Sorti en 2016, l’anime Yuri on Ice (ユーリ!!! on ICE), création des studios MAPPA, a connu un succès surprise autant que retentissant. Retour sur cette série ambitieuse (attention spoiler).
Se déroulant dans l’univers jusque-là inexploré du patinage artistique, l’anime en 12 épisodes raconte l’histoire de Yuri, patineur mal dans sa peau, qui va être entraîné par son idole après un échec cuisant.
A la fois drame et romance, Yuri on Ice pioche dans les codes du shôjo (少女漫画?, « bande dessinée pour fille ») et du shônen (少年, destiné au « garçon et adolescent ») en saupoudrant le tout d’une touche d’humour pour aborder le thème de l’amour sur fond de compétition sportive.
Le patinage artistique, un sport de passion
Yuri Katsuki est un jeune patineur japonais de 23 ans, révélé sur le tard. Dans ce sport exigeant, la moindre erreur peut vous faire immédiatement chuter au plus bas d’un classement, et c’est précisément ce qui lui arrive au moment où la série démarre : finaliste pour la première fois du Grand Prix, l’une des plus importantes compétitions de patinage, il cède finalement au stress et au manque de confiance… et termine dernier.
C’est son idole depuis l’enfance, le russe Victor Nikiforov qui emporte la médaille d’or. A 27 ans, Victor est un athlète au palmarès bien rempli avec cinq finales du Grand Prix remportées et autant de titres de champion du monde consécutifs. La rumeur veut qu’il prenne sa retraite à l’issue de la saison.
Après la compétition, Yuri part cacher son désespoir aux toilettes où il se fait rudement interpeller par un jeune Russe au caractère bien trempé, Yuri Plisetsky. A 15 ans seulement, ce dernier est déjà champion du monde Junior et il vient de gagner le Grand Prix Junior. Ambitionnant de passer dans la catégorie Senior la saison suivante, il fait comprendre sans ménagement au patineur japonais qu’il y aura « un Yuri de trop ! ». De quoi miner un peu plus le moral du Japonais déjà mal dans ses patins…
Et la descente aux enfers ne s’arrête pas là pour Yuri Katsuki : il a non seulement échoué à la finale du Grand Prix, mais aussi au Championnat national, ce qui le prive de participation pour les deux derniers grands rendez-vous internationaux de la saison, le Championnat des quatre continents et le Championnat du monde. C’est donc abattu et songeant même à arrêter sa carrière de patineur que Yuri rentre dans sa famille à Hasetsu alors qu’il avait quitté le Japon pour s’entraîner depuis 5 ans.
Là, il retrouve ses proches et une motivation nouvelle. Devant son amie d’enfance avec qui il avait commencé le patinage, il exécute à la perfection un programme de Victor. Sa performance se retrouve malencontreusement sur le net où elle fait le buzz chez les fans de patinage et attire l’attention de Victor Nikiforov en personne.
Aimant surprendre son public avec ses programmes, Victor se trouve justement en panne d’inspiration pour se renouveler et la prestation de Yuri va lui donner envie de devenir son entraîneur. Sans prévenir le principal concerné, Victor décolle pour le Japon et débarque chez un Yuri, tétanisé de se retrouver en contact rapproché avec son idole.
Victor propose alors à Yuri de l’entraîner avec l’objectif de remporter la finale du Grand Prix la saison prochaine. Mais le jeune espoir du patinage russe, Yuri Plisetski, ne l’entend pas de cette oreille : c’est lui qui s’entraînait jusqu’alors avec Victor et ce dernier avait d’ailleurs promis de lui monter une chorégraphie spéciale.
Ce dernier rejoint alors également le Japon pour rappeler à son compatriote sa promesse. Dans un avant-goût des compétitions à venir, les deux Yuri vont s’affronter dans un premier duel sous l’œil de Victor qui impose la musique et le thème de leur programme. L’enjeu est simple : devenir l’élève de Victor.
Vaincu, « Yurio » Plisetski retournera en Russie tandis que Victor Nikiforov restera au Japon pour coacher Yuri Katsuki. Pendant huit mois, les deux Yuri vont s’entrainer avec détermination chacun de leur côté pour décrocher l’or au prochain Grand Prix, progressant sur les plans humain et sportif. Mais ils ne seront pas les seuls à prétendre au titre, d’autres patineurs du monde entier sont bien décidés à leur disputer la première place.
Amour, sport et humour
Yuri on Ice est avant tout un shônen de sport dont il en reprend les codes les plus caractéristiques : les personnages qui repoussent leur limites pour livrer une performance époustouflante sur la glace, la rivalité entre les deux héros, les supporters beaucoup trop impliqués, le suspens de plus en plus exacerbé au long de la compétition…
L’ampleur médiatique du premier affrontement des deux Yuri lors de l’Onsen on Ice dans une petite ville japonaise est d’ailleurs digne d’une grande compétition. On ne peut s’empêcher de penser aux stades pleins à craquer dans « Olive et Tom » pour des matchs de football entre écoliers !
Mais dès le premier épisode, la série va aussi explorer en sous-texte le domaine de la romance et plus particulièrement de l’amour entre hommes. Si Yuri on Ice n’est pas pour autant un « Boy’s Love », la réalisation laisse clairement suggérer qu’une relation romantique entre Yuri et Victor est envisageable, à coups de situations équivoques et de double-sens plus ou moins subtils arrosés d’une bonne dose d’humour et d’auto-dérision assumée.
On repense forcément à la première rencontre entre Yuri et Victor, ce dernier ayant plus que pris ses aises à l’onsen familial. Les scènes de bain reviennent régulièrement tout au long de la série, l’occasion de dénuder les personnages en mode « fan-service » sans tomber toutefois dans le voyeurisme graveleux. Nombre de scènes et dialogues possèdent d’ailleurs deux niveaux de lecture. Enfin, la connotation amoureuse du « porte-bonheur » que Yuri offrira à Victor pour le remercier de l’avoir entraîné n’échappera à personne.
Néanmoins, malgré ces clins d’œil parfois très appuyés, chacun demeure libre de voir la relation entre Yuri et Victor à sa manière, comme un couple ou des amis fusionnels. A noter que quelle que soit cette dernière aux yeux des autres personnages, ceux-ci ne manifestent aucune surprise ou désapprobation, ainsi que cela devrait être dans un monde réellement égalitaire et tolérant.
En traitant cette dimension avec légèreté et subtilité, Yuri on Ice parvient à faire passer plus facilement un message d’acceptation que si la relation entre les deux personnages avait été « officialisée ». Le studio ne pouvait ignorer que les fans du « pairing » s’en chargeraient et la communauté s’en donnera effectivement à cœur joie, inondant le net de fanarts, de fanfictions et de dôjinshi (同人誌?) !
Au-delà de la relation entre Yuri et Victor, la série filera la métaphore de l’amour avec humour tout le long des épisodes. De nature timide et sans expérience amoureuse, Yuri n’arrive pas exprimer l’amour érotique qui caractérise le programme « Eros » que Victor a conçu. Pour y parvenir, Yuri va s’identifier à son plat préféré : le porc pané « Katsudon », qui comme l’amour, « empêche de penser rationnellement » ! Ce qui donnera lieu à des séquences loufoques comme Victor criant à Yuri en pleine répétition de se « rouler dans l’omelette » ou d’imaginer « le porc pané » pour améliorer son interprétation.
Dans le même temps, le Yuri russe doit, lui, patiner sur un arrangement différent du même morceau qui met en avant « l’Agapé », soit l’amour pur et innocent. Le jeune patineur au caractère bouillonnant puisera dans ses souvenirs pour nourrir son interprétation par l’affection qu’il porte à son grand-père. En leur imposant délibérément ces thèmes opposés à leur tempérament, Victor les pousse à s’affirmer différemment sur la glace, mais aussi en dehors.
Les rivaux des deux Yuri ne sont pas en reste sur le sujet. L’un déborde d’un amour fraternel pour le moins immodéré envers sa sœur, un autre tente de se remettre d’une rupture douloureuse… Autant de situations auxquelles tout le monde pourra s’identifier. Chacun des patineurs en compétition a une personnalité marquée et ses propres motivations, rendant leur parcours tout autant intéressant à suivre. On se prend à souhaiter un bon classement pour celui qui a su gagner notre préférence tout en souhaitant la victoire finale de Yuri bien sûr.
Un anime de belle facture
Il saute immédiatement aux yeux qu’un grand soin a été apporté à la réalisation des 12 épisodes de Yuri on Ice. Les principales responsables de la série, Sayo Yamamoto et Mitsurô Kubo, sont des fans de patinage artistique et cela se ressent fortement.
Sur la forme, l’anime est très réussi, avec une belle image et des décors d’une absolue beauté comme la Sagrada Familia ou les plans de la ville natale de Yuri inspirée de celle bien réelle de Karatsu.
Les moments de compétitions retranscrivent scrupuleusement l’atmosphère des compétitions bien réelles retransmises à la télévision. On s’attendrait presque à entendre la voix de Nelson Montfort commenter les prestations des patineurs !
Que ce soit l’extérieur des bâtiments, les hôtels, les patinoires, la zone du « Kiss and Cry » où les patineurs découvrent leurs notes, la notation elle-même, le réalisme du milieu impressionne !
On perçoit la tension et le stress qui traversent les patineurs confrontés à un enjeu de taille. Les émotions lisibles sur leurs visages jusqu’à leur attitude physique sont saisissantes de réalisme.
L’animation a été travaillée pour transposer avec le plus de fidélité possible la vitesse et les mouvements des patineurs en fonction de caractéristiques physiques comme la force centrifuge, leur masse ou leur inertie. Une recherche d’exactitude présente dès l’envoûtante ouverture : « History Maker ».
Pour atteindre ce niveau de rigueur, la production s’est adjoint les services de l’ancien patineur japonais Kenji Miyamoto. Après l’arrêt de sa carrière en 2006, le double champion national a crée des chorégraphies pour plusieurs grands noms du patinage japonais : Daisuke Takahashi, Yuzuru Hanyû, Mao Asada, Shizuka Arakawa, ou encore l’actuel champion du monde Shôma Uno.
Dans Yuri on Ice, il signe celles que les personnages exécutent, adaptant chacune à la musique et à la personnalité du patineur, ainsi que cela se fait vraiment. Non seulement il a inventé ces programmes fictifs, mais il les a aussi patinés pour permettre des prises de vue en temps réel, animées par la suite dans la série.
Kenji Miyamoto a aussi enregistré tous les bruitages des patins en tenant compte de la résonance des lieux concernés. Le résultat est bluffant tant on a vraiment l’impression d’être transporté dans une patinoire, en pleine compétition. Une telle minutie n’échappera pas aux passionnés de patinage et donne du cachet à la série.
Une autre difficulté consistait à rendre la série accessible à un public non familier des multiples aspects du patinage artistique : déroulement d’une compétition, composition d’un programme, vocabulaire spécifique… Car si les grandes compétitions sont retransmises à la télévision, peu de personnes en connaissent toutes les règles.
Toutefois, le studio MAPPA a su habilement se tirer de cet écueil en glissant ponctuellement de courtes pastilles explicatives à l’attention du public réalisées en animation « chibi ». Yuri aura donc l’occasion de nous détailler le système de notation ou le calendrier des grandes compétitions de patinage.
Le Grand Prix que les deux Yuri espèrent remporter se déroule ainsi fidèlement à la réalité : il s’agit d‘une Coupe du Monde comportant six compétitions, les patineurs tête de série la saison précédente ayant le droit de participer à deux d’entre elles, et les six meilleurs se retrouvent pour disputer la finale.
Rassurez-vous, il n’est pas besoin de connaître toutes les subtilités du patinage artistique pour regarder Yuri on Ice tout comme cela est inutile pour apprécier une compétition bien réelle. Mais les plus connaisseurs seront ravis d’entendre les personnages s’interroger sur la stratégie à adopter, quel saut il convient de tenter, combien de « quadruples » il est raisonnable d’inclure dans ses programmes, comment maximiser son nombre de points pour devancer ses concurrents… Là aussi, le détail a été poussé jusqu’à ce que le type de saut exécuté soit identifiable, et qu’importe si peu de personnes savent différencier un boucle piqué d’un lutz.
Qui dit patinage artistique, dit forcément tuniques chatoyantes. Tout comme les programmes, une attention particulière a été apportée à leur réalisation très détaillée. Lors d’une compétition, chaque patineur exécute deux programmes, chacun avec sa musique, sa chorégraphie et sa tenue spécifique. Yuri on Ice mettant en scène plusieurs patineurs sur plusieurs compétitions (sans compter des flash-back), ce sont autant de tenues que les équipes ont dû créer en accord avec les caractères des personnages et leur musique.
Certaines font même directement références à d’authentiques tenues arborées par des patineurs connus. Là encore, les fans sauront relever et apprécier ces similarités telle cette tunique de Yuri clairement inspirée de celle du triple champion américain Johnny Weir en gala. Ou encore la tunique de Victor reprenant celle du programme court que ce dernier a patiné aux Jeux Olympiques de 2006.
Le studio MAPPA ne s’est évidemment pas contenté de puiser son inspiration auprès d’authentiques patineurs pour inventer les costumes. Plusieurs ont également servi de modèles à Mitsurô Kubo, co-scénariste et conceptrice des personnages de Yuri on Ice.
La principale inspiration pour le physique du héros Yuri Katsuki n’est autre que l’un des plus grands patineurs de tous les temps, qui se trouve être Japonais : Yuzuru Hanyû, retraité de la compétition en 2022 après 12 ans au plus haut niveau. Six fois champion national, deux fois champion du monde, le Japonais a accumulé les performances durant sa carrière internationale en étant double champion olympique d’affilé (2014 et 2018), pulvérisant les records les uns à la suite des autres, premier patineur à réussir certains sauts… la liste complète serait trop longue à citer !
Si Yuri n’a pas le palmarès de son modèle, il reproduit dans son programme court les mêmes sauts que le champion avait inclus dans le sien en 2015. Le parcours du patineur japonais Tatsuki Machida fut aussi un modèle pour celui de Yuri.
Le charismatique Victor Nikiforov emprunte des traits de personnalité et de son passé à Johnny Weir cité précédemment ainsi qu’au patineur russe Evgeni Plushenko, triple champion du monde et champion olympique de 2006. Les quatre victoires en finale du Grand Prix de ce dernier ont inspiré le palmarès de Victor qui en compte cinq dans la série.
Pour son physique, Mitsurô Kubo dit s’être inspirée de John Cameron Mitchell, acteur et metteur en scène américain. Yuri Plisetsky tire son apparence, sa souplesse (et même son chat siamois) de la Russe Yulia Lipnitskaya, plus jeune patineuse à remporter l’or (par équipe) aux Jeux Olympiques.
Concurrent des deux Yuri, le Kazakh Otabek Altin est inspiré du regretté Denis Ten, premier patineur à avoir obtenu des médailles mondiales dans ce sport pour le Kazakhstan : l’or aux Championnats des quatre continents en 2015, l’argent et le bronze aux Mondiaux de 2013 et 2015 et le bronze olympique en 2014.
Une des tenues de compétition du personnage est clairement une référence à une tenue de Denis Ten. Bien d’autres patineurs ont servi de références pour les personnages secondaires ainsi que le déroulement de leur performance comme des fans avisés ont pu le relever en comparant fiction et réalité.
Plus qu’une inspiration, le patineur japonais Nobunari Oda (champion du Japon 2009 et vainqueur du Championnat des quatre continents en 2006) fait carrément une petite apparition comme commentateur de la finale du Grand Prix. Un rôle approprié puisqu’après sa retraite sportive, il est devenu une personnalité de la télévision japonaise.
De même pour Stéphane Lambiel, vice-champion olympique 2006 et champion du monde en 2005 et 2006. Le patineur suisse devenu entraîneur et chorégraphe, par ailleurs très apprécié au Japon, joue son propre rôle comme correspondant télé le temps de quelques phrases en français dans le dernier épisode.
Dans ce même épisode, l’ultime pose de Yuri à l’issue de son programme libre reprend celle du Suisse dans son programme ‘Guillaume Tell’, tout comme ses pirouettes finales, calquées sur celles qui ont fait la renommée de ce patineur.
Et en retour, des patineurs et patineuses ont rendu hommage à Yuri on Ice en patinant sur la musique de l’anime, comme le couple japonais
Le patineur Yuzuru Hanyû, qui a inspiré le héros de la série, patinera aussi sur l’opening « History Maker » chanté par Dean Fujioka lors du spectacle Fantasy on Ice 2023, allant jusqu’à reproduire les pas exécutés par les personnages, en compagnie notamment de… Johnny Weir, Nobunari Oda et Stéphane Lambiel.
La boucle est bouclée, et on peut alors affirmer que Yuri on Ice n’a pas été pour déplaire aux vrai(es) professionnel(les) du patin ! Plusieurs patineurs et patineuses comme Johnny Weir et Evgenia Medvedeva ont d’ailleurs publiquement vanté les qualités de la série.
Après un si long exposé, est-il besoin de vous conseiller de regarder Yuri on Ice ? Certes, l’anime n’est pas sans quelques défauts. Bien que soignée, l’animation du patinage pêche parfois selon les épisodes. On aurait aussi aimé voir plus de développement dans les relations entre les personnages et leur entrainement, ce que ne permettent pas les 12 épisodes d’une vingtaine de minutes qui composent cette courte série.
Mais ce format réduit fait que Yuri on Ice (disponible sur Crunchyroll) se regarde facilement et rapidement, il serait alors dommage de s’en priver !
Succès surprise à sa sortie, Yuri on Ice a été apprécié tant par le public que la critique pour son histoire et sa réalisation. Il a trusté le haut des classements de popularité et reçut plusieurs récompenses dont les prix du meilleur anime 2016 et du meilleur générique par le magazine AnimeLand, le prix de la Nouveauté de l’année lors du Japan Character Awards 2017, et sept récompenses aux Cruchyroll Anime Awards 2017.
Dans la foulée de son immense popularité, un manga a été édité fin mai 2017. Yuri on Ice Side Story : Welcome to The Madness se concentre le Yuri russe et a été adapté en OAV comme bonus du coffret Bluray/DVD de la série. Yuri on Ice the Movie : Ice Adolescence , un film d’animation centré sur la jeunesse Victor était annoncé pour 2019 mais sa sortie n’a cessé d’être repoussée jusqu’à ce jour. Et les fans ne désespèrent pas de le voir enfin aboutir.
– S. Barret