Le savez-vous ? Le premier symbole du Japon n’est en réalité qu’un géant endormi prêt à rugir à tout instant. À intervalles réguliers à travers les siècles, celui-ci aime à se réveiller sans crier gare, éradiquant tout autour de lui. Mais quand Fuji-san va-t-il se réveiller ? Quelles zones seront touchées par ce cataclysme ? Et surtout, quelles conséquences pour le Japon et sa population ?

Comme vous le savez, le Japon est un archipel situé à l’intersection de plaques tectoniques. Le déplacement, même lent, de la croûte terrestre a façonné le paysage japonais et donné naissance à une grande part de sa culture rythmée par une terre colérique. Le Mont Fuji lui-même doit son existence à cette géographie singulière.

Inévitablement, les Japonais doivent vivre depuis des millénaires avec le risque de la catastrophe en permanence. Si celle-ci provient généralement d’une terre mouvante ou de vagues destructrices, l’activité volcanique n’est pas en reste. Plus rares, les éruptions s’ajoutent à la liste des vicissitudes de la vie des Japonais sur le long terme. Pas étonnant que le Mont Fuji inspire autant le respect que la crainte. Celui-ci peut tout emporter avec lui à chaque instant. Sous les pieds du géant endormi, une chambre magmatique attend sagement son heure…

Scénario de rupture de la chambre magmatique du mont Fuji imaginé avec Midjourney.

Fait : On compte plus de 100 000 séismes rien qu’au Japon chaque année.

L’historique des éruptions de Fuji

Habitués à vivre au présent, l’homme ne voit certains volcans que comme d’inoffensives et paisibles montagnes. Pourtant, les Japonais ont déjà dû subir le courroux de ce géant monolithique, façonnant le paysage au gré de ses colères.

Il y a environ 700 000 ans, le volcan Komitake est entré en éruption, à l’endroit même où se situe le mont Fuji aujourd’hui. Les traces anciennes sont malgré tout encore bien visibles, puisque le sommet du volcan Komitake se trouve toujours sur le versant nord de Fuji-san. De quoi se rendre compte qu’en 700 000 ans, le paysage a déjà été bien façonné par l’activité volcanique de la région.

Dans ce chaos antique, un super-volcan de type explosif, nommé Ko-Fuji (« vieux Fuji »), est apparu il y a environ 100 000 ans. Celui-ci avait pour particularité de cracher de la lave, mais aussi de projeter de la roche volcanique… L’accumulation des débris a élevé un pic à plus de 3000 mètres d’altitude ! Après cette période de progression verticale, les éruptions suivantes ont donné lieu à une progression horizontale, la lave s’écoulant sous forme d’effusion, se déplaçant lentement sur de longues distances avant de se solidifier.

source : commons.wikimedia.org

Suite à une période d’inactivité très longue, estimée à environ 4000 ans, le volcan a repris son activité avec de violentes éruptions. Le scénario est alors catastrophique : gaz volcaniques, éruptions de roches, cendres volcaniques, accompagnés de multiples éruptions sur ses flancs. Le volcan est depuis une véritable cocotte-minute.

Des éruptions plus récentes ont été largement documentées, notamment les éruptions d’Enryaku en 800 après J.C., principalement une éruption de cendres volcaniques et de débris sans conséquences majeures. Puis l’éruption de Jogan en 864, plus violente, qui a continué de façonner le paysage local tel que nous le connaissons aujourd’hui. Les dégâts furent assez considérables : la lave s’est écoulée sur le flanc nord-ouest, détruisant de nombreuses habitations sur son passage. Les actuels lacs Shoji et Sai étaient autrefois le lac Senoumi, divisé en deux par les coulées de lave. On trouve sur les vestiges de cette éruption, l’actuelle tristement célèbre forêt d’Aokigahara, où de nombreux Japonais se sont suicidés en masse…

Le 28 octobre 1707 à 14 heures, le célèbre séisme de Hōei (宝永地震) a secoué la partie sud du Japon. Le séisme, d’une intensité aujourd’hui estimée à 8,6 sur l’échelle de Richter (une puissance à peine concevable), a provoqué la mort de 5 000 personnes. Ce séisme aurait été la cause, 49 jours plus tard précisément, d’une éruption d’un cratère sur le flanc sud-est du mont Fuji. La scène fut apocalyptique : fumée noire, projections de roches volcaniques, et des particules en suspension provoquant des éclairs volcaniques. Ce jour-là, il a plu de la cendre jusqu’à la ville d’Edo (aujourd’hui Tokyo), située pourtant à 100 km de distance ! L’éruption a duré deux longues, très longues, semaines ! Cette éruption est la dernière en date du volcan endormi. Depuis, Fuji-san attend à nouveau son heure.

Prochaine éruption : quels sont les scénarios des autorités ?

Un nouveau plan de prévention des risques a été élaboré en 2021 en vue d’une éventuelle éruption du Mont Fuji au Japon. Celui-ci met en garde contre une sous-estimation potentielle du danger par rapport aux prédictions antérieures, mais surtout prend en compte des facteurs omis par la carte des risques de 2004.

Des experts des préfectures à haut risque que sont Shizuoka, Yamanashi et Kanagawa ont étroitement collaboré à cette mise à jour de l’évaluation des menaces.

Plan d’évacuation. city.fujiyoshida.yamanashi

Cette nouvelle étude a identifié des ouvertures nouvelles sur les flancs de la montagne, par lesquelles la lave pourrait s’échapper en cas d’explosion. Mais surtout, elle met en évidence les zones fortement habitées en danger. Le rapport indique que 27 villes (contre 15 dans l’évaluation précédente de 2004) pourraient être touchées en cas d’éruption. De plus, le volume de lave estimé à s’écouler du cratère a été revu à la hausse, passant de 700 millions à 1,3 milliard de mètres cubes. À titre indicatif, le volume rejeté par l’éruption déjà violente de 1707 n’aurait été que de 800 mètres cubes, un écart considérable !

Fujinomiya, située au sud-ouest du Mont Fuji, est identifiée comme une zone particulièrement vulnérable. La lave pourrait atteindre certaines parties de la ville en moins de deux heures après éruption, voire même couvrir une région bien plus vaste. Les écoulements pyroclastiques, composés de cendres surchauffées, de roches et de vapeur, représentent une menace supplémentaire qui pourrait couper les voies d’évacuation.

En effet, l’étude suggère également qu’une éruption majeure pourrait entraîner la coupure de la route principale et des liaisons ferroviaires longeant la côte sud de la montagne, bloquant ainsi l’accès entre Tokyo et l’ouest du Japon. La population serait ainsi piégées en quelques heures. Prévoyante, la ville de Fujinomiya met régulièrement à jour ses informations et conseils pour les résidents pour quand viendra le jour fatidique, malheureusement inévitable selon les experts.

Plan d’évacuation. city.fujiyoshida.yamanashi

L’ensemble fait état de près de 750 000 personnes pouvant être évacuées en cas d’éruption violente. Les experts les plus pessimistes parleraient même de prévisions à 350 000 morts en cas de non-respect des consignes essentielles, victimes de l’événement principal mais aussi de ses conséquences et répercussions.

Aux dernières nouvelles, le volcan montre des signes de haute pression intérieure, qui pourraient être les conséquences de la pression de gaz, de magma, ou les conséquences des récents mouvements des plaques tectoniques. Pour l’instant, nul ne sait quand se réveillera la montagne. Il n’existe aucun consensus sur le sujet. Cependant, avec une pression mesurée en 2012 à 1,6 hectopascals, soit 16 fois supérieure au seuil pouvant provoquer une éruption, le risque de mauvaise surprise reste omniprésent. Fuji-san peut théoriquement se réveiller à tout moment.

Coûts économiques et dommages collatéraux : la chute de Tokyo ?

Le plus inquiétant dans ce rapport, ce sont les projections sur l’impact qu’aurait une éruption de grande ampleur sur la capitale japonaise. Malheureusement, il semble que personne ne soit encore préparé à faire face à ces terribles conséquences alors que le pays est déjà surendetté. Pour rappel, l’éruption de 1707, la dernière en date, avait provoqué une chute de cendres de 0,5 cm sur la ville, pourtant à 100 km. Donc, une éruption beaucoup plus intense et violente pourrait à elle seule entièrement paralyser la ville.

0,5 cm de cendres, c’est déjà suffisant pour entraîner des dégâts et des défaillances sur les machines. Les prévisions les plus pessimistes parlent de 8cm, soit 16 fois ce seuil paralysant. Les accès à la ville pourraient être coupés pendant plusieurs jours, voire semaines ou mois si d’aventure l’éruption venait à s’étendre sur une longue période.

L’approvisionnement en vivres et en matériels de première nécessité serait alors fortement compromis, sachant qu’une partie du système ferroviaire pourrait être détruit ou mis hors service par la lave et la cendre. Le trafic aérien serait tout simplement stoppé au-dessus du pays.

Étendue des projections de cendres et hauteurs des résidus.

Comment assurer la sécurité alimentaire aux villes avoisinantes ? Comment ferait Tokyo, ville si dépendante des importations de matières premières, ne produisant presque rien dans son enceinte ? En effet, les légumes ne poussent pas encore dans le béton…

Les derniers calculs effectués en 2004 parlaient d’un montant astronomique : le coût des dégâts pourrait avoisiner les 19 milliards de dollars, une somme aujourd’hui probablement bien plus élevée si l’on prend en compte l’inflation sur 20 ans.

C’est pour quand le grand show ?

Et bien… On ne le sait pas ! Cela pourrait aussi bien être le mois prochain que dans deux siècles, en dépit de la pression magmatique intense. Le géant endormi devrait garder encore pour quelques temps sa silhouette si familière, enchantant nos yeux de sa présence à la fois familière et inquiétante. Une aura de mystère inspirant le respect et l’humilité envers les énigmes de la nature et de l’existence. En attendant, continuons de visiter ce mont si symbolique et vénérable avant sa prochaine colère.

Ô Mont Fuji, géant de l’aube aux crêtes éthérées,
Ta forme émerge des brumes, mystère sculpté,
Toi, gardien des siècles, veillant dans le silence,
Ton sommet touchant les cieux, une étoile en errance.

Couronné d’un diadème de neige immaculée,
Ton âme silencieuse danse avec l’aurore enchantée,
Émergeant des rêves du crépuscule obscur,
Comme un poème divin, une strophe d’émeraude.

Au fil des saisons, ton humeur changeante,
Des roses aubes à l’or des feux couchants,
Tantôt voilé de brume, tantôt clair et flamboyant,
Ô Fuji, tes métamorphoses sont captivantes.

Sous ton pied, les villes s’épanouissent et dorment,
Tandis que ton souffle de fumée monte et forme,
Un écho lointain, une ombre fugace,
Teintée de menaces anciennes, de légendes vivaces.

Tel un monarque solitaire sur l’horizon lointain,
Tu éveilles la mélancolie, le désir éternel,
Les poètes contemplent ta splendeur divine,
Toi, Mont Fuji, poème de la nature, énigme éternelle.

– G.CHEMIN

Scénario de rupture de la chambre magmatique du mont Fuji imaginé avec Midjourney.