Quand on dresse la liste des particularités typiques du Japon, difficile de ne pas y citer les Onsen. Ces bains chauds collectifs font partie de la culture et du quotidien des habitants de l’archipel depuis des siècles. Le photographe américain Mark Edward Harris en révèle toute la beauté et le mystère dans son ouvrage « The Way of the Japanese Bath » en monochrome.

L’établissement thermal traditionnel de la sorcière Yubaba, dans le Voyage de Chihiro, est à mes yeux la plus symbolique des représentations du Onsen dans la culture populaire. Les dieux et les esprits fatigués viennent s’y reposer et se laver de leurs vicissitudes dans un cadre rougeoyant et paisible. Il y flotte une douce chaleurs qui purifie nos âmes ainsi qu’une légère odeur de souffre qui libère les poumons. S’il existe un lieu où il est encore possible de rencontrer l’âme du Japon aujourd’hui, c’est bien dans ses bains chauds.

L’âme du Japon

Les Onsen sont une institution japonaise qui remonte au huitième siècle ! Pour les habitants de l’archipel, le bain a toujours relevé d’un caractère sacré. Il est un symbole de purification et les souverains prenaient toujours un long bain avant de recevoir leurs invités. Les moines bouddhistes de l’époque y voyaient également un rituel pour laver leurs âmes.

Les vertus thérapeutiques des sources d’eau chaudes ont été découvertes rapidement mais c’est au début de l’air Edo, en 1603, que les séjours dans des stations thermales se démocratisent pour toute la population. On y va pour se refaire une santé et passer des moments agréables en extérieur, au plus près de la nature.

Les Onsen originaux sont en effet des trésors naturels aux paysages hors du commun. Le Japon étant sur des terres hautement volcaniques, les sources chaudes y sont légions. On en compterait 27 000 sur le territoire et plus de 3 000 stations thermales.

Ils sont ouverts toute l’année, été comme hiver. Il est possible d’aller vous baigner en hiver alors que la neige a enveloppé le sol de son beau manteau blanc. Une expérience à vivre assurément.

On notera qu’il est également de coutume de boire du lait froid à la sortie des bains pour s’hydrater. Cependant, cette tradition est assez nouvelle dans l’histoire. En effet, le lait n’est pas un aliment culturel des japonais. C’est avec la révolution industrielle et sous l’influence de l’occident que cette boisson s’est rapidement propagée grâce à une observation simple : les onsen et sento étaient les seuls établissements présents sur tout le territoire du Japon disposant des premiers réfrigérateurs (les « frigos » individuels n’existaient pas). L’industrie du lait s’est ainsi imposée à la culture japonaise en quelques années à travers une campagne marketing nationale.

Onsen : la vérité nue

Une des particularités des Onsen encore aujourd’hui, c’est qu’il faut s’y baigner nu. Une façon de faire qui peut étonner les Occidentaux, pour qui se dévêtir devant des inconnus n’est pas des plus courants. Pourtant, dans une envie d’égalité, de briser les barrières sociales et de faire naître une ambiance conviviale et décontractée, la nudité devient finalement très vite naturelle dans un Onsen. Tout le monde a quand même droit à sa petite serviette et libre à chacun de cacher son intimité si nécessaire.

Il faut toutefois savoir que, dans la quasi-totalité des établissements aujourd’hui, les hommes et les femmes sont séparés et se baignent dans des endroits différents. Mais à l’origine cette séparation n’existait pas. C’est en effet l’arrivée des étrangers et de leur morale chrétienne au pays du soleil levant à l’ère Meiji, au milieu du 19ème siècle, qui a poussé les gérants de Onsens à séparer les deux sexes.

Ce qui frappe quand on rentre dans un Onsen, c’est que toutes les couches de la population y sont présentes. Des personnes âgées, des salary-men, des jeunes, des parents avec leurs enfants… toute la diversité de la société est là. Même les lycéens se retrouvent parfois à la fin des cours pour un moment privilégié et de calme dans un Onsen. On a du mal à imaginer quelque chose de semblable dans l’Hexagone.

La magie de ce symbole de la plénitude nippone, Mark Edward Harris l’a capturée avec son objectif depuis près de 30 ans. Chose extrêmement rare sachant que les appareils photos sont évidemment interdits dans ces lieux palpés d’un certain mystère.

Dans un cadre privilégié

Le photographe américain, dont les clichés ont eu l’honneur des pages de Life, Vanity Fair, The New York Times, a en effet commencé son histoire d’amour avec l’atmosphère si particulière des Onsens dès 1992 alors qu’il se rend à Beppu, une ville thermale située sur l’île de Kyushu. Il se trouve très vite subjugué par l’ambiance éthérée de l’endroit, comme il l’explique à nos confrères de Pen : « J’ai chargé mon Nikon FM2 avec une pellicule noir et blanc à haute vitesse et j’ai fait quelques images dans l’une des sources chaudes intérieures. À cause de toute la vapeur, les photos avaient un aspect très surréaliste et ont attiré l’attention de plusieurs magazines et galeries. »

Cette connexion avec l’archipel se poursuit jusqu’en 2003. Après avoir parcouru le pays en long et en large et pris des centaines de photos, il compile ses plus beaux clichés dans un ouvrage intitulé « The Way of the Japanese Bath ».

L’idée n’est pas de créer des images dignes d’une brochure, avec des modèles maquillés, mais plutôt de créer des impressions artistiques de l’expérience, basées sur l’authenticité.

En jouant sur les nuances de lumière et d’obscurité qu’offrent le noir et blanc, il sublime ce qu’il considère comme un art japonais : « Je pense que le noir et blanc transmet mieux le sentiment de l’expérience onsen. L’idée n’est pas de créer des images dignes d’une brochure, avec des modèles maquillés, mais plutôt de créer des impressions artistiques de l’expérience, basées sur l’authenticité. »

La relation entre l’Américain et les Onsen est toujours aussi vive et c’est plus d’une centaine d’établissements qu’il a à présent visités dans le pays.

The Way of the Japanese Bath a déjà eu droit à deux nouvelles éditions, en 2013 et 2019, agrémentées à chaque fois de nouveaux clichés sublimes et inédits.

L’ouvrage est édité par Shashin Press au prix de 90€.

Stéphane Hubert


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