On connaît tous les pirates des Caraïbes, mais ce que l’on sait moins, c’est que ceux de la Mer de Chine du Moyen Âge n’avait rien à leur envier ! Du XIVe au XVIe siècle, les mers d’Extrême-Orient étaient infestées de pirates d’origine japonaise : les Wakô. Ces redoutables marins-bandits, véritables Vikings d’Extrême-Orient faisaient régner la terreur non seulement sur les côtes japonaises, mais aussi coréennes et chinoises, causant des ravages jusque loin à l’intérieur des terres…

Tout comme la mer Méditerranée de l’époque romaine, les mers japonaises sont infestées de pirates depuis l’Antiquité. Au départ, ils sont de simples pêcheurs ou transporteurs maritimes qui se livrent également à des activités moins recommandables mais plus rentables pour arrondir leurs fins de mois. Ainsi, dans les lieux où ils sévissent (dans la mer Intérieure, le long des côtes de la baie d’Ise et le long du Tôkaidô, mais aussi vers la baie de Wakasa ou dans les mers qui bordent Kyûshû), des navires subissent un véritable racket, se voyant prélever des « taxes » et droits de passage sous peine d’être attaqués.

C’est cependant à partir du XIVe siècle que la piraterie prend véritablement son essor, à la faveur d’un contexte politique propice. Le Japon traverse en effet une grande période d’instabilité politique à partir de 1336, le pouvoir étant divisé entre la Cour du Sud de l’empereur Go Daigo, et la Cour du Nord sous la coupe du shogun Ashikaga. Les seigneurs locaux étaient loyaux à l’une ou l’autre sans logique géographique mais vassalique, et pouvaient facilement changer de camp. On compte durant cette période une alternance de paix et de guerre qui affaiblit le pouvoir central et laisse donc le champ libre aux pirates et autres brigands indépendants.

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La piraterie est de fait intrinsèquement liée au monde la mer, et est la norme à cette époque, rendant de fait impossible son interdiction par les autorités. Comme les crimes régulés par les clans de Yakuzas, la piraterie est même parfois bien organisée. Les pirates utilisent ainsi comme points d’appui des « châteaux de mer » un peu partout le long des côtes. À l’origine il s’agissait de postes de garde pour juguler la piraterie que des seigneurs locaux utilisèrent par la suite comme bases pour contrôler le trafic maritime avec leurs bandes de pirates. Comme dans la piraterie occidentale, les vaisseaux et mobiliers maritimes des autorités locales étaient accaparés par les pirates pour servir leurs intérêts.

Les sanctuaires eux-mêmes ne sont pas en reste : le sanctuaire de Kumano, au Sud du Kansai, disposait de ses propres bandes de pirates, dont l’aire d’activité s’étendait des côtes de Kyûshû aux mers qui baignent le Kantô, au grand dam des autorités. Cela peut surprendre : pourquoi une institution religieuse se lancerait-elle dans ce genre de méfaits ? En réalité, ces « taxes » étaient conçues à l’origine comme des offrandes faites aux divinités marines, dont les pirates du sanctuaire étaient également les serviteurs… Nécessairement, ils défendaient ainsi le territoire des kami marins des intrusions étrangères. Chacun y trouvait son compte.

Le sanctuaire de Kumano

Les pirates nippons ne se contentent pas de sévir sur les côtes japonaises, mais s’attaquent également à la Corée où ils mènent des raids incessants, petites expéditions isolées sur des villages côtiers ou avec des moyens parfois gigantesques : certaines expéditions ont rassemblé plusieurs centaines de navires pour un total de 2 000 à 5 000 hommes ! Leur but principal est en fait de se procurer des denrées alimentaires pour survivre, en pillant les greniers des récoltes des villages, laissant famines et désolation derrière eux.

Mais la grande criminalité existe aussi avec des braquages organisés de transporteurs de taxe coréens, des razzias d’esclaves et enlèvements avec demande de rançon. L’île de Tsushima, idéalement située à mi-chemin entre le Japon et la Corée, fut longtemps une base importante pour ces pirates. Ils font de tels ravages que les Coréens délaissent les côtes pour se replier à l’intérieur de leurs terres. Qu’à cela ne tienne : tels les Vikings en Europe, les Wakô remontent les fleuves avec leurs navires, et mènent des attaques jusqu’aux portes de Séoul !

Les attaques des pirates sont si intenses qu’elles ébranlent la dynastie en place en Corée, qui s’effondre à la fin du XIVe siècle. La dynastie des Li qui la remplace décide alors de négocier avec les pirates : en échange de l’arrêt des raids, elle offre des fonctions officielles et des autorisations de commerce. Cela fonctionne partiellement, car tous les pirates n’abandonnent pas leurs privilèges si facilement… Ceux qui continuent leur carrière de bandits se tournent alors vers la Chine des Ming. Celle-ci réagit en interdisant le commerce avec l’étranger et en fortifiant les côtes, mesures inefficaces avec un effet contre-productif qui permet l’essor du commerce japonais et surtout des marins des îles Ryûkyû.

Rouleau chinois relatant les attaques des Wakô

Si le terme Wakô vient du chinois et signifie « pirates japonais » , le milieu de la piraterie était surtout international : des Coréens appauvris par les attaques sur les côtes viennent eux-mêmes grossir les rangs des pirates, suivi de Chinois ; les « étrangers » constituaient ainsi 10 à 20% des effectifs.

Devant une situation de plus en plus hors de contrôle, les autorités centrales japonaises tentent alors de réprimer la piraterie qui fait sérieusement obstacles aux relations diplomatiques avec la Chine, empêchant l’ouverture de lignes commerciales officielles qui rapporteraient des taxes au shogunat (qui s’est débarrassé de la Cour du Sud en 1392). Mais les négociations avec les Chinois sont difficiles, et la piraterie ne cesse pas. Il faut dire que l’instabilité politique règne à nouveau à partir de 1441 et durant l’époque Sengoku où règne un désordre total. Il faudra attendre la réunification du Japon par Toyotomi Hideyoshi à la fin du XVIe siècle pour que règne enfin la paix sur les mers.

Le souvenir des ravages des Wakô est resté gravé longtemps dans la mémoire collective des Chinois et a fait date dans l’histoire tumultueuse des relations entre les deux empires : en effet, au XIXe siècle, il était encore mentionné par un officiel chinois lors de négociations commerciales modernes pour justifier sa méfiance vis-à-vis des Japonais ! Pourtant, cette « tradition » japonaise de la piraterie semble un peu oubliée au profit de références plus occidentales (One Piece…), mais on en retrouve par exemple encore l’esprit dans un double épisode de l’anime Samurai Champloo.

Samourai Champloo

Arthuria Dekimpe


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