Takeshi Kitano est aujourd’hui un des réalisateurs japonais les plus salués, lui qui a mis en scène des chefs-d’œuvre comme « L’été de Kikujiro », « Hana-bi » ou « Sonatine ». En occident, il est surtout connu pour avoir joué le professeur psychopathe du film Battle Royale ! Pourtant, avant de devenir cette star internationale vénérée aux quatre coins du monde, l’artiste a commencé sa carrière comme balayeur dans un cabaret… Ce sont ses débuts-là, mouvementés et plein de fougue, que nous narre « Asakusa Kid » à voir en ce moment sur Netflix.

Asakusa Kid est un film réalisé par Hitori Gekidan, dont c’est le deuxième long-métrage après A Bolt from the Blue (2014). Le film est une adaptation libre du livre du même nom publié par Takeshi Kitano lui-même ! On le retrouve jeune au début des années 70 alors qu’il rêve de devenir comique. Il arrive dans un mélange d’audace et de chance à se faire embaucher au Français, un cabaret/salle de striptease tenu par une de ces idoles : Fukami Senzaburo. Il va y faire ses armes, apprendre peu à peu le métier de fantaisiste, rongeant son frein tout en croyant dur comme fer qu’il a le talent pour réussir un jour. Il y fera de nombreuses rencontres qui se révéleront déterminantes dans son développement d’artiste mais aussi d’homme.

Lignes parallèles

Si Hitori Gekidan a voulu réaliser Asakusa Kid, ce n’est pas un hasard. Bien qu’inconnu sous nos latitudes, l’homme de 44 ans est une véritable star au Japon dans bien des domaines. Ce touche-à-tout a commencé sa carrière en tant que comique avant de devenir comédien pour le cinéma et la télé, doubleur pour des animés, réalisateur de publicité et romancier ! Le Japonais est bien évidemment un grand fan de Takeshi Kitano et il est facile de créer des parallèles entre le parcours des deux hommes, même si Gekidan s’est lui toujours focalisé, jusqu’à présent, sur sa fibre comique.

Il plonge ici avec force et détails dans les années 70 et son quartier d’Asakusa, lieu où se concentraient de nombreux théâtre et club de striptease. L’ambiance de l’époque est très bien retranscrite et on se sent bien l’âpreté du quartier où la mélancolie des lieux de débauche répond à celle de ceux qui l’animent et le font vivre. Asakusa Kid, bien qu’évidemment centré sur la vie de Takeshi Kitano, donne plus de place aux autres personnages que dans le livre. On rentre dans l’intimité du couple Fukami/Mari, mais aussi dans celle d’une danseuse, ce qui offre un peu d’espace à l’histoire principale et de corps à l’histoire.

S’il manquera forcément au film cette verve de la plume de Kitano qui fait le charme de son livre, le réalisateur fait néanmoins montre d’une belle fantaisie dans la captation des numéros artistiques. On se sent à chaque fois enchanté, comme si nous étions présents dans le public. La mise en scène redevient un peu plus classique dans la deuxième moitié du film avant de nous offrir un joli plan séquence dans ses dernières minutes.

Un Kitano plus vieux revient dans les travées du Français et y assiste, comme dans un voyage dans le temps, à plusieurs scènes des années 70 narrées avec détails dans le livre. Elles nous sont ici offertes comme des instantanés joyeux d’une époque finalement pleine de solidarité, d’amour et d’amitié, malgré la misère économique du cabaret.

Humour de nouvelle génération

L’action du film se passe presque uniquement dans l’enceinte du Français, tenu par Fukami, sommité de l’humour qui a pourtant du mal à se renouveler et garder son public. Il joue toujours les mêmes sketchs et refuse de passer à la télé dont il voit d’un mauvais œil l’ascension fulgurante et l’influence grandissante sur le paysage de l’art en général. Face à lui, Takeshi sent qu’il a quelque chose en lui qui pourrait lui permettre de faire son trou dans le monde de la comédie. Fukami le prend sous son aile en pensant secrètement qu’il pourra prendre sa suite à la tête du cabaret, mais son disciple ne veut pas de la même trajectoire que son maître et vise la gloire plus que l’oubli au nom de tradition.

Il se lance dans le manzaï, un nouveau genre qui repose sur des duos comiques. L’un joue le sérieux, l’autre l’effronté au débit de mitraillette qui dit n’importe quoi. Kitano, accompagné de son ami Nirō Kaneko avec qui il forme The Two Beats, va y trouver un terrain parfait pour accueillir ses envies de bousculer les lignes établies. Son audace va finir par payer et le rendre plus célèbre qu’il n’aurait osé le rêver…

Asakusa Kid raconte donc les trajectoires croisées d’un professeur et de son élève. Senzaburō Fukami prend la tête du Français en 1959  à l’âge de 36 ans et y restera jusqu’en 1981. C’est une star dans son quartier où tout le monde l’appelle « Maître » et qu’il ne veut pas quitter. Par frilosité ? Dignité ? Fidélité ? Manque de courage ? Probablement un mélange de tout ça et sûrement l’envie de finir là où tout a commencé pour lui. Ce qui arrivera fatalement et d’une manière aussi violente que tragique.

Kitano, de son côté, a vécu une enfance dans la misère auprès d’un père alcoolique et violent et d’une mère moins encline à lever le coude mais qui ne se gêne tout de même pas à sortir la boite à gifle sur lui et son frère. Il veut sortir de cette spirale de pauvreté et voit une porte d’espoir avec ce métier de comique, en marge de la « bonne société » japonaise et sa voie toute tracée de salaryman.

À son arrivée au cabaret, il est simple balayeur et garçon d’ascenseur. Dans la grande tradition japonaise, il devra apprendre du maître avant d’avoir droit de monter sur les planches. Le jeune homme veut marcher sur les pas de son modèle, ce qui se matérialise dans le film au sens propre quand Fukami lui prête ses chaussures dans lesquelles il apprendra à faire des claquettes. Sa passion surpassera toutes ses attentes et l’amènera au sommet de la popularité.

Dans Asakusa Kid, Kitano est incarné par Yūya Yagira qui avait fait parler de lui en 2004 en remportant à seulement quatorze ans le Prix d’interprétation du Festival de Cannes pour Nobody Knows de Hirokazu Kore-eda. Quant à Fukami, il est interprété par Yo Oizumi, un grand acteur de doublage (Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant, Souvenirs de Marnie…) apparu dernièrement également dans Full Metal Alchemist ou encore Tokyo Ghoul.

Si vous êtes curieux, sachez que le Français (Furansu-za) est toujours debout et ouvert en ce moment dans le quartier d’Asakusa. Les stripteases se sont arrêtés au début des années 2000, mais vous pourrez y assister à des spectacles de rakugo, de sketches comiques… et, forcément, de manzaï !

Asakusa Kid est disponible sur Netflix depuis le 9 décembre et est très vite devenu un succès national au Japon.

Stéphane Hubert

Bonus :

https://www.youtube.com/watch?v=E_9Hio2m-hk


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