C’est un phénomène que Poulpy avait déjà évoqué : l’Hikikomori, ou quand une personne décide de vivre recluse chez elle, le plus souvent sans exercer de profession, en étant financièrement à la charge de sa famille. On pense d’ordinaire que les hikikomoris sont des jeunes personnes. Mais un rapport gouvernemental dévoilé vendredi 29 mars révèle que plus de la moitié des hikikomoris sont âgés de 40 à 64 ans ! Ils seraient ainsi deux fois plus nombreux qu’estimé jusqu’ici. Ces nouveaux chiffres questionnent sur le phénomène.
Selon les experts, les symptômes déclencheurs de l’isolement volontaire sont à rechercher dans un mal-être profond, des problématiques de type harcèlement rencontrées au cours des études ou au travail ou encore un chômage prolongé qui tourne en déconnexion totale avec la société. Ces personnes cherchent le plus souvent à fuir la pression écrasante d’une société japonaise qui promeut la réussite à tout prix et où le groupe passe avant les individualités. Se retrancher chez soi devient alors leur seul salut pour, paradoxalement, survivre. De plus, on sait que les hikikomoris sont majoritairement des hommes (70 à 80%), une tendance qu’on explique par les attentes sociales et économiques plus élevées qui pèsent sur les épaules masculines.
Dans notre précédent article consacré à ce phénomène de société, on relevait que le nombre d’hikikomoris était estimé à 541 000 personnes âgées de 15 à 39 ans selon les autorités. Des chiffres datant de 2015. Les informations concernant les reclus plus âgés manquaient à ces informations jusqu’à ce que le 29 mars 2019, le gouvernement japonaise dévoile une étude sur le sujet menée en décembre dernier sur 5000 ménages. Il y est révélé que le nombre d’hikikomoris entre 40 et 64 ans est estimé à environ 613 000 personnes dont 76,6% sont des hommes. Le million de reclus volontaires toutes tranches d’âge confondues est certainement dépassé selon un responsable du Cabinet Office qui a effectué le sondage. Un million de personnes… Le chiffre a de quoi laisser perplexe.
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Les hikikomoris sont donc principalement des adultes plutôt âgés, loin de la représentation typique du jeune déclassé vivant caché dans sa chambre et s’adonnant aux jeux-vidéo toute la journée… Pour être considéré comme hikikomori, il faut que la personne se soit coupée du monde extérieur pendant au moins six mois d’affilée, qu’elle n’ait pas de travail ou ne suive pas d’études et qu’elle n’ait pas de contact avec une personne extérieure à sa famille. L’étude montre que presque la moitié (46,7%) des reclus âgés de 40 à 64 ans se sont isolés du monde depuis au moins sept années, chez 21,7% la période oscille entre trois et cinq ans. Financièrement, un tiers de ces hikikomoris dépend de leurs parents plus âgés qui n’ont parfois que leur pension de retraite comme ressource.
La première cause de cet effacement citée par 36,2% des sondés serait la retraite, source d’une fracture sociale soudaine dans un pays où le travail est central dans l’existence. Puis, à part égale les gens souffrant de problème de relations humaines ou de maladie (21,3%). 19,1% se définissent comme inadaptés au monde du travail. Ces chiffres sont révélateurs de la place que prend un emploi dans une vie au détriment de la vie familiale et des loisirs. Les salarymen passent facilement 10 heures par jour au bureau, auxquelles s’ajoute un verre au bar le soir entre collègues, une obligation tacite. Le travail structure la vie de nombreux employés et le moment de la retraite venu, ces derniers ne savent que faire de leur temps libre, se renfermant peu à peu sur eux-mêmes. Les enfants ont grandi et sont partis vivre leur vie, les relations sociales se réduisaient souvent à l’ancien cercle de collègues, dès lors, la solitude et le retrait se sont imposés presque naturellement.
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La crise économique de la fin des années 90 est un autre facteur qui a causé le repli sur soi d’un hikikomori sur trois âgé de 40 à 44 ans. Durant cette période, les entreprises ont cessé de recruter. Or au Japon, sont embauchés principalement les jeunes diplômés de l’année. Les jeunes Japonais ayant loupé le coche durant ces années de crise n’ont pu par la suite accéder à un emploi, confié à de frais diplômés. Devant cet échec lourd à porter, nombreux sont les jeunes alors âgés de 20 à 24 ans qui sont devenus hikikomoris. Ils n’ont pas trouvé d’autres moyens pour dépasser la culpabilité de ne pas avoir trouvé un emploi. Lorsque toute votre enfance et adolescence ont été focalisées sur les études dans le but de décrocher un emploi à l’arrivée sur le marché du travail, on comprend comment rater cette étape cruciale peut faire basculer dans l’isolement des jeunes qui ne trouvent alors pas leur place dans une société très codifiée.
Devant ce constat, le gouvernement nippon va devoir réfléchir à des mesures pour accompagner les hikikomoris à sortir de leur réclusion avant qu’ils n’y soient poussés par la mort des parents qui les entretiennent ou qu’eux-mêmes meurent dans leur isolement. Pour l’instant, aucune structure adaptée n’existe. Comme pour de nombreux problèmes de société au Japon : si on n’en parle pas, le problème n’existe pas… (rapports sexuels tarifés d’étudiantes, sexisme institutionnel, prostitution de jeunes hommes, etc.) Les hikikomoris ne peuvent compter que sur le soutien d’associations.
Néanmoins les choses semblent peu à peu bouger. Le ministre des Affaires Sociales, Takumi Nemoto, a ainsi déclaré que « l’hikikomori adulte est un nouveau problème social » auquel « il faut remédier de manière appropriée en effectuant des études et des analyses ». Ce peut être aussi l’occasion de réfléchir sur le modèle de société qui fabrique en masse ces exclus volontaires. Car si nous sommes nombreux à rêver du Japon depuis l’occident, vivre depuis sa naissance soumis aux codes de la société japonaise n’est pas une mince affaire !
S. Barret
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Photographie d’entête : Hikikomori: Japan’s Vanishing People © Tony Taniuch