En plus de mettre en lumière un art typiquement japonais, « Le Maître du kabuki » est un film éblouissant à la force émotionnelle rare. Une œuvre essentielle, tout simplement, et on vous explique pourquoi.

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Le Maître du kabuki est un film de Lee Sang-il, adapté du roman éponyme de Shuichi Yoshida.

L’histoire débute à  en 1964. À la mort de son père, chef d’un gang de yakuzas, Kikuo, 14 ans, est confié à un célèbre acteur de kabuki. Aux côtés de Shunsuke, le fils unique de ce dernier, il décide de se consacrer à ce théâtre traditionnel. Durant des décennies, les deux jeunes hommes évoluent côte à côte, de l’école du jeu aux plus belles salles de spectacle, entre scandales et gloire, fraternité et trahisons… L’un des deux deviendra le plus grand maître japonais de l’art du kabuki.

Un art majeur

Au même titre que le sumo en sport, le kabuki est un art théâtral enraciné au pays du soleil levant. Il naît au début du 17e siècle et devient réservé aux hommes après quelques décennies (on vous en parle ici). Les autorités accusent les danses des actrices d’être trop suggestives et de servir d’écran à de la prostitution. Leurs rôles sont lors repris par des hommes. Certains s’y spécialisent. On les appelle les onnagata.

Le Maître du kabuki met justement en scène deux acteurs qui en sont les plus grands espoirs. Le film est ainsi un hommage vibrant à cet art millénaire. Le réalisateur réussit avec maestria à nous partager ce qu’il a de plus fort. La mise en scène des pièces est un grand moment d’émotion à couper le souffle. Le long-métrage se révèle d’une beauté esthétique éblouissante, véritable ravissement de chaque instant. Forte de notes de shamisen et de flûte, la musique en sublime également les performances.

Pour le spectateur, c’est un spectacle total tout en délicatesse. Derrière le rideau, l’énergie l’est par contre souvent un peu moins.

Au nom du père

S’il met donc en avant un art tout japonais, Le Maître du kabuki fait de même sur beaucoup des thèmes qu’il aborde. Celui de la succession d’abord. Autant honneur que fardeau, le prestige du nom est un poids facteur de motivation et de stress à se montrer digne de ses ainés. C’est le destin de Shunsuke (Ryûsei Yokohama) qui devra se montrer au niveau du grand maître qu’est son père. Ce dernier lui confie d’ailleurs « Le sang qui coule dans tes veines te protégera toujours. », une phrase encore plus vraie au Japon que partout ailleurs dans le monde.

À l’opposé, tout aussi talentueux que soit Kokuo (Ryô Yoshizawa), il ne pourra jamais changer ses origines. Oui, c’est un fils de yakuza. Il marchera d’ailleurs dans les pas de son paternel pendant quelques années. Symbole de sa résurrection et de ce passé qu’il souhaite cacher, cette peinture blanche qui recouvre son tatouage avant ses représentations. Il oublie alors son passé même si on lui rappelle à longueur de journée d’où il vient comme si c’était un obstacle infranchissable à sa réussite. Aucun passe-droit ne lui sera accordé et le film nous montre cet état de fait avec une désolation désarmante.

Le kabuki, il l’a pourtant dans le sang, mais au sens de la passion. Peut-être même un peu trop.

Tout donner au risque de tout perdre

Le Maître du kabuki nous montre, sur une période de 50 ans, deux hommes aux destins liés et prêts à tout pour faire honneur à un art qui transpire par tous les pores de leur peau.

De par leurs origines, leurs quotidiens sont pourtant bien différents. Nous suivons ainsi l’acteur des villes et l’acteur des champs. L’un travaille quand l’autre s’amuse. Pour Shunsuke, tout est compétition alors que Kokuo ne se bat que contre lui-même.

Le maître (Ken Watanabe), lui, fait passer son art avant sa famille. Son disciple suit la même voie, mettant sa femme et sa fille de côté pour devenir meilleur. Encore et toujours meilleur.

Le film nous montre ainsi avec brio cette quête sans fin de l’excellence que l’on retrouve souvent chez les artisans et artistes de l’archipel. Et il le fait en plus avec une grand intelligence.

Le Maître du kabuki : en classe écho

Le maître de kabuki

Dans le long-métrage de Lee Sang-il, le drame est en effet autant sur scène qu’en coulisses. Dans un choix narratif des plus brillants, les thèmes des pièces jouées font très souvent écho à la réalité des acteurs. La pièce intitulée Double suicide à Sonezaki revient ainsi plusieurs fois et ses dialogues portent à chaque fois en eux un nouveau miroir à la situation personnelle de Kokuo et Shunsuke.

Le réalisateur sait capturer et magnifier les émotions sur scène, que ce soit dans le succès ou la déchéance. Il y a ainsi autant de poésie à danser ivre sous les étoiles qu’à pleurer sous les applaudissements.

Le Maître du kabuki est un film d’une grande finesse narrative à la mise en scène raffinée. La production des scènes de théâtre est d’une immense beauté et le jeu des acteurs à la hauteur des attentes. Malgré ses presque 3h, le temps file et pas une seconde nous ne nous sommes ennuyés. Bien au contraire, le récit est passionnant et nous ouvre les coulisses d’un art japonais qui trouve rarement le chemin jusqu’aux toiles de nos cinémas occidentaux. C’est donc une occasion en or de le découvrir à ne surtout pas rater pour tous les amoureux de la culture de l’archipel.

Au Japon, le film a réuni plus de 12 millions de spectateurs, se glissant à la huitième du classement des plus grands succès de l’histoire du pays. Nous vous confirmons que ce n’est pas un hasard mais simplement un juste retour des choses largement mérité.

Distribué par Pyramide Films, Le Maître du kabuki est à retrouver au cinéma en France à partir du 24 décembre. Un cadeau de Noël avant l’heure.

– Stéphane Hubert