Dans un premier article Poulpy avait abordé les problèmes liés aux barrières qui séparent hommes et femmes japonais, leur difficulté relationnelle et à la perte d’intérêt pour la recherche d’un(e) amoureux(se). Si l’Empire des Sens semble avoir perdu ses lettres de noblesse, il ne faut pas pour autant en conclure à l’absence de couples et de toute sexualité chez les japonais. Cette seconde partie s’intéressera justement aux manières dont les Japonais assouvissent leurs désirs.
Bien sûr, malgré les difficultés évoquées précédemment, des couples se forment, évidemment. Pour le meilleur et pour le pire. Et de même que partout dans le monde, ils ne sont pas à l’abri des relations extraconjugales. Le service de mangas en ligne Mecha Comic a récemment sondé ses utilisatrices sur le sujet. Sur 1 737 réponses reçues 31% des femmes avouaient avoir trompé leur conjoint au moins une fois et 38% d’entre elles avaient découvert qu’elles étaient trompées. Dans les deux cas, des chiffres assez élevés donc, qui interrogent sur la solidité des sentiments et la capacité des conjoints à discuter de leur ressenti sur leur couple : car parmi les raisons invoquées pour justifier l’infidélité on trouve l’attirance pour un autre, l’ennui dans la relation actuelle, le fait de ne plus supporter son partenaire ou la vengeance pour avoir été trompée.
À noter aussi qu’après quelques années de mariage et surtout la naissance des enfants, il n’est pas rare que toute sexualité cesse dans un couple dont la cohésion ne se résume plus qu’à l’éducation de la progéniture, devenu l’élément central de la famille. La parentalité prend le pas sur le couple. L’enfant dort souvent entre ses parents ou avec la mère, le mari faisant souvent chambre à part ce qui est révélateur de la distance prise dans le couple. Une situation qui engendre de la frustration chez nombre de conjoints, hommes comme femmes, et qui met une nouvelle fois en lumière le manque de communication pouvant gangrener la vie de couple.
Il est ainsi arrivé que des conjoints n’échangent pas un seul mot pendant des années, emprisonnés dans un mutisme dont ils ne savent comment s’extraire. De part leur éducation les Japonais ont appris à dissimuler leurs sentiments pour ne pas mettre autrui (et soi-même) dans l’embarras. Avec comme conséquence une accumulation de non-dits et de souffrance dans un couple pouvant le conduire jusqu’à la séparation qui aurait pu être évité avec de la considération et de l’écoute entre les partenaires. La sexualité désormais absente entre mari et femme est remplacée par la masturbation en exutoire solitaire et égocentré et par la fréquentation de lieux de plaisirs tarifés. Une pratique qui s’effectue parfois en groupe, quand les « salarymen » englués dans une situation similaire se rendent ensemble dans des bars à hôtesses ou quelques faveurs peuvent être effectuées sous la table…
Si hommes et femmes ont du mal à se rapprocher puis à rester proches, à l’inverse, le secteur de la prostitution se porte bien et vient « combler » cette solitude : bars à escorts, soap lands, prostitution d’étudiantes, forment une industrie qui ne connaît pas la crise au Japon et rapporte chaque année des milliards de yens à la mafia nippone. Les maids cafés, les agences de location de petit(e)-ami(e), les clubs d’hôtes et d’hôtesses où les client(e)s viennent acheter une attention et des marques d’affection factices pullulent (avec ou sans sexe tarifé). Officiellement il n’est pas question de coucher avec l’hôte ou l’hôtesse mais dans les clubs permissifs, il est possible de se fixer rendez-vous dans un Love Hotel pour aller plus loin. On trouve également, à même les rues des quartiers chauds, des livrets avec la liste des prostituées qui peuvent se rendre pour une heure ou deux à votre domicile. Les femmes aussi peuvent bénéficier de la compagnie d’un Homme, mais la pratique reste plus marginale.
Par contre, dans les bars à câlins, interdiction de toucher la (très) jeune fille qui viendra s’allonger près du client pendant quelques dizaines de minutes. Les prestations sont très réglementées et ont chacune un coût : poser la tête sur les genoux, profiter d’un massage (à travers les vêtements), nettoyage sensuel des oreilles, chaste câlin. Dernièrement, sur Tokyo, un établissement proposait même une douche « améliorée » en compagnie de jeunes filles en bikini. Dans les établissements de video-boxes, les hommes peuvent louer et consommer sur place des pornos (aujourd’hui avec casque 3D) dans des cabines individuelles et ainsi goûter au plaisir solitaire suite à une harassante journée de travail, pour certains, avant d’aller retrouver une épouse qu’ils ne touchent plus.
Le marché de la pornographie naturellement à son tour de la solitude des Japonais pour amasser les profits : il est devenu le second secteur le plus rentable de l’économie nipponne après l’automobile en générant plus de 220 milliards de yens par an. Le Japon est d’ailleurs le premier producteur mondial de porno alors que les Japonais sont le peuple qui font le moins l’amour. Tout un paradoxe ! Le fantasme de l’écolière, jeune et innocente est le plus prisé des hommes avec le terme « maman », l’un des plus recherchés. Mais l’industrie a évolué et conçoit maintenant des films adaptés à un public féminin. Les mangas érotiques et le hentai (en animé ou manga) sont très appréciés des jeunes gens, et comprennent différentes catégories pour répondre à tous les goûts. Et dans la catégorie « goûts douteux » on peut mettre en bonne place les boutiques où sont vendus des uniformes d’écolière d’occasion et des sous-vêtements féminins d’occasion (non-lavés) plus ou moins chers selon le temps portés…
Développement de la technologie aidant, les Japonais peuvent désormais compter sur des Love dolls, des poupées en silicone très réalistes, personnalisables et de plus en plus robotisées pour remplacer les femmes. Elles ont toutes un visage juvénile sur un corps de femme, caractéristique de l’attirance des Japonais pour les très jeunes filles. Certains modèles représentent d’ailleurs directement des enfants. C’est ainsi un moyen pour nombre de japonais d’assouvir des fantasmes les plus inavouables avec une « partenaire » parfaite, toujours disponible, qui ne sera jamais réticente à les réaliser et à qui on n’a pas à rendre la pareille. Nombreux sont les possesseurs à leur inventer un passé, à leur parler, les sortir, les vêtir, les mettre en scène et les photographier, voir parfois à profiter simplement de leur présence sans en faire usage. Certains finissent par penser que leur poupée a une âme, des sentiments et s’interrogent du coup sur les rapports sexuels qu’ils lui ont « imposés ».
Les Love dolls de qualité sont très chères, aux alentours de 10 000€. Pour les petits budgets, les magasins spécialisés regorgent de sextoys, de plus en plus perfectionnés, faisant l’objet de recherches poussées pour maximiser le plaisir. La variété de sextoys sur le marché se décline en milliers de produits : des tenga aux vibromasseurs en passant par les édredons où sont imprimés les personnages de mangas/animé/jeux-vidéo préférés des otakus. S’il en existe aussi pour couple, les sextoys à usage individuel sont nettement plus plébiscités et représentent 80% des ventes. Ces dernières années l’arrivée de la réalité virtuelle associée aux sextoys permet de simuler des relations sexuelles de manière plus immersive encore : il est par exemple possible de synchroniser un film porno avec un sextoy.
Au final, inhibés par une réserve inculquée dès le plus jeune âge, ne sachant comment et où aborder l’autre, ayant peu de temps à consacrer aux relations humaines entre les chronophages monde scolaire et du travail, rebutés par les contraintes du mariage, une part importante des japonais(es) se sont tournés vers la recherche du plaisir individuel plutôt qu’à deux. Quant à la vie de couple, elle signe souvent la fin des relations entre les conjoints au profit de leur rôle de parents. La situation est tellement singulière dans le monde qu’on peut parler de phénomène culturel à part entière. Dans les deux cas, ces difficultés nuisent à une sexualité épanouie chez les Japonais qui devront bousculer des pratiques ancrées dans leur culture pour changer la donne, et retrouver la complicité, le plaisir et l’épanouissement de la vie à deux.
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S.Barret