Tout juste sorti au cinéma, le film français Une part manquante se penche sur un pan de la société japonaise plutôt sombre : les enlèvements d’enfants au moment où les couples se séparent. Aussi merveilleux soit ce pays, voici l’une de ses zones d’ombre les moins connues…
Une part manquante est un film réalisé par Guillaume Senez (Nos Batailles, Keeper).
Nous y suivons Jay (Romain Duris) qui parcourt Tokyo tous les jours, au volant de son taxi à la recherche de sa fille, Lily (Mei Cirne-Masuki). Séparé de sa mère depuis 9 ans, il n’a jamais pu obtenir sa garde ni même la voir une seconde depuis.
Alors qu’il a cessé d’espérer la revoir et s’apprête à rentrer en France, Lily entre dans son taxi. Ce hasard sera-t-il assez fort pour bousculer les obstacles et les réunir enfin ?
Le plus rapide a « gagné » ?
Une part manquante se penche ainsi sur la situation préoccupante des enfants de couples séparés, un phénomène très répandu au Japon et qui, pour des Français, peut sembler totalement absurde.
Il faut savoir en effet que, lors de la séparation, il est tout à fait possible que le père ou la mère parte avec les enfants et interdise du jour au lendemain à l’autre de les voir. Voire même disparaisse sans laisser d’adresse. L’avocate de Jay résume la situation d’une phrase aussi simple que lapidaire : « Ici, c’est le premier qui prend l’enfant qui a le garde. ».
« Ici, c’est le premier qui prend l’enfant qui a LE garde. ».
À partir de là, il devient quasi impossible de changer les choses, même devant un juge. La justice japonaise ne reconnait en effet ni la garde partagée, ni le droit de visite. Lors d’un divorce, c’est encore pire, un des deux partis peut tout bonnement perdre l’autorité parentale.
Les avocats prennent en plus un pourcentage sur les pensions alimentaires, ce qui n’arrange rien. Une situation qui concerne aussi bien les étrangers que les Japonais eux-mêmes, ce que ne manque pas de montrer le film qui se veut le plus authentique possible sur l’histoire particulière qu’il nous raconte.
Une fiction documentée
Une part manquante nous montre en effet avec beaucoup d’acuité la réalité du terrain. Il faut dire que Guillaume Senez s’est énormément documenté sur le phénomène sur place dans l’archipel, comme il l’explique dans le dossier de presse :
On a (…) contacté quelques personnes concernées : Vincent Fichot d’abord, qui a fait une grève de la faim pendant les Jeux olympiques de Tokyo en 2021, puis Emmanuel de Fournas et Stéphane Lambert. Trois Français parmi une multitude de cas, puisqu’on parle de 150 000 « enfants enlevé⸱e⸱s » par an par l’un des deux parents au Japon.
Leurs témoignages nous ont bouleversés. « Une part manquante » puise son récit dans le réel mais c’est avant tout un film de fiction…
C’est donc bien une histoire qui nous est racontée dans cette tempête des plus absurdes : celle d’un père et de sa fille qui apprennent à se connaître.
Une part manquante : De l’absence
Le long-métrage nous montre au départ un Jay qui s’est finalement résigné à ne pas revoir sa fille. Il vient de vendre sa maison japonaise et s’apprête même à repartir en France. Et puis la porte de son taxi s’ouvre et l’espoir renaît tout à coup !
En un regard, il pense reconnaître cette jeune étudiante qu’il a pourtant cherchée sans succès les 9 dernières années. Il le sait au fond de lui, oui, il s’agit bien de sa fille ! Il suffira d’un déchirant « Lily ! » prononcé par une camarade de la jeune fille pour que l’espoir perdu soit enfin retrouvé.
On ressent alors cette claque mélangeant réel et passé qui s’écrit sur le visage de Romain Duris, absolument bouleversant dans un rôle à la mesure de son talent. Son personnage ne peut toutefois pas annoncer du jour au lendemain à la collégienne qu’il est son père. Il doit le faire en prenant compte de la réalité qui l’entoure. Son comportement doit être irréprochable et c’est justement ce qu’il essaie d’expliquer plusieurs fois à Jessica, une femme dans la même situation familiale que lui, qui, elle, n’hésite jamais à monter la voix.
Une part manquante est un film marquant, essentiel et poignant. Il nous ouvre les yeux sur un pan préoccupant de la société japonaise et mélange des scènes émotionnellement très belles et d’autres tout aussi déchirantes. Tout est filmé avec une grande délicatesse et une certaine douceur inhérente à ce Japon calme qui nous fascine tant. S’y cache de la détresse, de l’incompréhension mais également beaucoup d’amour.
Rien n’est ici jamais tout noir ou tout blanc, le tout sublimé par une bande-son électro dream-pop d’Olivier Marguerit qui nous fait penser, par certains moments, à celle culte de Lost in Translation qui allait, elle aussi, tellement bien avec les néons et la nuit tokyoïte.
Distribué par Haut et court, le film est sorti au cinéma en France le 13 novembre.
– Stéphane Hubert