Dans un précédent article, Poulpy avait détaillé les différentes sortes de kimonos existants selon les occasions et l’âge de la femme qui le porte. Mais que serait un kimono sans une obi pour le fermer sinon une tenue incomplète ? Décryptage.

Tout comme le kimono avec lequel il doit s’accorder, le choix d’une obi obéit aux mêmes critères rigoureux de sélection. Présentation.

Un peu d’histoire

Obis. Source : flickr

L’obi n’a pas toujours ressemblé à cette large et longue ceinture que nous connaissons. À l’origine, il s’agissait une simple cordelette comme en témoignent des statuettes en terre cuite ‘haniwa‘ du Vème siècle. Puis, l’obi va peu à peu s’élargir et s’allonger.

Jusqu’à la période Sengoku (1482-1558), l’obi était un mince cordon cousu à l’aveugle purement fonctionnel. A l’époque Momoyama (1573-1603) / début Edo (1603-1868), il prend l’apparence d’un cordon tressé garni de glands de 15cm s’enroulant 3-4 fois autour du corps. Au milieu de l’époque Edo, l’obi s’élargit sous l’effet des lois somptuaires du shogunat Tokugawa. Celles-ci réglementent les teintures, techniques et tissus autorisés selon la classe sociale, mais ne restreignent pas l’obi qui va alors s’épanouir. Il atteindra les dimensions que nous lui connaissons à l’ère Meiji (1868-1912) : 350 à 450cm de long pour une trentaine de large.

L’évolution de l’obi s’effectue en parallèle de celle du kimono. Ce dernier, nommé alors ‘kosode’ (1) fut d’abord un sous-vêtement porté sous des habits plus amples ou sous une superposition de multiples robes (tel le jûni-hitoe des dames de la cour d’Heian) avant de devenir le vêtement principal des Japonais(es) durant l’époque Edo (1603-1868).

Mariage en costumes de cour de l’époque Heian. Source : , flickr

La forme de l’obi et du kimono ne vont alors presque plus évoluer à partir du milieu de l’époque Edo. Jusque-là noué indifféremment sur le côté, dans le dos ou sur le ventre tant par les hommes que les femmes, la mode l’adopte sur le devant tel qu’on le voit sur les estampes ukiyo-e.

On pense d’ailleurs souvent à tort que seules les prostituées nouaient leur obi sur le devant mais ce fut pendant longtemps aussi le cas des femmes du peuple. Plus tard, les femmes célibataires le noueront dans le dos et les femmes mariées sur le devant. Son port se fixera définitivement dans le dos à l’époque Meiji.

« Courtisane sur une véranda » . Estampe de Suzuki Harunobu, un des plus célèbres créateurs d’estampes ukiyo-e en couleurs. (28.4 x 20.9 cm), v. 1767 – 1778, Musée des Beaux Arts de Boston. Source : commons.wikimedia

D’une fonction purement pratique, l’obi gagne donc progressivement son aspect ornemental en même temps que le kimono s’impose sous le shogunat Tokugawa. Par la suite, les modifications viendront principalement de l’évolution des techniques de tissage et de teinture pour les rendre toujours plus riches et attrayants. Pour les obis, seront aussi inventés une grande diversité de noeuds ‘musubi’.

Les principaux types d’obi (2)

Jeunes femmes en kimono. Source :  , flickr

1. Maru obi (丸帯)

Le Maru est le type d’obi le plus luxueux et le plus habillé, très populaire durant les ères Meiji et Taishô. Il se caractérise par un motif courant sur toute la longueur de ses deux faces. Il est confectionné dans un brocart de soie (étoffe tissée de motifs brochés en fils d’or et d’argent) replié et cousu avec une doublure rigide ce qui le rend deux fois plus épais que les autres obis, donc également plus lourd et inconfortable.

Maru obi. Source : commons.wikimedia

Il se porte avec des kimonos formels comme le tomesode noir ou de couleur, le furisode et l’hômongi. Il n’est plus que peu fabriqué de nos jours en raison de son coût élevé.

2. Fukuro obi (袋帯)

Inventé avant la Seconde Guerre Mondiale, le Fukuro obi est très semblable au Maru obi. Portés, ils sont quasi indissociables l’un de l’autre. Pour les différencier, il suffit de les étendre : alors que le Maru obi est décoré sur toute sa longueur recto et verso, le Fukuro obi n’est couvert que sur 60% de sa face extérieure ; le reste et le revers restants sont en soie unie puisque invisibles une fois l’obi noué. Cette économie rend sa fabrication plus rapide et son coût plus abordable, c’est pourquoi il a remplacé le Maru obi à partir des années 50.

Fukuro obi. Collection particulière.

Comme son apparence est en tout point similaire à un Maru obi, il se porte comme celui-ci avec un tomesode, un furisode ou un hômongi.

3. Nagoya obi (名古屋帯)

C’est un type d’obi tissé ou brodé facilement, reconnaissable à sa forme en L, imaginé à la fin de l’époque Taishô (1912-1926) à Nagoya. Cette forme permet d’exécuter plus facilement le nœud en tambour (voir le chidori musubi plus bas) dans le dos tout en étant moitié moins large (et donc plus confortable) à la taille.

Nagoya obi. Collection particulière.

Moins formel que le Maru & Fukuro obi, il se porte avec des kimonos de type komon, iromuji, tsumugi ou tsukesage.

4. Chuya obi (典雅)

Une obi « deux en un » conçu en cousant ensemble deux tissus aux motifs radicalement différents pour pouvoir s’accorder avec plusieurs kimonos. Fabriqués majoritairement avant la Seconde Guerre Mondiale, ils sont encore travaillés de nos jours par quelques artisans, et sont plus courts que les Fukuro et Maru obi. Il se porte avec des kimonos informels de type komon ou tsumugi.

Chuya obi. Source : commons.wikimedia

5. Hanhaba obi (半幅帯)

Une obi décontracté d’une largeur de 15cm, en polyester ou en soie selon qu’il sera assorti à un yukata ou à un kimono komon. Il est également adapté aux enfants.

Hanhaba obi. Collection particulière.

6. Tsuke obi (付け帯)

Une obi pré-noué facilitant l’habillage tant pour les enfants que les adultes. Il est né à l’époque contemporaine alors que les Japonais n’apprennent plus que très rarement l’art du kitsuke dans le cadre familial. Il peut être en polyester pour être porté avec un yukata mais aussi confectionné à partir d’anciens Fukuro ou Maru obi de soie. Il est le plus souvent noué en tambour, papillon ou moineau (voir partie suivante).

Tsuke obi. Source : commons.wikimedia

7. Darari obi (だらり帯)

Cette obi se distingue par sa longueur de 6 mètres permettant de réaliser le fameux nœud ‘darari musubi’ typique des maikos. Son ornementation est de type Maru, Fukuro ou Chuya obi. À une extrémité se trouve le kamon de l’okiya auquel il appartient.

Un magnifique darari obi formel. Source : , flickr

8. Kaku obi (角帯)

Parce que les hommes portent aussi le kimono, ils ont également besoin d’une ceinture pour le fermer. La tenue masculine étant plus sobre que son homologue féminine, le kaku obi est mince et dépourvu de riche décor.

Kaku obi avec un noeud Kai no kuchi. Source : commons.wikimedia

Il existe quelques autres types d’obi plus spécifiques. Certains réservés à des célébrations ou des représentations de danses comme le Tenga obi (典雅帯) ou l’Odori obi (盆踊帯) avec des motifs et couleurs vifs pour être vus de loin. Le Heko obi (兵児帯) est quant à lui une obi très informelle en tissu léger pour les hommes et aussi utilisé pour vêtir les petits garçons car facile à nouer.

L’Iwata obi ou Hara obi est une ceinture lâche aux dimensions d’un Hanhaba obi pour les femmes enceintes. Geishas et acteurs de Kabuki portent pour leur part un Hikiniku obi, une obi de type Maru mais avec une partie des motifs disposés à l’envers et qui se retrouvent dans le bon sens une fois la ceinture nouée.

Le port d’une obi nécessite une foule d’accessoires pour la maintenir en place et/ou créer les nœuds musubi : obi ita (plaquette rigide glissé entre les plis de l’obi), obijime (cordon disposé sur l’obi), obi makura (coussin dans le dos pour soutenir le noeud), obiage (écharpe fluide cachant le makura, maintenant l’obi et son volume), datejime (ceinture placée entre l’obi et le kimono), fines ceintures koshihimo… Autant d’accessoires qu’il faut savoir utiliser pour obtenir une tenue au port impeccable.

Les principaux noeuds « musubi »

« il existe entre 300 et 500 nœuds ‘musubi' »

S’il existe entre 300 et 500 nœuds ‘musubi’, les plus couramment portés sont les suivants :

1. Otaiko musubi

C’est le nœud ‘en tambour’, certainement le plus répandu et connu, mais pas si ancien. Il fut en effet crée en 1823 par les geishas de Fukagawa pour l’inauguration du pont en arc de tambour ‘Taiko-bashi’ au sanctuaire Tenjin de Kameido. L’Otaiko est l’apanage des femmes mariées et s’adapte avec tous les types de kimonos (sauf le furisode). On peut le réaliser à partir d’un Maru, Fukuro ou Nagoya obi.

Fukuro obi en taiko. Collection particulière.

2. Tateya musubi

Le nœud de la ‘flèche dressée’ : un imposant et spectaculaire nœud papillon de biais pour les jeunes filles et jeunes femmes non mariées, à porter avec un furisode. Se réalise de préférence avec un Fukuro obi, moins rigide qu’un Maru obi et donc plus facile à manipuler.

3. Chidori musubi

Le nœud ‘en pluvier, pour les kimonos de mariées. Il s’agit d’une variante du Fukura suzume musubi (nœud ‘en moineau’) porté avec le furisode par des jeunes filles disposées à se marier. Deux nœuds à la symbolique maritale importante donc.

(Anecdote historique : les nœuds Tateya et Chidori ont été inventés par des acteurs de Kabuki repris ensuite par les femmes du peuple. En leurs temps, les acteurs de Kabuki comme les courtisanes pouvaient lancer des modes.)

4. Bunko musubi

Un nœud pour les femmes, en forme de papillon. Informel et très populaire car facile à réaliser ne nécessitant pas d’accessoires. Il est le plus souvent réalisé avec un hanhaba obi sur un yukata mais peut être aussi réalisé avec une obi plus large.

5. Kai no kuchi musubi

Un des nœuds les plus simples, pour les femmes (plutôt âgées) et les hommes.

Comme pour le kimono, l’obi doit s’adapter à la fois à la saison et à la personne qui le porte. On privilégie des obis en soie aérée (ou en lin) non doublée pour l’été, et à l’inverse plus épais et avec doublure pour l’hiver. Les motifs teints ou tissés s’accordent avec la saison et la formalité de l’occasion. Au Japon, une femme âgée portera une obi aux motifs et couleurs plus discrets qu’une jeune femme qui pourra aussi se permettre des nœuds plus extravagants.

Maikos de Miyagawacho. Source : , flickr

L’abandon du port quotidien du kimono réserve désormais toute cette richesse aux initié(e)s qui prennent le temps de s’y intéresser. Des écoles de kitsuke continuent de transmettre ce savoir mais comme tant d’autres artisanats traditionnels japonais, les artisans capables de produire les plus beaux kimonos et obis se font de plus en plus vieux et la relève manque. Nous trouvons encore de magnifiques pièces antiques sur les marchés, longtemps oubliées dans des greniers, mais jusqu’à quand ?

S. Barret


Notes

(1) le mot ‘kosode’ (vêtement à manches étroites en opposition au ‘osode’, à manches larges) apparait entre le XIIe et XIVe siècle, et celui de ‘kimono’ au XIIIe siècle. Mais ‘kosode’ reste largement utilisé durant l’époque Edo avant de se généraliser à l’ère Meiji (1868-1912).

(2) en soie, sauf précision contraire

Bibliographie

Kimono, Au bonheur des dames catalogue d’exposition du Musée national des arts asiatiques Guimet – Gallimard (2017)

Kimono sous la direction d’Anna Jackson – La Martinière (2020)

The book of kimono de Norio Yamanaka – Kodansha (1986)

The Guide to Kimono de Justine Sobocan – Schiffer Publishing Ltd (2024)

Image d’en-tête : , flickr