A Kyoto, les cerisiers fleurissent de plus en plus tôt. Une conséquence directe du réchauffement climatique et du phénomène d’îlot de chaleur observé dans l’ancienne capitale du pays, selon une étude. Bien au-delà d’un phénomène local, cette floraison précoce symbolise un dérèglement climatique global qui bouleverse les équilibres naturels et menace les écosystèmes. On fait le point.
Célèbre dans le monde entier pour sa beauté et poésie, la floraison des cerisiers ornementaux – également connus sous le nom de sakura – couvre le pays d’une teinte rosée à blanchâtre chaque printemps. Alors qu’elle ne dure que quelques jours, locaux et touristes s’empressent de profiter du spectacle en organisant pique-niques, célébrations et promenades autour des sites les plus convoités pour leur population de cerisiers. Ce rituel d’observation des fleurs, appelé hanami en japonais, perdure depuis des milliers d’années et s’inscrit comme un événement culturel important sur l’archipel.

Une floraison plus précoce d’année en année !
D’habitude attendue pour le début du mois d’avril, la floraison des cerisiers ne cesse de s’avancer. En 2021, elle avait pour la première fois atteint son apogée le 26 mars, soit la date de floraison complète la plus précoce depuis plus de 1200 ans. Depuis, la tendance a atteint son apogée en 2023, avec une floraison le 25 mars. Cette année, le pic de floraison maximale des cerisiers à Kyoto a été atteint samedi 5 avril.
Inquiets de ce phénomène, des chercheurs du Met Office au Royaume-Uni et de l’Université métropolitaine d’Osaka se sont associés dès le printemps 2021 pour en identifier les causes. En mai 2022, ils publient une étude dans la revue Environmental research letters intitulée Human influence increases the likelihood of extremely early cherry tree flowering in Kyoto (trad : “L’influence humaine augmente la probabilité d’une floraison extrêmement précoce des cerisiers à Kyoto”, ndlr.).
Le passé pour éclairer le présent
En se basant sur des données remontant à 812 après J.-C. grâce à des documents historiques comme des journaux et des chroniques de la cour impériale, les scientifiques ont été capables d’étudier les variations de floraisons et de températures observées dans la ville. “À Kyoto, la date de floraison maximale a oscillé autour de la mi-avril pendant des siècles, mais a commencé à se déplacer vers début avril au XIXe siècle. Cette date n’a été décalée vers fin mars qu’à quelques reprises dans l’histoire”, explique à CNN Yasuyuki Aono, co-auteur de l’étude.
Grâce à ces relevés, les chercheurs établissent rapidement un graphique démontrant le recul graduel de la date de floraison des cerisiers. Si elle dépend de nombreux facteurs, comme la météo et les précipitations, une explication plus structurelle s’impose pour expliquer le phénomène. Couplé aux données météorologiques, le lien est désormais évident : l’augmentation des températures dans la région induit une floraison précoce des sakura.
Le réchauffement climatique en cause
Les causes de cette tendance sont clairement identifiées par l’équipe de scientifiques : le réchauffement climatique mondial en principal, mais aussi le phénomène d’îlot de chaleur, provoqué par une urbanisation constante depuis plusieurs décennies. “Nous constatons un décalage significatif de la saison de floraison moyenne de plus d’une semaine, dont environ la moitié est due au réchauffement urbain”, détaillent les chercheurs dans leur étude. “D’ici la fin du siècle, et dans des conditions d’émissions moyennes, le décalage précoce devrait encore s’accroître de près d’une semaine”.
Si des floraisons extrêmement précoces, comme en 2021, seraient “rares” sans l’intervention humaine, leur probabilité est désormais 15 fois plus élevée selon l’étude. “De tels événements devraient se produire régulièrement d’ici 2100, date à laquelle ils ne seront plus considérés comme extrêmes”, regrettent les scientifiques.
Kyoto, une ville en évolution
Une des plus anciennes villes de l’archipel nippon, Kyoto a connu d’importantes évolutions. Alors que la ville ne comptait environ que 279 000 habitants lors de la création de la municipalité en 1889, sa superficie a doublé en 1918 avec le développement de nouvelles routes, du tramway électrique et la création de lotissements. “Le pic démographique le plus notable s’est produit entre 1920 et 1970, durant l’après-guerre. La population est passée d’environ 521 000 habitants en 1920 à environ 1,5 million en 1970, après quoi elle s’est stabilisée”, note RTF.
A mesure de l’urbanisation croissante de la région, la multiplication du bâti et la couverture artificielle du sol accentuent le réchauffement urbain, car les bâtiments et les routes absorbent davantage la chaleur du soleil que les paysages naturels. Dans les régions rurales alentours, le phénomène de floraison précoce est d’ailleurs plus modéré, notent les chercheurs.

Cependant, le facteur déterminant reste le réchauffement climatique, observable à l’échelle de la planète et de la région. “Une tendance au réchauffement depuis le milieu du 20e siècle se reflète dans la phénologie des cerisiers, car les périodes de floraison arrivent plus tôt. La recherche d’attribution a démontré le rôle significatif des activités anthropiques dans la hausse des températures moyennes et extrêmes en Asie de l’Est, principalement due aux émissions de gaz à effet de serre”, expliquent les auteurs de l’étude.
Un phénomène qui ne se limite pas aux sakura
A l’instar des cerisiers, de nombreux végétaux connaissent des dérèglements croissants de leur cycle de floraison à cause du réchauffement climatique. C’est le cas notamment de plusieurs espèces de culture et de plantes à forte valeur économique, posant de graves problèmes pour la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des agriculteurs à travers le monde.
En outre, les plantes à floraison et les insectes dépendent fortement les uns des autres pour leur survie. Au rythme de relations millénaires savamment orchestrées tout au long des saisons et de leur cycle de vie, des liens d’interdépendance se tissent. “Alors qu’autrefois l’éclosion des fleurs et le retour des insectes étaient simultanés chaque printemps, les fleurs peuvent désormais fleurir avant que les insectes ne soient prêts, et inversement”, détaille Amos Tai, professeur associé de sciences du système terrestre à l’Université chinoise de Hong Kong, au média américain.
“Cela signifie que les insectes, essentiels à l’écosystème, risquent de ne pas trouver suffisamment de nourriture pour assurer leur survie, et que les plantes manquent de pollinisateurs pour se reproduire”, a-t-il expliqué. Les écosystèmes, peu armés face à ces fluctuations rapides et importantes, se voient gravement menacés par ce bouleversement d’ordre artificiel. Pour cause, dans la nature, les changements naturels du climat se font sur des temps très long, ce qui permet aux espèces de s’adapter en toute quiétude. Avec le changement anthropique, lié à l’Humanité, les phénomènes observés sont bien trop rapides pour permettre une adaptation efficace.
Témoins de l’ampleur du dérèglement climatique en cours, les cerisiers japonais connaissent également une floraison précoce ailleurs dans le monde. Selon le National Park Service américain, la date de floraison maximale des cerisiers qui ornent le Tidal Basin à Washington (DC) a été avancée de près d’une semaine, passant du 5 avril au 31 mars.