Les réseaux sociaux font partie de nos quotidiens. C’est un fait indéniable. Mais jusqu’à quel point ceux-ci peuvent-ils être le terrain de chasse de prédateurs particulièrement vils ?

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Une banale page Twitter d’un mystérieux individu faisant la promotion du suicide. Des jeunes gens perdus, contemplant l’abîme de la mort à travers leurs désirs d’autolyse. C’est le cocktail parfait qui poussa un individu particulièrement malfaisant à provoquer la mort de 9 personnes en seulement 3 mois de l’année 2017. Retour sur une affaire criminelle qui vient brouiller les frontières entre réalité et réseaux sociaux.

La genèse du tueur de Twitter

Takahiro Shiraishi est né en 1990 dans la ville de ZAMA, préfecture de Kanagawa. Bien qu’une enfance chaotique soit un dénominateur commun à un grand nombre de tueurs en série, ce ne fut pas le cas de Takahiro. En effet, son enfance est décrite comme normale.

Son père, ouvrier d’usine, représentait une figure d’autorité stricte et autoritaire, mais présente. Sa mère, quant à elle, était une femme considérée comme discrète et saine d’esprit. Quant à la fille cadette du couple, il semblerait qu’elle soit elle aussi une personne équilibrée, bien que Takahiro n’entretînt que très peu de relations avec elle à l’âge adulte.

Un événement bouleversa l’apparente normalité de la famille durant l’adolescence du tueur de Twitter : le divorce de ses parents. Une situation banale en soi, mais qui aurait pu contribuer à perturber l’esprit de celui qui deviendra l’un des tueurs les plus cyniques de l’histoire moderne. Takahiro est dès lors resté vivre avec son père.

À l’école, Shiraishi était un garçon silencieux et réservé, un élève moyen en termes scolaires. Il ne se faisait pas remarquer et n’avait pas non plus de problèmes disciplinaires. Ses anciens camarades de classe le décrivent comme un individu « fade », « sans personnalité ». Un être quasi invisible, ne semblant animé d’aucune véritable passion.

Relativement maladroit sur le plan social, il préférait rester en retrait et n’avait que peu d’amis. Il en ressort qu’il ne semblait pas particulièrement victime de harcèlement scolaire. Il n’aurait aussi jamais été connu comme problématique, violent, et ne semblait avoir aucun trouble du comportement notable.

Cependant, certains camarades se souviennent qu’il avait déjà simulé des étranglements sur eux, sous forme de jeux. Certaines de ses futures victimes étant mortes par strangulation, la question d’une obsession de longue date peut légitimement se poser.

Après le lycée, Takahiro Shiraishi décida de ne pas poursuivre ses études. Afin d’acquérir son indépendance, il commença une série de petits boulots, sans jamais réellement en trouver un qui lui plaise. Le jeune adulte semblait n’avoir aucune ambition, avançant dans la vie tel un spectre : anodin, transparent, lisse. Une âme vide sans but, une coquille sans âme dans la fourmilière nippone qui ne s’arrête jamais. C’est dans cette période qu’il commença à se renfermer de plus en plus sur lui-même, mais aussi à prendre ses distances avec sa famille.

Cependant, un petit boulot en particulier viendra poser les fondations de la psyché du futur tueur en série. Il travailla temporairement comme recruteur entre 2016 et 2017 dans un club d’hôtesses de Kabukicho, à Tokyo. Il profita de cette proximité avec des jeunes femmes afin d’étudier leurs comportements, dans le but de pouvoir les manipuler et exploiter leurs vulnérabilités.

En février 2017, il fut condamné à une peine de prison avec sursis pour avoir recruté une jeune femme, sachant qu’elle allait plus tard être contrainte à la prostitution. Il avait déjà été exposé sur Twitter par une ancienne collègue de travail, qui exhortait les jeunes femmes à « se méfier de ce recruteur ».

Le point de bascule arriva en 2017, année où Takahiro Shiraishi coupa les ponts avec sa famille. Il aménagea dans un appartement de sa ville natale de Zama, appartement qui deviendra le théâtre de l’assassinat de 8 femmes et 1 homme à peine quelques mois plus tard.

 

Le basculement dans la série d’homicides

Seul dans un petit appartement, isolé, sans famille, ni amis. Tel fut le point de rupture de l’esprit déjà fragile de Takahiro Shiraishi, qui nourrissait depuis quelque temps des pensées suicidaires. L’individu aurait dit à son père au cours de l’année 2017 qu’il se demandait « pourquoi il était vivant ».

Au mois d’août 2017, l’individu ouvrit un compte Twitter, se présentant comme bourreau professionnel. C’est par ce biais qu’il entra en contact avec des jeunes femmes ayant exprimé des pensées suicidaires sur le réseau social. Il leur proposa de se rencontrer afin de se suicider ensemble, avec comme préalable une rencontre pour parler et planifier le projet commun.

Sa toute première victime fut une femme de 23 ans, en août 2017. Le premier contact avait eu lieu sur Twitter, celle-ci lui ayant parlé de son projet de suicide. La victime se rendit à l’appartement de l’homme, qui au début se montrait attentionné et à l’écoute. C’est dans ce contexte que Shiraishi commit son premier meurtre.

Organisé et méthodique, il suivra le même modus operandi pour les crimes suivants. Une fois la victime en confiance, il les attaquait généralement de dos. La mise à mort se faisait par strangulation, soit avec les mains, soit avec une corde. Après avoir tué ses victimes, Shiraishi les démembrait avec un couteau dans son propre appartement. Il les découpait en morceaux (généralement en parties plus petites, comme les bras, les jambes et les têtes), qu’il conservait dans des glacières ou des boîtes à outils dans son appartement.

Il avouera après son arrestation que le fait de garder les têtes de ses victimes lui procurait un sentiment de toute-puissance et de domination. Cependant, il n’est pas à exclure que l’individu avait tout simplement peur de sortir pour se débarrasser des cadavres.

C’est par cette méthode que l’impitoyable messager de la mort assassina 9 personnes : 8 femmes et 1 homme.

Attardons-nous un instant sur sa victime masculine, qui détonne dans la victimologie du tueur. Celui-ci était le petit ami d’une des victimes féminines, parti à la recherche de celle-ci après qu’il n’ait plus reçu de nouvelles de sa part. Il retraça les conversations de la disparue et entra en contact avec Shiraishi, qui l’invita chez lui afin d’en parler. C’est alors qu’il assassina l’homme et qu’il le démembrera à son tour.

Mais heureusement, comme cela est bien souvent le cas, l’assassin finit par commettre une erreur.

L’arrestation du tueur de Twitter

Bien évidemment, les proches des victimes finirent par se rendre compte de la disparition de leurs êtres chers. C’est ainsi que le frère de l’une des victimes décida de mener l’enquête. Après avoir fait une recherche sur les interlocuteurs de sa sœur sur les réseaux sociaux, il s’aperçut que celle-ci avait été en contact avec un certain Takahiro Shiraishi.

Il inspecta les échanges minutieusement et, devant le contenu alarmant des conversations mentionnant explicitement un projet suicidaire commun, l’homme contacta les autorités.

Les enquêteurs prirent l’affaire très au sérieux. En effet, plusieurs personnes avaient déjà mystérieusement disparu dans le secteur sans laisser de trace. C’est ainsi que les enquêteurs ont rapidement perquisitionné le domicile de Takahiro Shiraishi. Mais ils n’étaient certainement pas prêts aux horreurs que renfermait ce minuscule appartement de la paisible ville de Zama.

Généralement, les forces de l’ordre savent reconnaître l’odeur de décomposition d’un cadavre. Surtout dans un pays comme le Japon, où de nombreuses personnes décèdent à domicile sans que personne ne s’en aperçoive pendant parfois plusieurs semaines, voire mois.

Effectivement, l’odeur nauséabonde annonçait une découverte particulièrement macabre : des têtes et des parties de corps étaient cachées dans des glacières et des boîtes à outils. Les membres étaient particulièrement bien rangés. La police arrêta alors Shiraishi, qui avoua immédiatement les meurtres : 9 personnes, dans une période de seulement 3 mois, entre août et octobre 2017.

Lors de l’interrogatoire, Shiraishi ne tenta pas de jouer la carte de l’affliction psychiatrique. Il avoua directement le caractère prémédité de sa série d’homicides. Pire encore, il la justifia par sa soif de pouvoir et un désir de dominer ses victimes. Il affirma qu’il tuait pour assouvir ses pulsions et qu’il ne ressentait aucun remords. Il ajouta même qu’il choisissait ses victimes en fonction de leur détresse psychologique.

Bien que les sources discordent, il n’est pas sûr que les victimes aient subi des violences sexuelles ante ou post-mortem. Le motif n’était donc pas d’ordre sexuel non plus. Les analyses psychiatriques conduites sur le sujet durant le procès ne parvinrent pas à déterminer la présence d’un trouble ou d’une maladie mentale ayant pu altérer le discernement du tueur.

C’est ainsi que Takahiro fut condamné à mort en 2020. A la question du juge si il avait bien compris sa sentence, sa réponse fut des plus simples et glaciales : « Oui, j’ai compris. » Il décida de ne pas faire appel de sa condamnation. Il fût exécuté le 25 juin 2025 à Tokyo.

Dans quel contexte ce tueur a-t-il pu parvenir à ses fins ?

Contrairement à beaucoup d’affaires criminelles japonaises, il est évident que les motivations ainsi que le modus operandi de l’individu détonnent. En effet, dans d’autres affaires dont nous avons déjà parlé ici, il y avait souvent un motif. Qu’il soit sexuel, comme dans l’affaire du tueur Otaku, ou financier, dans l’affaire d’Akira Nishigushi. Mais dans l’affaire du tueur de Twitter, il n’en est rien. Les motifs sont flous. La série homicidaire ne semble être motivée que par un désir malade de domination, de plaisir sadique à voir la vie quitter le corps d’individus en souffrance psychologique.

L’affaire a soulevé de nombreuses questions, notamment sur le consentement des victimes. De nombreux commentateurs ont souligné le fait que les victimes se présentaient de leur plein gré. Toutefois, il serait bien réducteur de donner un rôle presque « empathique » à celui qui se qualifiait lui-même de « bourreau professionnel » sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, cette hypothèse a été écartée par les enquêteurs. Sinon, pourquoi Shiraishi n’aurait-il pas attaqué ses victimes de face ?

Malheureusement, force est de constater que les pays développés peuvent être un terreau fertile à l’apparition de ce genre d’individu, prompt à profiter de la souffrance d’autrui pour satisfaire ses plus bas instincts.

D’après les données officielles, en 2024, près de 20 268 suicides ont été recensés au Japon. Le taux de suicide s’élève à 16,3 pour 100 000 habitants. Ce chiffre élevé place le Japon à la neuvième position à l’échelle mondiale.

Bien qu’en baisse comparativement aux années précédentes, et malgré les efforts du gouvernement pour enrayer le phénomène, le taux reste alarmant pour un pays développé. Toutefois, à titre comparatif, la même année, la France atteignait un taux de 13,9 pour 100 000 habitants.

Chez les jeunes, le suicide est la première cause de mortalité au pays du Soleil Levant. Il apparaît alors évident que Takahiro Shiraishi ait pu trouver des victimes enclines au suicide sans trop de difficultés. Les causes principales recensées de mal-être chez les jeunes Japonais sont clairement identifiées : la pression sociale et les injonctions de réussite scolaire et professionnelle, mais aussi le tatemae, ou l’art de paraître en société.

Une forme de masking social pour correspondre à ce que la société attend d’un individu, à un moment donné de sa vie, dans un contexte donné. La personnalité, la spontanéité, tout ce qui fait qu’un individu « EST » et « EXISTE », se voit noyé dans une norme sociale que nul ne doit troubler. Tout clou qui dépasse se verra tordu, deviendra inutile.

Nous avons plusieurs fois évoqué le sujet dans nos articles, mais la santé mentale est un tabou au Japon. Premièrement, car accepter ses faiblesses est vu comme une tare. Il faut continuer à paraître fort. Deuxièmement, car l’image de la souffrance mentale est stigmatisée. L’individu est soit un être trop fragile, soit un inutile, soit un fou. Le phénomène des hikikomori est le témoin silencieux du repli sur soi de personnes qui auraient besoin d’aide au niveau psychologique.

Nous ne le répéterons jamais assez, mais la santé mentale est un sujet à ne pas prendre à la légère. Si vous-même ou un proche fait état de pensées suicidaires, agissez. Consultez un spécialiste de la santé mentale. Mais jamais, ô grand jamais, n’étalez vos états d’âme sur les réseaux sociaux : n’oublions pas que les prédateurs sont parmi nous, mais surtout… qu’ils nous ressemblent.

-Gilles CHEMIN-

Sources

Les suicides au Japon en 2024 : baisse du nombre total mais hausse record chez les jeunes – Nippon.com

Japon : le serial-killer recrutait des hôtesses de charme à Tokyo – Paris Match

Takahiro Shiraishi, le tueur en série qui fait frémir le Japon – Europe 1

No Japão, sanguinário ‘Assassino do Twitter’ é condenado à morte – Aventuras na Historia

https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/japon-le-tueur-de-twitter-condamne-pour-neuf-meurtres-a-ete-execute-20250627_PB2Z7VRYTZDSDO2FUPUWTWRRNM/