Dans « La forêt interdite » (« Six singing women »), sorti au Japon en 2023 et projeté pour la première fois en France au Kinotayo festival, le réalisateur Yoshimasa Ishibashi explore le potentiel visuel d’une forêt peuplée de créatures inquiétantes… Retour sur cet étrange thriller…

Comme pour le film du même nom de Nicholas Ray (1958) mais dans un autre registre de style, Y. Ishibashi livre dans La Forêt Interdite (唄う六人の女) un plaidoyer écologiste pour une terre sur laquelle l’humain doit encore trouver sa place.

Né en 1968 à Kyoto, il est aussi plasticien ; plusieurs expositions lui ont été consacrées au Palais de Tokyo (Paris) et à la Tate Modern de Londres. Le réalisateur s’intéresse avant tout au pouvoir des images, inspiré par les films d’Hitchcock et de Brian de Palma.

Un ballet d’étranges créatures

L’histoire ? Le jour où Kayashima, photographe à Tokyo, apprend le décès de son père avec qui il avait perdu contact depuis son enfance, il se rend dans sa maison perdue dans les bois dans le but de s’en débarrasser.

Au cours d’une scène où la bande sonore entremêle le moteur de la voiture au chant inquiétant des cigales, un accident de voiture les « propulse », lui et l’agent immobilier chargé de la vente, au cœur d’un univers hostile où ils sont retenus captifs par six femmes aussi étranges que mutiques.

Ces maîtresses des lieux, sortes de génies de la forêt aux caractéristiques animales ou végétales, ne dévoilent pas aussitôt leurs intentions vis-à-vis des deux prisonniers. Comme dans un conte, plusieurs scènes chorégraphiées d’une grande beauté plastique les révèlent, chacune s’épanouissant dans leur élément naturel.

La forêt : lieu de convoitise et d’enchantement

Dans le rôle principal du film : la forêt. Y. Ishibashi aurait pu tourner en studio ou recourir à la 3D mais il leur a préféré une magnifique forêt préservée de la région de Kyoto.

Tournées en équipe réduite sous la surveillance des autorités, les scènes de nature révèlent leur aspect magique et sombre à la fois.

Si le territoire japonais compte 70% de forêts, ces dernières sont aussi le lieu par excellence du shintoïsme qui vénère chaque élément de la nature, instrument des « kamis », (les divinités shintos). L’humain n’échappe pas à la règle : lui aussi appartient à la nature et fait corps avec elle.

Pris au piège de leur prison verte, les deux hommes, alliés au départ, vont prendre des directions différentes jusqu’à dévoiler les enjeux dramatiques qui se jouent pour cette forêt et ceux qu’elle abrite.

À l’origine de l’intrigue, il y a le père de Kayashima, retrouvé mort dans des circonstances troubles, probablement à cause du secret qu’il détenait et qu’il faudra découvrir. Le film invite le spectateur à éveiller ses sens, à observer avec plus d’attention pour reconsidérer sa place et son rôle dans l’écosystème et à ne pas céder au cynisme.

L’avenir de l’homme… ?

Ishibashi oppose parfois femmes et hommes dans un duel bien/mal qui manque sans doute de nuance. Dans sa représentation des femmes, il s’est inspiré d’un phénomène naturel qui existe chez plusieurs espèces animales et végétales : la parthénogénèse, c’est-à-dire la reproduction spontanée à partir des gènes d’un spécimen femelle, sans accouplement.

Il imagine ainsi que dans un futur plus ou moins proche, l’humain sera lui aussi capable de se reproduire de cette façon et que le sexe n’aura plus d’importance. La femme est donc celle qui, au sein de l’espèce, préserve, perpétue et transmet son « chant » de vie aux hommes de la ville.

« l’humain sera lui aussi capable de se reproduire de cette façon et que le sexe n’aura plus d’importance ».

« La forêt interdite » intègre au genre fantastique des préoccupations très contemporaines liées à l’environnement et à l’avenir de l’homme.

Le film agit également comme un « bain de forêt » régénérateur, une réussite esthétique qui tient son spectateur en haleine. Pour le voir en France, il faudra cependant patienter jusqu’à sa sortie et rester à l’affût des projections exceptionnelles…

Fiche technique

Réalisateur : Yoshimasa ISHIBASHI
Interprètes : Takayuki Yamada, Yutaka Takenouchi, Asami Mizukawa, Aoi Yamada, Misaki Hattori, Minori Hagiwara, Momoka, Rena Takeda, Shima Oonishi, Kanji Tsuda, Kazuko Shirakawa, Naoto Takenaka
Année: 2023 | Durée: 113min | Genre: Fantastique, drame, thriller.

– Candice Corbeel