Au cœur du très touristique parc de Nara, de nombreuses jeunes femmes sont filmées à leur insu. Les vidéos voyeuristes, diffusées sur YouTube et TikTok, cumulent des centaines de millions de vues. Une affaire symptomatique d’un Japon toujours confronté à une culture du harcèlement insidieuse — et d’une modération algorithmique largement défaillante.
Les violences sexistes et sexuelles demeurent une préoccupation majeure au Japon, et un vrai problème de société. Selon un sondage réalisé en 2022 par le ministère de la Santé, du Travail et de la Protection sociale, 47,3 % des Japonaises ont déclaré avoir subi du harcèlement sexuel au cours de leur vie. Parmi les formes les plus répandues : le chikan, ces attouchements dans les transports publics ou les lieux bondés, encore courants malgré les campagnes officielles. Aujourd’hui, une déclinaison numérique s’impose sur les réseaux sociaux.

Des touristes exposées en ligne
Un phénomène inquiétant trouble en effet la quiétude du célèbre parc de Nara. Dans cette ville située à une quarantaine de kilomètres de Kyoto, ce lieu bien connu des touristes abrite de nombreux cerfs sika, particulièrement dociles avec les visiteurs. Depuis quelques mois, de nombreuses vidéos circulent en ligne montrant des jeunes femmes, le plus souvent des touristes japonaises ou étrangères, filmées à leur insu alors qu’elles interagissent avec les cervidés du parc.
Derrière ces scènes en apparence anodines, se cache une pratique de voyeurisme organisé et un mode opératoire bien rôdé, ciblant principalement des touristes en jupe. Les séquences captent des moments où les femmes, parfois très jeunes, se baissent pour nourrir les animaux. Le but : obtenir des images suggestives, notamment de leurs sous-vêtements. Dans un parc très fréquenté où les smartphones sont légion, les voyeurs passent inaperçus et filment leurs contenus illégaux en toute impunité.
Une production industrielle de vidéos voyeuristes
Ces vidéos, prises sans consentement, cumulent des centaines de millions de vues sur des plateformes comme YouTube ou TikTok. Discret sur le terrain, le phénomène est massif en ligne. De nombreuses chaînes différentes abritent le même type de contenu, attirant des milliers d’abonnés. La particularité de cette affaire réside dans son ampleur et son organisation, comme l’explique le youtubeur Paathis dans une vidéo qui a contribué à mettre en lumière le phénomène.
Face à cette prolifération, les autorités locales ont commencé à réagir, reconnaissant auprès du Japan Today que « les actes de nuisance tels que le voyeurisme ciblant les touristes en provenance du Japon et de l’étranger sont devenus de graves problèmes. » Depuis plusieurs semaines, la police de Nara a lancé des campagnes de sensibilisation, distribuant des tracts pour alerter les visiteurs sur la présence de ces vidéastes clandestins.
Un suspect arrêté
La police de Moriguchi City, de la préfecture d’Osaka, a fini par procéder à l’arrestation d’un homme de cinquante-neuf ans. Morio Okamoto, actuellement sans emploi, a été surpris en train de filmer à l’aide de son smartphone les sous-vêtements d’une touriste étrangère alors qu’elle nourrissait un cerf du parc de Nara. Un témoin, jugeant ce comportement suspect, a alerté les autorités.
L’homme n’en est pas à son coup d’essai. Devant l’insistance de la police le soupçonnant d’être l’un des auteurs des nombreuses vidéos circulant sur Internet, Okamoto a reconnu les faits, comme le relate le média nippon. Selon les policiers, il aurait déclaré que « les vidéos d’images suggestives de femmes augmentent le nombre de vues sur YouTube, ce qui booste mes revenus ».
Des responsabilités difficiles à établir
Malgré l’arrestation, la police estime que d’autres touristes pourraient être la cible d’incidents similaires. En effet, vu le nombre de chaînes en question, il semble évident que d’autres voyeurs sont toujours à l’œuvre. L’analyse des contenus aux formats souvent identiques laissent penser à l’existence de groupes organisés ou de “fermes à contenu” destinée à contourner les systèmes de modération et à maximiser la rentabilité. L’origine géographique des vidéos reste floue, même si plusieurs comptes indiquent être d’origine indienne.

Dans ce brouillard numérique, une certitude : la structure répétitive des contenus, leur viralité, et la difficulté à identifier les responsables rendent toute réponse judiciaire extrêmement complexe. La question de la responsabilité des plateformes comme YouTube ou TikTok reste entière. Au Japon, la jurisprudence commence à reconnaître la responsabilité des hébergeurs en cas de diffusion d’images pédopornographiques ou obscènes. Mais dans le cas de Nara, la situation se complique : les victimes sont anonymes, les contenus suggestifs sans être techniquement pornographiques, et les vidéos souvent publiées depuis l’étranger.
L’arrestation d’un suspect ne signe donc pas la fin du phénomène, et l’affaire du parc de Nara n’est pas qu’un fait divers isolé. Elle révèle un écosystème numérique où les images voyeuristes sont produites en série, massivement diffusées, et monétisées. Tant que les plateformes resteront aveugles à ce que leur algorithme promeut, et tant que les gouvernements ne leur imposeront pas de cadre véritablement contraignant, ces pratiques continueront de prospérer.
– Aure Gemiot
Image de couverture : capture d’écran d’une vidéo en ligne (floutée)



















































