Keigo Shinzō n’en finit plus de prouver qu’il est un des grands noms du manga moderne. Avec « Hirayasumi », sa vision délicate et presque nostalgique fait mouche à nouveau.

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Hirayasumi est un manga écrit et illustré par Keigo Shinzō, pré-publié depuis avril 2021 dans le magazine hebdomadaire Weekly Big Comic Spirits de l’éditeur Shōgakukan.

Nous y suivons Hiroto Ikuta, 29 ans, un freeter (employé à mi-temps) insouciant et célibataire. Son but dans la vie ? Ne pas se prendre la tête et vivre paisiblement, sans se soucier du lendemain. Du jour au lendemain, il hérite d’une petite maison à Tokyo de la part de Hanae, une vieille dame avec qui il s’entendait bien. Il y accueille rapidement Natsumi, sa cousine de 18 ans, sérieuse et étudiante en art. Les deux profils très opposés vont devoir apprendre à cohabiter.

Keigo, go , go !

Voilà plus de 15 ans que Keigo Shinzō a percé dans le monde du manga. Dès ses premières œuvres comme L’Auto-école du collège Moriyama et Summer of Lave, il prouve par ses talents de dessinateur et de conteur d’histoire qu’il va falloir compter sur lui sur la scène manga. Aujourd’hui, alors qu’il n’est qu’âgé de 38 ans, il nous éblouit à nouveau avec Hirayasumi. Ici encore, le dessin est superbe et fort en détails. Pour apprécier encore plus l’œuvre du Japonais, prenez le temps de vraiment regarder chaque case et d’en analyser le rendu fourmillant. Chaque chambre, salon, jardin vous en apprendra ainsi sur les personnages qui y évoluent.

Toujours aussi proche de la réalité, son histoire suit les événements qui rythment l’année au Japon. Ils en teintent régulièrement le récit, des matsuris d’été à Noël ou le Nouvel an en passant par la période de hanami et ses cerisiers en fleur. C’est un vrai régal qui n’est jamais là au hasard et sert une histoire profonde sous une forme élégante de légèreté.

Hirayasumi : Après l’effort, le réconfort

« Hirayasumi » est un jeu de mot entre Hiraya (maison de plein-pied), yasumi (se reposer) et sumi (habiter). Cela va parfaitement avec les envies d’existence tranquille d’Hiroto qui a tendance à se laisser bercer par le destin. Même s’il est au centre du récit, notre héros est pourtant très bien entouré. C’est la force d’écriture de Keigo Shinzō qui sait comme personne créer des personnages auxquels on s’attache en quelques cases.

Le mangaka a en effet le don de donner vie à des personnages que l’on n’a pas envie de quitter. Au départ, il n’y a que le cousin et sa cousine, puis le groupe s’élargit de personnages attachants. Chacun a une histoire de son côté, de Hideki, le meilleur ami d’Hiroto qui devient père, à Yomogi, l’agent immobilier dont le cœur balance entre notre héros et un écrivain, en passant par Akari et tous les amis de l’école d’art de Natsumi. Au fil des tomes, c’est une famille de plus en plus grande que l’on suit et que l’on a surtout plaisir à retrouver. Sans compter sur les flashbacks dans lesquels revient Hanae qui nous permettent d’en découvrir plus sur la belle relation entre la mamie et Hiroto.

Ce petit monde court partout et cherche la direction à donner à son destin. Ce qui n’est pas facile tous les jours.

Le phénomène Freeter

En début de manga, Hiroto est le freeter parfait. Au Japon, on appelle ainsi les personnes qui ne veulent pas se conformer à la société du salaryman robotisé. À la place, les freeter préfèrent prendre le travail à la légère, en choisir des qui ne demandent pas de compétences particulières et en changer quand bon leur semble. C’est l’image d’un autre Japon qui ne veut pas rentrer dans la course de la rentabilité et qui rejette ce moule nippon de l’employé soumis à la vie comme à la mort à son entreprise. Le jeune homme, lui, veut avancer dans le monde le cœur léger. Et le mieux dans tout ça, c’est qu’il en est très heureux. Kingo Shinzō n’hésite d’ailleurs jamais à faire sourire son personnage alors qu’il semble regarder le lecteur. Dans ces moments, difficile de ne pas sourire avec lui.

Pourtant, autour de lui, les gens changent et lui-même de se demander si son choix est vraiment le bon. Dans Hirayasumi, tout le monde réfléchit, angoisse un peu, mais le ton reste léger et surtout très drôle. C’est ainsi avec un plaisir immense que nous suivons tous ces personnages dans un Tokyo bien familier. Le lecteur est simplement touché par la simplicité et l’authenticité du récit.

Hirayasumi est une bulle humaine réconfortante de bienveillance et de mélancolie à découvrir à tout prix. Le manga est publié chez Le Lézard noir depuis juin 2023 et compte 8 volumes à l’heure où ces lignes sont écrites.

Stéphane Hubert