Se fournir en meubles japonais ? La belle idée ! Mais voilà un choix responsable cependant très coûteux. Notre astuce ? retaper de vieux meubles antiques. Aujourd’hui, on vous explique comment notre petite famille à moitié japonaise a fait étape par étape…
Un choix à assumer
Le rêve de Poulpy et sa compagne, c’était de vivre dans une vieille maison japonaise au style traditionnel, bercé par les douces illusions de nos dessins animés d’enfance dont Ranma 1/2. Ce rêve réalisé, il fallut désormais nous meubler dans un style adéquat. Comme expliqué en détail dans un article précédent, ce choix n’est pas sans difficulté. Les prix exorbitants des meubles antiques (jusqu’à 10.000 euros le meuble!) nous ont poussé à envisager la restauration de vieux meubles en mode « Do It Yourself ».
Qu’à cela ne tienne, nous débutions la première restauration fin 2018, suivie d’une autre, et d’une autre… La pratique devient rapidement un divertissement, laborieux mais jouissif. On y redécouvre l’histoire du Japon sous un autre angle, celui des objets du quotidien à travers les âges. Notre premier meuble, datant d’un siècle environ, nous coûtera 12 000 yens livraison incluse (90€) via un site japonais de seconde main. Il s’agit d’une quasi-épave qui a traversé le temps. Mais une épave en un seul morceau, robuste par la manière même dont les meubles japonais sont construits : avec des armatures métalliques à chaque croisement de planches. Pour cause, les anciens meubles japonais, principalement utilisés par des marchands, étaient construits pour être mobiles ! donc transportables sans trop s’abîmer.
Comme nous l’avions déjà exprimé, choisir de se meubler antique, ce n’est pas qu’une histoire de goût, c’est un choix hautement symbolique, écologique et économique. Les Japonais eux-mêmes abandonnent peu à peu leur propre culture au profit d’une uniformisation mondiale des styles. La mode actuelle est aux meubles de type Ikea, froids, uniformes et sans vie. De la « coolitude occidentale » aux yeux des jeunes Japonais, moderne et à petit prix (pense-t-on). La population étant vieillissante, de nombreux meubles japonais sont donc abandonnés par les familles, dans l’attente d’une nouvelle vie. Et peut-être portent-ils un yôkai en eux, témoin caché de nombreuses histoires de vie… 😉
Hop, à l’action !
Première étape : réaliser un état des lieux du meuble
Attention. Le bois est une matière « vivante » qui travaille avec l’humidité et le temps qui passe. Plusieurs éléments sont à vérifier avant achat : Ce meuble est-il attaqué par un champignon ? des mites ? Est-il bien complet ? Quid du type de patine ? Les tiroirs sont-ils trop longs ? Même au Japon, en dépit du grand soin que portent les Japonais à leurs objets, certains vendeurs en ligne ont tendance à cacher les défauts, ce qui ne facilite pas la tâche. Pour cause, il faut pouvoir anticiper le coût de la réparation autant en argent qu’en temps. Inutile de se lancer sur une ruine rongée par l’humidité. À ce titre, on préférera un achat en magasin ou brocante pour s’en assurer.
Si le meuble comporte de nombreux petits trous au fond des tiroirs, il peut s’y cacher une colonie de vers ! Notez que ce type de meuble comporte le plus souvent un mécanisme de fermeture sécurisé, donc une clé. S’assurer idéalement de sa présence lors de l’achat. Enfin, bien vérifier la longueur des tiroirs. S’ils dépassent de trop en étant fermés, c’est que le bois a gagné en longueur suite à une prise d’humidité. Il faudra raboter les tiroirs : une étape fastidieuse à éviter absolument si vous n’êtes pas un professionnel. Tout ceci peut sembler candide, mais faire un état des lieux est une étape importante pour éviter de se ruiner par la suite.
Seconde étape : le « dénoyautage » en règle.
Avant de commencer le restauration, retirer délicatement, sans abîmer le bois, toutes les sous-parties du meubles : les tiroirs, les portes, les armatures et autres décorations métalliques en s’assurant de leur bon positionnement par photographie. Le plus souvent, les armatures sont fixées à l’aide de simples clous. C’est une étape nécessaire pour pouvoir restaurer le meuble dans ses moindres recoins. Il est cependant possible, si le meuble est très « basique » de contourner l’étape en conservant les armatures. Dans ce cas, ce sont les étapes du ponçage et de la peinture qui seront les plus délicates… tout en assumant que le meuble ne sera restauré qu’en surface.
Troisième étape : le triple nettoyage !
La couleur ne risque pas de tenir si le meuble n’est pas parfaitement propre. La manière de le nettoyer dépendra de la patine d’origine. Si le meuble est huilé ou ciré, le frotter une première fois avec un dégraissant. Ensuite, et ce dans tous les cas, poncer les parties visibles du meuble avec une laine d’acier en faisant des mouvements circulaires. Il est le plus souvent inutile de poncer l’intérieur des tiroirs. Les mouvements circulaires nous assurent de ne pas abîmer le bois. La laine de bois permet un nettoyage en profondeur, de quoi faire disparaître les tâches. Mais il faut éviter de s’acharner sur l’une d’elle au risque d’attaquer le bois, laissant une trace physique.
Une fois terminé, passez une lingette humide pour enlever les résidus. Il ne faut pas avoir peur d’humidifier légèrement le bois, celui utilisé pour les meubles tansu étant très respirant. Laissez sécher dans un lieu sec et chaud jusqu’au lendemain. En général, le résultat est déjà spectaculaire à ce stade ! De préférence, on refait cette étape une seconde fois, si nécessaire.
Dernière étape du nettoyage, poncer légèrement les surfaces visibles avec un papier de verre à grain fin – 180/230 – pour lisser la surface et redonner cet aspect doux au bois.
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Quatrième étape : Traiter le bois contre les mites et reboucher les trous
Si certains bois sont naturellement résistants aux vers, le bois utilisé pour fabriquer un tansu est particulièrement tendre. Il s’agit le plus souvent de zelkova ou de cyprès japonais. Un véritable buffet à volonté pour les vers. Pratiquement tous les meubles japonais anciens sont donc piqués, avec plus ou moins d’intensité. Pas de panique, la chose se traite très bien, mais ne doit pas être prise à la légère pour autant. La présence de vers non traitée peut potentiellement contaminer votre maison…
Plusieurs solutions sont disponibles en magasin spécialisé. Si vous vivez au Japon, la chose est tellement commune qu’on trouve très facilement des produits insecticides spécialement adaptés à ces petites créatures invasives. Que ce soit par imprégnation du bois ou pulvérisation dans les trous, les produits de traitement ont un caractère généralement nocif. Des précautions élémentaires s’imposent : travailler à l’extérieur ou dans un local aéré (fenêtres ouvertes). De toute évidence, il faudra éviter les contacts avec la peau et éloigner les enfants ET animaux de compagnie. Il existe également des traitements naturels à base d’essences de lavande ou d’eucalyptus, sans pouvoir juger de leur efficacité.
Une fois le tout nettoyé et séché, vient le moment délicat de reboucher les trous à l’aide d’une pâte à bois de couleur adaptée (généralement pâle concernant les tansu). Anticiper éventuellement la couleur de la patine finale dès ce stade, car certaines pâtes à bois sont imperméables et conserveront leur couleur, contrairement au bois qui prendra la teinte souhaitée. Une fois n’est pas coutume, poncer délicatement les zones retouchées pour éliminer la matière qui déborde.
Une fois encore, au Japon, il ne sera pas bien difficile de se fournir en outils adéquats. Certains 100¥-shop proposent des « starter-pack » de qualité raisonnable pour réparer un meuble, mais l’idéal reste de se rendre dans un « home-center » professionnel. La réparation complète de notre meuble nous aura coûté, sans compter la main d’œuvre, environ 100 euros supplémentaires.
Sixième étape : Donner de la couleur au bois et le protéger
Votre meuble semble magnifique dans cet état brut ? Prudence, sans protection, il va rapidement se dégrader. Nous rentrons alors dans l’univers des goûts et des couleurs. Ici, chacun est maître de son univers. Rouge, noir, brun, violet ou tout simplement neutre, la limite est votre imagination. Néanmoins, selon les techniques utilisées pour teindre le bois, les options sont malgré tout restreintes.
-> L’huile ou la cire
Techniques les plus classiques, elles consistent à imprégner le bois de matière pour le protéger sans camoufler la texture. La cire en particulier permet d’obtenir ce style rustique au bois et un toucher naturel. En matière d’entretien, rien de plus simple : il faut lustrer régulièrement son meuble avec un chiffon de laine pour raviver sa brillance. Cette technique est plutôt recommandée pour des meubles à usage visuel, non-utilitaires. En pratique, rien de plus simple : on appliquera la cire avec un chiffon doux en faisant des mouvements circulaires. La cire est la solution la moins résistante et demande un entretien régulier.
L’huile est une solution idéale. Cependant, il est difficile de retrouver un bois brut après l’opération. C’est donc généralement un choix à vie… En cas de doute sur la teinte, il vaut mieux éventuellement faire un test sur une zone discrète. À l’aide d’un pinceau spalter, badigeonner dans le sens des fibres du bois. Laisser imprégner 30 minutes puis nettoyer le surplus à l’aide d’un chiffon doux. Il est très important d’enlever l’excédent d’huile ! L’huile doit bien imprégner le bois. Ce pourquoi nous l’avons poncé et dégraissé précédemment. Il est idéalement conseillé de recommencer cette étape après un jour ou deux. Notez que plus il fait froid, plus le temps de séchage sera long. L’huile ne doit évidemment pas rester en surface du bois. Son utilité est précisément d’imprégner le bois en profondeur. Si l’huile n’entre plus, il est inutile d’en rajouter.
-> La peinture à base d’eau
Particulièrement durable, la peinture est idéale pour conserver un meuble à long terme. Malheureusement, nous abandonnons la vue des stries naturelles du bois. Il est par ailleurs courant de voir des tansu japonais repeints en deux couleurs : une dualité noir/brun ou bordeaux/noir. Nous trouvons les meubles rouges foncés particulièrement beaux.
En pratique, il est conseillé d’appliquer la couleur au rouleau afin d’éviter les traces de pinceau. Un fin pinceau sera utilisé uniquement pour les zones délicates. Une fine couche de couleur est appliquée en trois étapes : d’abord dans le sens des rayures du bois, ensuite de manière perpendiculaire (croisée), puis à nouveau dans le sens des rayures. Il ne faut pas appliquer trop de couleur d’un coup ! Répétez l’opération deux à trois fois après séchage. Si vous peignez un bois foncé, pensez à appliquer d’abord une sous-couche blanche (primer).
Attention, peindre un meuble n’est pas une excuse pour faire l’impasse sur un vernis. Au contraire, c’est même d’autant plus recommandé quand la couleur peut s’écailler.
-> Le vernis
Laquer son meuble lui offre une grande résistance aux liquides, à la lumière et aux variations de température en formant un film mince et transparent qui recouvre le bois en surface. Il résiste aux chocs, à l’abrasion, aux rayures et aux taches, cependant, il peut casser et donc laisser une trace difficile à réparer.
Appliquez le vernis au pinceau ou à la brosse plate en 3 couches bien garnies dans le sens des fibres du bois. Entre chaque couche, laissez sécher quelques heures puis poncez légèrement, puis dépoussiérez à l’aide d’un chiffon.
-> Expérimentation hasardeuse !
Dans notre cas, nous avons mixé deux techniques. Tout d’abord, nous avons dilué la peinture dans une base d’eau (en notant les proportions). De cette manière, nous avons donné une teinte colorée translucide au bois en l’imprégnant, sans masquer la matière. Après trois couches, nous terminons par deux couches de résine époxy mat, un type de vernis particulièrement résistant. Ceci offrira une protection supérieure au bois contre les effets néfastes des UV mais aussi une forte résistance physique aux griffes et aux coups. Le bois des tansu étant très fragile, il est facile de laisser des marques et des traces en profondeur. En principe, l’époxy offrir une résistance de très long terme.
Dernière étape : Derniers petits détails…
N’oublions pas de traiter et repeindre éventuellement les éléments métalliques, après ponçage, dans une couleur adaptée aux métaux, avant de les replacer (si vous les avez enlevé). Sur le tansu ci-dessus, nous avons opté pour une finition en rouille décorative sur les charnières.
Nombre de tansu ont des portes coulissantes, à l’image des maisons japonaises elles-mêmes. Souvent, l’œuvre du temps rend la mécanique grippée. Il faut donc passer un coup de « gomme » dégrippante ou un gel lubrifiant paraffinique sur les zones de contact.
Le mot de la fin
En voilà un long article… Mais rénover un meuble de A à Z le sera encore plus ! Dans notre cas, un mois pour un meuble complet (le soir, après le travail). Si retaper un meuble, japonais ou pas, peut sembler très amusant, ceci reste un travail long et fastidieux à part entière qui demande de l’investissement, de la patience, des outils et surtout de l’espace. Espace qui, au Japon, est rare, donc cher.
Aujourd’hui, dans l’objectif de continuer à faire vivre ce blog consacré à la culture japonaise, nous avons décidé de partager cette passion avec vous. Comme pour les divers objets antiques que nous offrons déjà à nos soutiens, notre prochain tansu rénové sera proposé en cadeau sur Tipeee ! Alors n’hésitez plus à nous soutenir et à nous suivre sur Facebook afin de vous écrire de nombreux autres articles 😉