes et intenses, que ce soit dans la peine ou l’euphorie. Le choix de les accueillir dans nos vies ne nous est en effet pas toujours donné. Pour le reste, faisons comme Hirayama, et cherchons dans quels plaisirs simples se cache la sérénité de notre âme.
Distribué par Haut et Court, le film est à retrouver au cinéma en France depuis le 29 novembre.