25 décembre de l’an de grâce 0 de celui qui vient de naître, Jésus-Christ voit – hypothétiquement – le jour dans une étable de Bethléem. Un homme au destin incroyable : déclaré fils de Dieu, grand prophète de son temps, figure de proue du plus grand mouvement religieux au monde… Mais aussi et surtout, un grand amoureux de la culture japonaise au point d’y avoir coulé des jours heureux, et finalement d’y être enterré ? Cette histoire rocambolesque semble être un poisson d’avril et pourtant…
Non, chez Mr Japanization, nous ne consommons pas de produits hallucinogènes ni de bonbons toxiques altérant nos fonctions cognitives. Nous vous parlons ici d’un fait cocasse dont le Japon a le secret : Jésus-Christ ne serait pas mort sur la croix au sommet du Golgotha, mais au Japon, longtemps après ! Pire encore, il ne serait même pas mort pour vos péchés et n’aurait même pas souffert sous Ponce Pilate. Il aurait vécu sa meilleure vie au pays du Soleil-Levant, marié, père de famille, au calme. Si vous aviez prévu un pèlerinage direction Jérusalem pour visiter le Saint-Sépulcre, arrêtez tout ! Celui-ci est bel et bien au Japon ! C’est du moins ce que raconte une vieille légende japonaise…
* Cet article est garanti sans blasphème, dans le plus pur respect de la liberté de croyance religieuse *
Mais que diable fait le Fils de Dieu au Japon ?
Eh bien, pour le moment, il reposerait en paix en attendant sa résurrection, dans le pittoresque village de Shingo (新郷村), situé dans la préfecture d’Aomori (青森県), au nord de l’île principale de Honshū (本州) au Japon. Celle-ci est le lieu de sépulture de ni plus ni moins de Jésus-Christ. Il est d’ailleurs possible de se rendre physiquement sur le « Kirisuto no Haka » (キリストの墓, tombe du Christ en français). Du moins, c’est ce que prétendent les locaux depuis des lustres. Mais aussi et surtout, la secte shintoïste locale… L’un de ces courants religieux syncrétiques – pour ne pas dire micro-sectes – dont l’Archipel a le secret.

Tout d’abord, contextualisons cette dinguerie. La légende serait née dans les années 30, en pleine période ultra-nationaliste japonaise. La tendance était alors à la réécriture d’un roman national glorifiant la nation. À cette époque, il était courant de voir émerger des récits imaginaires qui glorifiaient le Japon comme une civilisation ayant des connexions anciennes et universelles… C’est d’ailleurs là que la figure du samouraï fut exacerbée, notamment pour encourager le sacrifice. Un terreau fertile pour la création de légendes diverses, favorisé par la propagande du « Dainippon » : le grand Japon. LE pays au centre du monde.
Tout commence par une révélation d’un membre de la famille Takeuchi dans le petit village de Shingo : Takeuchi Kiyomaro, prêtre shinto de son état. Bien entendu, ces documents sont des copies réécrites par la famille à l’identique… Car un incendie aurait détruit les précieux originaux quelques années auparavant.
Le contenu de ces documents est troublant. Et il en existe plusieurs versions. Nous allons vous conter celle reconnue comme la plus probable. En effet, Jésus aurait décidé, à ses 14 ans, de partir en Inde pour y étudier le bouddhisme. C’est là-bas qu’un moine lui aurait conseillé de voyager vers le Japon afin de découvrir la culture locale et sa religion si riche, afin de s’en imprégner.
Un périple que le Christ aurait entrepris aux alentours de ses 21 ans. Sur place, il aurait appris les concepts et la sagesse du shintoïsme… Mais aussi, toujours selon les textes, certains arts martiaux. Vous ne l’avez pas vu venir, mais Les Inconnus, sans le savoir, avaient un peu raison dans leur sketch Jésus 2 le retour ; avec sa distribution des pains version karaté. Riche de ces nouveaux savoirs, Jésus retournera au Moyen-Orient avec une sagesse japonaise digne des grands samouraïs.
De retour sur ses terres natales vers ses 30 ans, Jésus s’empressa bien évidemment de diffuser la culture et la religion japonaises dont personne n’avait jamais entendu parler jusqu’ici. Ceci expliqua comment Jésus, en réalité, arriva à subjuguer les foules de son temps.
Bien entendu, les autorités religieuses locales, comme nous le savons, ne purent supporter un tel affront. Il fallait se débarrasser de cet homme encombrant et vite, avant que celui-ci ne fasse tomber les institutions religieuses anciennes.

La suite, vous la connaissez : persécution, trahison de Judas, Ponce Pilate s’en lave les mains, Jésus souffre la Passion, Crucifixion, Barabbas, etc. etc. Le récit est raccord. Sauf que voilà… Coup de théâtre, en fait, personne n’avait pensé à vérifier les documents d’identité du supplicié. L’homme qui fut torturé et assassiné ce jour-là n’était pas le Christ rédempteur, mais quelqu’un lui ressemblant. Un frère, pour être précis, au prénom résolument très japonais : Isukiri.
Pendant que son frère disparaissait de l’histoire à son profit, Jésus s’était fait la malle plus vite qu’un influenceur français s’exilant à Dubaï pour éviter le fisc. Après un très long périple à travers les déserts, les steppes venteuses et la glaciale Sibérie, Jésus arriva pour la seconde fois au Japon. Il posa ses valises dans le petit village de Shingo. Là, il épousa une femme locale nommée Miyuko, avec laquelle il aurait eu trois enfants métis.
Après une longue et heureuse vie de fermier, transmettant aux villageois ses enseignements divins, il s’éteignit à l’âge canonique de 106 ans, dans la paix et la satisfaction. C’est ainsi qu’il fut enterré sur ces terres même où il avait écoulé des jours heureux, loin des persécutions et des vils envahisseurs romains. Il reposerait désormais sur une colline, dans un tumulus surmonté d’une croix sombre. Un peu comme celle où fut supplicié son frère Isukiri, le malchanceux.

L’histoire vous paraît absurde ? Et pourtant…
Des rituels hébraïques au Japon ?
C’est ici que commence à germer la graine du doute. Que viennent faire des rituels et des mots d’origine hébraïque dans une localité située à des milliers de kilomètres du Moyen-Orient ? Mais surtout, comment se fait-il que ces mêmes rituels semblent être apparus bien avant la publication des documents sur la vie du Christ à Shingo ?
Plusieurs exemples. Tout d’abord, le Nembutsu Odori. C’est une danse traditionnelle pratiquée dans le village de Shingo ainsi que dans d’autres régions du Japon. Il est important de souligner qu’il s’agit avant tout d’un rite bouddhiste. Son but premier est d’honorer les morts ou d’invoquer les esprits. Celle-ci consiste généralement en des mouvements circulaires, accompagnés de chants ou de récitations rythmées de mantras.

Certains observateurs ont toutefois noté de troublantes similitudes avec certaines danses rituelles pratiquées dans les cultures hébraïques anciennes, notamment dans les mouvements en cercle, une forme typique de danse communautaire dans le Proche-Orient antique. D’étranges similitudes sont aussi visibles dans les motifs stylistiques des textiles portés par les participants. De là à y voir une connexion antique entre peuples sémites et proto-japonais, cela semble un peu tiré par les cheveux. Pourtant, certains Japonais y croient fermement.
Il existe à l’heure actuelle plusieurs théories, plus ou moins probables, tentant d’expliquer des liens possibles entre le Japon et Israël, souvent basées sur des observations culturelles ou linguistiques. Certains théoriciens suggèrent que les Tribus Perdues d’Israël, dispersées après la destruction du royaume d’Israël (722 avant J.-C.), auraient migré vers l’Est, atteignant finalement le Japon après plusieurs années d’errance. Le peuple juif étant connu pour sa diaspora, est-ce à ce point improbable ?
Cette théorie tente de se justifier à elle-même par des détails relevant toutefois bien plus de coïncidences que de réalités tangibles. Par exemple, des pratiques comme la purification rituelle avec de l’eau (courante dans le shintoïsme et le judaïsme) ou des interdits alimentaires (semblables aux règles casher) sont également mentionnées comme possibles traces d’influences croisées. D’autres encore sont allés plus loin en affirmant que le mot japonais « Mikado » (ancien terme pour empereur) aurait une origine hébraïque. Bien entendu, toutes ces théories n’ont absolument aucun fondement. Ni historique, ni empirique, encore moins linguistique. Mais elles alimentent la légende locale avec beaucoup de facilité.
Une autre théorie paraît toutefois bien plus probable. Le christianisme s’était largement diffusé sous l’impulsion des Occidentaux, avant son interdiction en 1587. Les autorités japonaises de l’époque y voyaient une menace contre les religions locales, mais aussi une forme d’ingérence politique étrangère. S’ensuivit une vague de persécutions contre les chrétiens, jusqu’à la levée de l’interdiction du christianisme en 1873. À partir de cette année, plusieurs tentatives de fusion de la religion majoritaire occidentale avec les religions locales furent tentées.
Ces hybridations, combinées au fait que le christianisme s’est pratiqué sur l’Archipel de manière clandestine pendant plusieurs siècles, ont pu conduire à l’apparition de légendes nippono-centrées. Avec comme lieu sacré, la tombe du Christ de Shingo. Mais encore une fois, cette théorie ne peut pas être validée de manière officielle et ne peut demeurer que hypothétique, faute de documents irréfutables.
Nous sommes donc bel et bien en présence d’un folklore, probablement influencé par la légende de cette bien étrange tombe du Christ du Soleil-Levant. Nous sommes sincèrement désolés de vous décevoir à ce point… En réalité, il s’agissait à la base d’une tombe anonyme, quelconque, qui était là depuis des temps immémoriaux. Et quelle aubaine pour le maire de Shingo, Denjiro Sasaki, quand la famille Takeuchi lança la légende de la sépulture du Christ. En effet, l’élu, depuis un bon moment déjà, réfléchissait à une bonne façon d’attirer les touristes dans les parages… Une nouvelle légende était née.
Une curiosité qui vaut le détour
Et ça fonctionne. Le prétendue tombe de Jésus au Japon est une curiosité qui vaut le détour. Bien que les voies du Seigneur soient réputées impénétrables, celles de Shingo sont, elles, belles et bien accessibles en train ou en voiture. La rédemption n’est qu’à 4h15 de Tokyo et des panneaux très officiels vous indiquent la voie à suivre.

Il faut l’admettre, cette légende représente une aubaine pour le tourisme local alors que les petits villages comme Shingo meurent lentement faute d’habitants. Chaque année, ce sont 30 000 personnes qui se rendent dans ce lieu hors du commun. De fait, il en devient alors aisé de comprendre pourquoi les locaux entretiennent le mystère autour de ce bien étrange tombeau. Une chose est sûre : la personne qui se trouve à cet endroit n’est probablement pas le Messie de la religion chrétienne.
Shingo s’est cependant doté d’un musée fort sympathique qui vaut le détour. Le Musée du Christ de Shingo (ou Kirisuto no Sato Denshōkan) présente une variété d’expositions liées à la légende du Jésus japonais. Nous pouvons y voir des documents, des objets, mais aussi des illustrations qui racontent l’histoire du précurseur du tourisme au Japon. Au menu de cette exposition hors du commun : des répliques de la tombe de Jésus, des artefacts culturels japonais, dans un cadre digne d’une localité américaine pittoresque d’un état conservateur. Mais aussi des descriptions détaillées des traditions et folklores locaux potentiellement en lien avec la culture religieuse hébraïque antique ou moderne.

Bien entendu, dans cette histoire, la famille Takeuchi n’est pas en reste. Le musée expose aussi l’histoire de cette famille atypique, prétendument gardiens ancestraux des secrets de celui qui ne fut finalement pas crucifié. Dan Brown n’a qu’à bien se tenir ! À ne pas manquer également : le Festival du Christ (Kirisuto Matsuri) qui perdure depuis 1964 ! Au programme : des danses traditionnelles, des performances culturelles et des cérémonies liées à la légende de Jésus à Shingo. Allez hop, on oublie le Vatican, Lourdes et Jerusalem. Si vous voulez vraiment voir des miracles d’imagination humaine, c’est à Shingo que ça se passe, dans une relative bonne humeur et sans prosélytisme. Et dans le doute : une fois sur place, ne dites pas non à une petite prière pour l’équipe de Mr Japanization 😉 !
– Gilles CHEMIN
Sources :
– Tombe de Jésus-Christ – Japan Travel
– In Japan, Jesus’ miraculous tomb – Le Monde, 25/12/2022
– Tombe du Christ de Shingō – Wikipédia



















































