Jusqu’où irions-nous pour laver notre honneur ? La soif de vengeance peut-elle nous faire oublier tous nos principes ? « Le Joueur de go », drame japonais en costumes, nous plonge dans les méandres psychologiques d’un samouraï à la croisée des chemins du contrôle et de la colère. Un film à découvrir au cinéma en France.

Le Joueur de go est un film réalisé par Kazuya Shiraishi. Il s’agit d’une adaptation de l’œuvre “Gobangiri another story of Yanagida Kakunoshin » écrit par Masato Kato, elle-même inspirée d’une pièce de théâtre kabuki.

L’histoire suit Yanagida, un ancien samouraï, qui mène une vie modeste avec sa fille à Edo et dédie ses journées au jeu de go avec une dignité qui force le respect. Quand son honneur est bafoué par des accusations calomnieuses, il décide d’utiliser ses talents de stratège pour mener combat et obtenir réparation…

Libre comme l’ère ?

Le Joueur de go est le portrait d’un samouraï errant sans maître, appelé ronin à l’époque Edo. On ne sait pas grand-chose de lui. Très énigmatique, le regard perçant et toujours aux aguets nous rappelant son passé de samouraï. Qui est-il ? Quel est son passé ? C’est ici le fil rouge qui nous fait suivre ce récit avec grande attention.

Les pièces du puzzle nous sont offertes petit à petit. On peut même dire qu’il y a deux films en un dans Le Joueur de go alors que l’intrigue bifurque au nom de la vengeance en son milieu. Les katanas qui frétillaient d’impatience dans leurs fourreaux se libèrent alors pour laver les honneurs. Car le personnage de Yanagida se veut fidèle au bushido, le code de principes moraux que suive les samouraïs jusqu’à en mourir. Même si les batailles ne se passent pas toujours sur les champs.

Le Joueur de go : la guerre des plateaux

Le réalisateur arrive en effet à créer de la tension sur un matériau –le jeu de go- pourtant presque figé qui ne semble pas, par sa nature quasi immobile, se prêter au cinéma. Pourtant, par des jeux de regard, des hésitations dans les mouvements ou les visages des spectateurs, le spectateur regarde chaque joute sur les plateaux de bois comme des moments où se joue l’avenir du monde.

C’est la vraie réussite du film, ces matchs étant en plus infusés de valeurs philosophiques de vie. Pour Yanagida le vertueux, la manière de jouer -« juste, intègre et sans entourloupe »- est aussi importante que l’issue de la partie. Genbei, le prêteur sur gage, en tirera justement des valeurs de dignité.

Tout ça dans une ambiance feutrée très travaillée.

Le siècle des lumières

Le joueur de go

Le Jeu de go est un film qui se veut le plus près de la réalité historique qu’il dépeint. Notamment pour tout ce qui concerne la diffusion de lumière. Kazuya Shiraishi a en effet souhaité la montrer sans artifice, telle quelle serait dans la réalité de cette ère Edo (1600-1868). Les rayons du soleil traversent ainsi les parois de papier washi. Les flammes de bougie et les lampions illuminent les plateaux de jeu sur lesquels le blanc et le noir se livrent bataille. Et au milieu de la nuit, seule la lune ose s’aventurer pour éclairer les corps.

Les décors sont aussi très beaux, recréés dans des studios à Kyoto. Les rues s’animent au son des furin qui carillonnent dans le vent. L’effervescence de Yoshiwara est également bien rendue, tout comme celles des matsuri qui rythment les saisons. Même constat pour le quartier des plaisirs où l’amour n’a pas vraiment sa place. Les filles qui pensent le contraire en payent le prix fort à la moindre tentative de fuite en son nom. Comme le rappelle la matriarche de la maison close, « L’enfer est tapi dans l’ombre » .

Cette atmosphère travaillée sert admirablement le récit, mené de main de maître par un casting haut de gamme.

Des joueurs d’expérience

Tsuyoshi Kusanagi est admirable dans le rôle du taciturne Yanigada. L’ancien membre du boy’s band SMAP trouve ici un rôle à la mesure de son talent. Il oscille ici entre rage et sobriété, nous rappelant la grande versatilité des acteurs japonais. Face à lui, le vétéran Jun Kunimura fait parler sa prestance en Genbei. L’acteur apparu dernièrement dans Asura joue sa partition à merveille en vieux prêteur sur gage. À l’orée du crépuscule de sa vie, chaque match de go contre son adversaire est une véritable leçon de philosophie. De quoi remettre en question la façon dont il a vécu jusqu’ici. « La cupidité n’apporte pas la victoire. », confie-t-il.

Le Joueur de go est une épopée magnifique, charmante et maîtrisée. Suivant les pas de ce samouraï déchu en quête d’honneur, le réalisateur nous offre un film élégant dont l’écrin initial de sérénité est petit à petit chamboulé par la rage née de l’honneur bafoué.

Le long-métrage, distribué par Art House, est à retrouver au cinéma en France dès le 26 mars 2025.

Stéphane Hubert