Le photographe Charles Fréger s’est rendu dans les campagnes japonaises pour capturer les traditions de ces endroits reculés et leur rapport fort à la nature. Des populations encore éloignées de l’attention des médias et du tourisme de masse.
Dire que la culture japonaise est populaire à travers le monde, c’est énoncer une évidence. Le pays attire des millions de touristes chaque année et il profite volontiers de l’attrait suscité par sa culture. En 2002 le gouvernement a même inventé le concept du « Cool Japan » pour qualifier l’influence mondiale (« soft power ») que peut exercer le pays en mettant en avant son industrie culturelle regroupant pêle-mêle, mode, manga, animation, J-pop, gastronomie etc. Mais toute médaille a son revers et ce que gagne le Japon à cette surexposition médiatique est susceptible de se retourner contre lui. En témoigne par exemple notre déconvenue au Kanamara Matsuri de cette année où l’afflux de touristes irrespectueux de surcroît a complétement oblitéré la caractère traditionnel de cette fête. Difficile en effet de préserver complètement une authenticité culturelle tout en souhaitant la diffuser auprès d’un public toujours plus large. L’équilibre fragile menace de se rompre à tout instant.
Fort heureusement il existe encore des endroits oubliés de toute exploitation commerciale, des populations et groupes qui se préservent d’influence extérieure et c’est ce que cherche le photographe français Charles Fréger. Cet artiste se porte à la rencontre de communautés isolées ou fermées aux quatre coins du monde dont il capture l’identité souvent concrétisée par un uniforme, des costumes qui intègrent un individu au groupe et rendent ses photographies intemporelles. Il déclare à ce sujet : « On croit que l’individu prime aujourd’hui. En fait, c’est juste qu’on affiche moins son appartenance à un groupe« . Il a ainsi voyagé dans 18 pays pour son travail sur « l’homme sauvage » (« Wilder Mann« ) évoquant des rites et des traditions plongeant leurs racines jusqu’au néolithique.
Ensuite, entre 2013 et 2015 Charles Fréger a posé l’objectif de son appareil au Japon, et de son voyage il a réalisé une série de photographies qu’il a intitulée « Yôkai no Shima », ce que l’on peut traduite par ‘l’Île aux Démons » (plus précisément, le terme Yôkai regroupe en fait des centaines des créatures surnaturelles d’apparences variées de la mythologie japonaise).
Il s’est rendu au Japon avec le désir de photographier les masques traditionnels que l’on retrouve dans de nombreux aspects de la culture japonaise (matsuri, théâtre, mythologie). Il a visité les campagnes reculées et les villages de pêcheurs, à la population vieillissante où subsistent des coutumes, des danses rituelles réalisées en costumes destinées à attirer la fertilité des champs, la bienveillance des dieux, ou à éloigner les démons dont le folklore japonais regorge.
Au fil des saisons son appareil a saisi nombre de monstres du bestiaire japonais : tengu (créature mi-humaine mi-oiseau), kappa (diable des eaux ressemblant à une tortue), oni (ogre des montagnes)… Les habitants leur donnent vie en confectionnant de splendides costumes colorés en matériaux naturels (paille, tissus, feuilles, peaux, plumes) surmontés de masques finement détaillés qui achèvent de leur donner une aura surnaturelle, à la fois effrayante et envoûtante.
Bien d’autres photos de cette série sont à découvrir sur son site internet et si vous souhaitez approfondir vos connaissances sur ce travail de Charles Fréger vous pouvez vous procurer son livre, où les photos sont enrichies des commentaires d’un anthropologue et d’un historien de l’art.
S. Barret