Dans « La Mélancolie », l’heure est au choix pour une jeune femme tiraillée entre ses envies, ses fantasmes et les cadenas émotionnels d’une société japonaise qui semble parfois en avoir perdu les clés. Un film qui nous fait voguer avec calme sur un torrent invisible de contradictions et de non-dits.

La Mélancolie est un long-métrage de Takuya Kato.

Nous y suivons Watako qui, après le décès brutal de son amant, retourne discrètement à sa vie conjugale, sans parler à personne de cet accident. Lorsque les sentiments qu’elle pensait avoir enfouis refont surface, elle comprend que sa vie ne pourra plus jamais être comme avant et décide de se confronter un à un à tous ses problèmes.

La Mélancolie : une histoire de disparition

Wakato fait dès les premières minutes l’expérience traumatisante d’un deuil à l’impact double. Le premier est physique avec la mort de son amant dans un accident. Le deuxième –en réaction au premier- est invisible mais néanmoins bien réel puisqu’il concerne les espoirs de la jeune femme d’un nouveau destin. Celui-ci semble s’évanouir avec cette disparition alors qu’elle doit bien se résoudre à retourner auprès de son mari et à garder secret ses illusions au parfum de nouveau départ.

Wakato a en effet entraperçu une graine de bonheur dans sa relation épanouissante avec son amant. Elle aurait pu grandir et offrir d’étincelants bourgeons de plaisir mais le terreau pour l’accueillir a hélas brutalement disparu. Alors qu’en faire ? La détruire et retrouver une réalité « pratique » mais sans fougue ou la garder pour la planter ailleurs et prendre le risque qu’elle ne pousse pas ?

Une décision délicate à prendre, encore plus dans un Japon qui n’arrive que difficilement à se défaire de ses chaînes traditionalistes.

Face à la force des faux-semblants

La Mélancolie nous fait ainsi le portrait du couple japonais comme on le devine de plus en plus problématique. Des unions sans réel sentiment d’amour, des relations adultères devenues presque monnaie courante et sans surprise et des mariages qui ne tiennent que par convention sociétale et pour les apparences. Le constat est un peu triste, il faut bien le reconnaître. Les unions recomposées ne sont, elles, pas toujours bien accueillies par les « anciens ». Wakato sait par exemple qu’elle ne sera acceptée par sa belle-mère qu’à la seule condition de lui donner un petit-fils ou une petite-fille. Jusque-là, elle n’est personne à ses yeux. Là encore, les conventions ont la peau dure dans la société japonaise.

Le long-métrage nous offre donc une étude de mœurs en filigrane soulignée par une mise en scène, là aussi, toute japonaise.

Au nom des mouvements intérieurs

Bien que simple dans ses prémices, le scénario de La Mélancolie n’en est pas moins avare en surprises. Les informations personnelles sur les relations entre les personnages sont ainsi distillées au compte-goutte. Qui sont-ils ? Comment se sont-ils rencontrés ? Quel est leur passé ? Le scénariste-réalisateur joue sur ces révélations pour tenir le spectateur en haleine. Autour d’un rythme calme, l’histoire de Wakato s’écrit alors petit à petit, son présent s’expliquant par les événements passés et annonçant les choix qui dessineront son avenir.

La réalisation est très théâtrale, ce qui n’est pas étonnant quand on étudie le CV de Takuya Kato. Le Japonais d’à peine 30 ans est en effet surtout connu pour sa carrière de metteur en scène et de scénariste de pièce de théâtre. Avec plus de 20 œuvres montées sur les planche, La Mélancolie n’est que son second long-métrage au cinéma après Grown-ups en 2022 (inédit en France). On y retrouve de longs plans séquences, d’autres fixes (pour souligner l’immobilisme cher aux traditions nippones ?), sans autre artifice que des jeux de lumières et de miroir, sublimés, bien évidemment, par la force d’interprétation des acteurs.

Mugi Kadowaki (croisée dans Aristocrats) habite ainsi le rôle de Wakato de ses silences et la finesse de son jeu. Ses regards en disent souvent bien plus que les mots, se dérobant parfois face à la vérité, s’illuminant d’autres d’une étincelle de rage intérieure face à cette vie qui semble s’amuser de ses envies.

La Mélancolie est un long-métrage qui se déguste par sa lenteur, ses silences et les non-dits qui se cachent entre les mots. On y voit le Japon moderne, ses contradictions, les failles de ses fondements et les espoirs que l’énergie déployée par certaines personnes insuffle pour les faire vaciller. Avec la promesse d’une hypothétique libération ? Pour enfin connaître le bonheur ? Il faudra se risquer à prendre son destin en main pour avoir peut-être cette chance.

Distribué par Art House, La Mélancolie est à découvrir au cinéma en France dès le 14 août.

Stéphane Hubert