Le débat sur le port de l’uniforme à l’école revient régulièrement sur le devant de la scène en France et parmi les pays cités en exemple par les défenseurs, on trouve très souvent le Japon. Le Japon a en effet adopté depuis la fin du 19e siècle le port de l’uniforme dans les collèges et lycées, aussi bien privés que publics. Le traditionnel kimono disparaît des écoles au profit d’un uniforme occidental d’inspiration militaire. Les deux principaux uniformes, le gakuran, et surtout le sailor-fuku, font désormais partie intégrante de la culture populaire japonaise. Revenons ensemble sur l’histoire fascinante de ces uniformes typiques du Japon, pourtant bien d’origine bien occidentale.
L’histoire du Seifuku
Le terme Seifuku 制服 signifie « uniforme » et désigne à la fois les uniformes scolaires, mais aussi ceux portés par certaines fonctions comme la police, l’armée ou encore l’aviation. Les uniformes scolaires sont essentiellement portés au collège et au lycée par les étudiants, qu’ils soient scolarisés dans le privé ou dans le public.
L’uniforme typique porté par les garçons est appelé gakuran et celui porté par les filles est appelé sailor-fuku.
Le gakuran 学ラン fut porté pour la première fois en 1879 par les élèves du Gakushûin 学習院, une institution réservée aux membres de la famille impériale et de la noblesse japonaise. Cet uniforme, inspiré de ceux des soldats de l’armée prussienne, est composé à l’origine d’une veste à col droit, d’un pantalon droit et d’un chapeau.
Quant au premier uniforme féminin, il ne s’agit pas du sailor fuku mais d’une robe occidentale (voir photo ci-dessus). Cet uniforme fut porté pour la première fois en 1885, mais comme il n’était pas du tout pratique, ils fut remplacé par des Hakama, de larges pantalons traductionnels. La tenue sailor fuku, セーラー服, si emblématique, date de 1920 comme nous allons le voir.
Les uniformes japonais ont beaucoup évolué au cours de l’histoire, par exemple dans les années 1940, et ce à cause de la guerre, les uniformes d’inspiration occidentale furent proscrits et des uniformes nationaux furent mis en place. Un paradoxe sachant que l’Empereur Meiji imposait la « modernisation » du Japon sur le modèle occidental.
Dès les années 1960, les uniformes gakuran et sailor fuku ne sont plus les seuls uniformes portés, puisque la veste blazer fait aussi son apparition. Selon les écoles, et toujours de nos jours, les garçons peuvent ainsi porter un blazer avec un pantalon et les filles un blazer avec une jupe. Il est également possible de trouver des pulls à la place des vestes.
Parmi les autres évolutions récentes, on peut citer le fait que les matériaux utilisés sont plus écologiques. Aussi, certains uniformes sont créés par des créateurs de mode, d’autres incluent des éléments « streetwear », comme des sweats à capuche, des chaussettes basses ou encore des baskets, il est également possible de porter des cravates à la place des rubans… tous les uniformes ne se ressemblent donc pas. En général ce sont les écoles elles-mêmes qui décident de l’uniforme que porteront leurs élèves. Parfois, ce sont les collectivités locales qui s’en chargent, ainsi plusieurs établissements peuvent avoir un même uniforme, ce qui est pratique lorsqu’une famille déménage dans la région.
Il existe plusieurs fabricants d’uniformes scolaires au Japon, dont la plupart sont situés dans la préfecture d’Okayama. La concurrence pour être choisi par les écoles, surtout par les écoles privées, est rude et lorsqu’une école décide de changer d’uniforme, les fournisseurs se bousculent pour remporter les contrats. Il existe deux versions de chaque uniforme, une version été et une version hiver, mais les étudiants ne peuvent pas en changer librement ! Ils changent de tenues exactement le 1er juin et le 1er octobre, c’est ce qu’on appelle le « koromogae », la tenue d’été étant plus légère et supportable.
Le sailor-fuku, élément emblématique de la culture japonaise
Le sailor-fuku est comme son nom l’indique un uniforme inspiré de ceux de la marine occidentale. C’est peut-être ce grand écart culturel entre le vêtement et les japonaises qui le portent qui a généré cette étrange fascination. Il fut introduit en 1921 par Elizabeth Lee et s’inspire de la tenue qu’elle portait lors de ses études à la Royal Navy en Grande-Bretagne. Elle fit ensuite porter cet uniforme aux élèves de l’établissement Fukuoka Jo Gakuin, dont elle était la directrice. Selon certaines sources, il semble que le tout premier uniforme fut en réalité introduit un peu avant, en 1920, au sein de l’établissement Heian Jogakuin de Kyôto. Quoi qu’il en soit, l’uniforme sailor-fuku est très rapidement devenu populaire dans tout le pays sous l’impulsion d’Elizabeth. Un véritable effet de mode.
Cet uniforme est composé principalement d’une blouse avec un col marin, d’un ruban et d’une jupe plissée qui sera de plus en plus courte avec le temps. Le sailor fuku est un élément important de la culture populaire japonaise, on le trouve absolument partout : télévision, musique, manga, mode… C’est l’uniforme par excellence de nombreux groupes d’idols féminins, comme les AKB48 ou les Nogizaka46. Il fut également popularisé à l’international grâce au dessin animé Sailor Moon, Naoko Takeuchi s’étant ouvertement inspirée de l’uniforme pour créer les costumes des héroïnes.
Dans les années 1970, le sailor fuku fut également popularisé par les délinquantes japonaises, connues sous le nom de Sukeban (voir notre article très complet sur ce sujet). Leur image de filles rebelles habillées dans une tenue « sage » d’écolière attira les producteurs de cinéma et de nombreux films mettant en scène des Sukeban ont ainsi vu le jour : des films d’action, mais aussi des « pinku eiga », des films érotiques. On comprend peu à peu où se dessine la problématique. Dans les années 1990, les écolières vont volontairement raccourcir leurs jupes. La pureté de la jeunesse couplée à un habillement de plus en plus sexualisé. Ce cocktail dérangeant va faire de cet uniforme un véritable objet de fétichisme chez les hommes japonais.
L’image hyper sexualisée des écolières japonaises dans les médias aura un fort impact sur leur vie quotidienne. Les attouchements sur des étudiantes dans les transports en commun, appelés « chikkan », vont augmenter drastiquement pour devenir un phénomène de société entier. Dans les années 1990, la revente d’uniformes et des sous-vêtements utilisés par des écolières voit le jour. Appelés Burusera ブルセラ ces magasins sont un vrai problème social. À l’origine, les étudiantes elles-mêmes pouvaient y acheter des articles d’occasion, tels que des uniformes ou des tenues de sport, mais rapidement, la clientèle est devenue masculine. Sans surprise, on pouvait y trouver des sous-vêtements usagés en vente, avec une photo de la jeune fille censée les avoir portés… Rappelons que nous parlons ici d’étudiantes mineures.
Aujourd’hui, le fétichisme autour du seikufu s’est mondialisé. L’image de l’étudiante japonaise sexuellement ouverte est répandue partout dans la culture pop. Au Japon, les viols et les agressions sexuelles dans un cadre scolaire reste monnaie courante bien que les statistiques officielles ne reflètent en rien la réalité. Pour cause, les victimes japonaises ont l’obligation sociale de se taire et craignent la honte plus que tout.
Certains japonais estiment que les étudiantes sont responsables de leur usage « sexy » de l’uniforme en raccourcissant, par exemple, leur jupe, ce qui aguicherait les hommes. La réalité est plus nuancée comme nous l’explique Lina, une japonaise de 28 ans : « Quand j’étais au lycée, j’ai compris assez rapidement que les chikkan ciblent spécifiquement les jeunes filles fragiles et timides. En réalité, les agresseurs japonais ne s’attaquent pas aux femmes fortes. Ce sont des lâches. Porter une jupe courte et avoir une attitude affirmée et libre permet justement d’éviter les attouchements. Ils ont peur de notre réaction. Un paradoxe unique au Japon ?
Les Seifuku, toujours utiles ?
L’utilité des uniformes scolaires fait aussi débat au Japon. Le principal argument en sa faveur est qu’il permet d’éviter les distinctions sociales, puisque tous les étudiants portent la même chose. Cet argument est remis en cause par ceux qui trouvent que les uniformes coûtent cher.
Selon une étude, le coup moyen d’un uniforme, avec les tenues de sport, est de 60.000 yens (379€ actuellement, le yen ayant beaucoup chuté). Certaines familles sont d’ailleurs obligées d’acheter des uniformes d’occasion, ce qui est assez visible une fois porté. Par ailleurs, la distinction sociale s’affirme aussi dans des détails comme les marques de luxe pour les chaussures ou de simples broches de grandes marques. Contrairement à la croyance, l’uniforme ne gomme pas les différences de classes et n’empêche pas le harcèlement entre étudiants. Son avantage semble surtout symbolique et esthétique.
Parmi les critiques formulées par les étudiants eux-mêmes, car ce sont quand même eux les principaux concernés, on retrouve le fait que les règles sont beaucoup trop strictes. Par exemple, de nombreuses écoles ne laissent pas les filles porter des collants ou des pantalons en hiver. Elles doivent supporter le froid en toutes circonstances. Certains pointent aussi le fait que certaines matières obligatoires leur donnent des allergies ou accentuent des problèmes de peau. Les établissements s’en moquent royalement. Il faut rentrer dans le moule.
Si beaucoup ne voient plus trop l’utilité des uniformes scolaires, force est de constater que ce le seifuku reste un incontournable de la culture japonaise. Il semble aussi important de noter que des établissements font de plus en plus efforts en matière d’inclusivité en permettent à leurs étudiants de choisir librement l’uniforme qu’ils peuvent porter. Ainsi, les garçons peuvent porter des jupes (tel un kilt) et les filles porter des pantalons, c’est par exemple le cas des uniformes du Lycée de la ville de Toda Higashi (Préfecture de Saitama).
En dépit des agressions sexuelles et de sa fétichisation, l’uniforme des japonaises a de beaux jours devant lui. D’ailleurs, est-ce l’uniforme le problème, où la société qui sexualise les enfants sans offrir un cadre protecteur fort ? Le monde politique japonais – vieux et déconnecté des réalités – semble vraiment peu se soucier de ces problématiques.
Claire-Marie Grasteau