Par-delà la notoriété de Kyoto et Tokyo, s’étendent à perte de vue des myriades de campagnes japonaises toutes plus riches les unes que les autres. Riches de traditions, de savoir-faire et de reliefs uniques. Parmi elles, se dresse l’île de Kyushu, à l’extrême sud du pays, là où la Mer de Chine Orientale relie les trois voisins de l’est : Japon, Corée et Chine. Parce qu’elle réunit différentes forces de la nature, entre puissance et douceur, la préfecture jouit d’une atmosphère unique : volcans, montagnes, forêts, rivages de sable, fleuves, vastes plaines. Le tout est habité d’histoires et de cultures préservées qui contiennent toute la singularité de l’héritage nippon. Cap au Sud, à la découverte de cette terre méconnue de l’Archipel.

L’île de Kyushu (signifiant littéralement « les 9 provinces »), communément baptisée « Terre de feu » du fait que son horizon est percé de trois majestueux volcans toujours en activité (Aso, Sakurajima et Unzen), a su conserver la beauté de ses paysages et le patrimoine matériel et immatériel qu’ils abritent. Géographiquement éloigné de l’agitation urbaine et des flux de la capitale, ce bout du Japon a pu évoluer en toute discrétion et authenticité. Mais ce recul, s’il permet à l’île la sauvegarde de sa beauté ancestrale, lui porte aussi préjudice.

Longtemps considéré comme difficile d’accès, car trop à distance des centres névralgiques qui attirent les visiteurs natifs comme ceux du monde entier, Kyushu a aussi été privé des avantages qui accompagnent ces flux touristiques. Le manque de passagers peut s’avérer autant bénéfique pour la préservation des lieux que problématique pour le développement du territoire. Les activités locales de la région peinent ainsi parfois à renouveler leurs économies et à garantir, par conséquent, leur viabilité. Pourtant, le Japon met de plus en plus à disposition des habitants comme des visiteurs internationaux des transports sophistiqués qui permettent un accès rapide à l’ensemble de ses municipalités cachées et pourtant si riche culturellement. Comment ne pas être séduit par ces kilomètres de faune et flore, d’artisanats et de coutumes mémorielles. Peut-être est-il temps de leur rendre honneur ? Immersion.

Sengan-en

Entre les volcans et les hommes : un travail d’équipe.

Depuis la profondeur de ses fausses abyssales, privées de lumière, jusqu’au rayonnement de ses monts célestes et enneigés, l’étroit territoire du Japon compte parmi les plus grands écarts d’altitudes. Cette géographie lui confère de grandes et parfois dévastatrices activités sismiques. Mais les tremblements ne sont pas la seule force naturelle avec laquelle a du composer le pays du Soleil-Levant. À Kyushu, sont encore en éveil trois impressionnants volcans. Le plus central, surgissant de la préfecture de Kumamoto, est le mont Aso. Le plus méridional, Sakurajima, est un mont de l’île éponyme au large de la ville de Kagoshima. Enfin, à lʼouest, le mont Unzen se dresse au milieu de la préfecture de Nagasaki.

Le danger n’est heureusement depuis longtemps plus mortel. Les volcans rejettent simplement, de temps à autre, des amas de cendre. Cette constante vigueur oblige toutefois les autorités à rester alertes : c’est ancré dans l’histoire du territoire, il vaut mieux prévenir que guérir face à l’imprévisible nature. Le trio de volcan est donc sous surveillance constante. La crainte envolée, rien de tel que de profiter des bienfaits offerts par ces mastodontes de magma. Des villages et des villes telle que la “Naples de lʼorient” , Kagoshima, ont été édifiés à proximité de ces sources de chaleur. De quoi bénéficier d’un véritable trésor nippon : les onsens, ces bains thermales relaxants où la nudité est privilégiée.

Les bienfaits de Kyushu : vivre d’amour et d’eau chaude.

Dans la Préfecture de Kumamoto, au coeur du village onsen de Kurokawa se cache un lieu magique. Perché à 700 mètres dʼaltitudes, au milieu des montagnes, une trentaine dʼauberges regroupées le long de la rivière de Tanoharu abritent une infinité de lucioles et leurs propres bains. Le décor est protégé d’une variétés de chênes apaisants, mais aussi de règles strictes : « Le comportement dans les onsens est soumis à des règles relativement strictes quʼil convient de respecter pour préserver lʼintégrité des lieux et la qualité de lʼeau » rappellent les différents lieux. Ce n’est pas pour rien que le village est auréolé de deux étoiles au guide Michelin.

La ville de Beppu, quant à elle, possède le plus grands nombres de sources dʼeau chaude du pays. Au nombre de sept, sacralisés en raison de leur matérialisation d’une certaine idée des enfers nippons. Mais Beppu sait aussi récompenser ses courageux visiteurs. La région a également développé sa propre cuisine en utilisant les vapeurs dʼeau pour cuisiner les légumes. Un onsen au milieu des fruits ? Fukuoka, grâce un climat subtropical très propice à lʼarboriculture fruitière, est un territoire de prédilection pour une cure de fruits. Il est possible de les cueillir près de lʼonsen de Chikugogawa dans les vergers visibles depuis les bains en extérieur. Un programme entièrement pensé pour profiter du cadre comme des saveurs du pays, en respectant ses rythmes et ses dons.

Enfer et plaisir ? La frontière semble parfois mince au Japon.

Du côté de la préfecture de Nagasaki, les sources dʼeau chaude dʼUnzen ont aussi de quoi attiser les curiosités. Niché au cœur dʼun des plus vieux parcs naturels du Japon, les eaux dʼUnzen contiennent un fort taux de soufre. Le lieu a été décrété “village onsen” en 1653 et bénéficie depuis dʼune protection officielle qui a permis de préserver son authenticité. Encore ailleurs, à deux pas du jardin de Mifuneyama qui revêt des milliers de couleurs à chaque printemps, jaillit un onsen vieux de mille ans qui permet de se baigner dans une eau plus alcaline que la moyenne, réputée pour soigner les problèmes de peau. A deux pas de la vallée dʼInohae, la ville de Kitago, recouverte de forêt à 90 %, accueille également le magnifique onsen de Nemunohana. Ici le luxe est synonyme dʼimmersion au cœur de la nature. Les bains donnent sur la forêt ou le ruisseau dʼeau longeant lʼOnsen… Un rêve aux embruns japonais.

Mais à l’eau peut aussi se suppléer le sable : bénéficiant de la chaleur de Sakurajima, les plages dʼIbusuki offrent une expérience incroyable. Recouvert dʼun sable
plus lourd que le sable que nous connaissons en France, les corps s’y relaxent durant des séances de 10 à 15 minutes. Il est dit que des séances régulières de bains de sable permettent dʼaméliorer l’oxygénation du sang et du corps. Elles permettront, une chose est sûre, d’arrêter le temps. 

S’enterrer dans le sable pour ressourcer son corps et son esprit

Au cœur de la forêt, les arbres japonais sont nos amis

Reconnu depuis près de quarante ans au Japon comme médecine préventive, le “bain de forêt” ou sylvothérapie consiste à se balader en forêt pendant quelques minutes ou quelques heures. Cette thérapie par reconnexion permettrait, grâce à des molécules émanant des arbres, les phytoncides, de faire baisser la pression artérielle, le taux de glycémie et favoriser la concentration et la mémoire. Kyushu, et notamment le parc de Yabegawa , offre un terrain idéal pour pratiquer ces retours à l’écoute des corps vivants et à ce qui les relie. Peut-être, avec un peu d’imagination, aura-t-on la chance d’y croiser aussi quelques esprits de la foret et autres yōkai…

À 400 mètres dʼaltitude, réserve protégée de plantes médicinales, le parc est parsemé de lacs et de cyprès hinoki riches en phytoncides. Plus au sud de Kyushu, aux larges de Kagoshima, lʼîle de Yakushima offre aussi un terrain idéal pour se ressourcer. Lieu dʼinspiration de Miyazaki, la forêt de Yakushima est un site exceptionnel recouvert de cèdres millénaires dont le fameux Jômon-sugi qui dʼaprès la légende a 7000 ans.

Insolite en Europe, mais très surprenant si on s’intéresse aux champignons, déambuler dans les forêts de la préfecture de Miyazaki permet de découvrir le cœur de la production nationale du champignon aux multiples bienfaits : le Shiitaké. Il est cultivé sur des rondins
dʼun mètre de long, posés à la verticale aux pieds des arbres sur des centaines de parcelles. Un savoir-faire parmi d’autres que cultive la région, avec la même attention que pour sa végétation.

Suizenji Jojuen Garden

Kyushu est une île, certes, mais vaste et foisonnante. Elle concentre une multitude de particularités tout en participant à la mémoire des habitudes proprement japonaises. De sa fusion ente nature et culture né une impression d’harmonie qu’il est à la fois admirable de voir ménagée des flux touristiques et à la fois inquiétant de voir délaissé par ces mêmes visiteurs. La période, en crise sanitaire mondiale, restreint forcément les déplacement et les accès. Tout n’est pas ouvert. Mais avoir connaissance de cette dimension oubliée du Japon, tout au sud du pays, ne saurait que nous inciter à préparer, doucement mais sûrement, nos prochaines excursions. Et en attendant ? À en apprendre plus sur ce territoire qui semble infini et jamais avare de découvertes surprenantes

– Mr Japanization