Le cinéma japonais nous présente dans « Tempura » une nouvelle héroïne que nous aimerions suivre jusqu’au bout du monde. Mitsuko, boule d’énergie et de contradictions, nous envoûte par son parcours lunaire et mélancolique. Découverte d’un coup de cœur à savourer cet été au cinéma en France.

Tempura est le nouveau film d’Akiko Ohku, réalisatrice de Tokyo Serendipity (2007), Fantastic Girls (2015) et Tremble All You Want (2017). Comme pour ce dernier, il s’agit de l’adaptation d’un roman de Risa Wataya.

On y suit Mitsuko qui, depuis toujours, vit dans son propre univers loin des conventions. Au cœur de Tokyo, elle tente de survivre dans cette fourmilière qui lui rappelle sans cesse que chacun devrait avoir un rôle bien défini. Pourtant, en célibataire épanouie, elle se fixe chaque jour de nouveaux défis pour profiter de sa vie au maximum, pas vraiment comme les autres… Quand elle se rapproche sentimentalement d’un collègue de travail, sa réalité devient plus complexe et la jeune femme ne sait comment s’adapter à ses nouveaux repères.

Tempura : le Mitsuko show

Dans Tempura, tout tourne en effet autour de Mitsuko. Elle est de tous les plans et de toutes les émotions. C’est ce personnage qui porte le film et aucun autre. Difficile pour le spectateur de ne pas s’attacher à la jeune femme qui l’amène avec elle au carrefour de toutes ses décisions. Elle vit seule et, à 30 ans, n’est toujours pas mariée ! Normal partout ailleurs, mais ici, cette situation souffre de stigmates sociaux. Au Japon, on appelle vulgairement ces femmes des maikeinu et c’est presque le constat que vous avez raté votre vie ou tout au moins la suspicion que vous avez un problème. Heureusement, les choses changent peu à peu et beaucoup de femmes assument aujourd’hui leur célibat à tout âge. Comme Mitsuko, elles ne se mettent plus la pression de trouver un homme à tout prix et se forment une carapace contre les jugements sociaux. L’héroïne du long-métrage est de celles-là.

Mais au-delà de cette image de la femme moderne tokyoïte, Mitsuko essaie surtout de suivre sa propre route, se fichant bien d’un quelconque dogme à embrasser aveuglément. Elle a ses rêves, son identité, ses désirs et veut échapper à tout formatage. L’important pour elle, c’est de prendre le contrôle de sa vie.

Cela passe par cette liberté qu’elle chérit plus que tout et elle ne perd jamais l’occasion de se lancer chaque jour des défis pour trouver des activités qu’elle n’a jamais essayées. Elle s’y jette alors comme une grande et passe à chaque fois de très bons moments en y refoulant parfois ses peurs, que ce soit dans un simple cours de cuisine, un séjour dans un onsen ou un voyage à l’étranger. Avec toujours ce sourire et cette joie de vivre qui la caractérisent. Toutefois, tout n’en est pas rose dans sa vie.

Attention, la suite de l’article contient des spoilers sur l’intrigue du film.

Mélancolie et crise d’identité

Toute la communication concernant Tempura – à commencer par sa bande-annonce toute joyeuse – annonce un feel-good movie. On pourrait pourtant presque parler de publicité mensongère tellement il est bien plus complexe que ça. Si le long-métrage d’Akiko Ohku possède en effet de nombreux moments où Mitsuko est aux anges et profite de la vie, il dépeint également une jeune femme torturée, pleine d’angoisses et en plein questionnement sur la société qui l’entoure.

En effet, Mitsuko n’est pas vraiment seule… Elle entend des voix ! Enfin, une, pour être plus précis. Celle de sa conscience qui, sous la forme de celle d’un homme qu’elle appelle « A » , la conseille et la met en face de ses propres contradictions. D’un côté, elle veut profiter de sa liberté, mais d’un autre, elle a aussi envie de trouver l’amour et de partager des moments d’intimité avec un homme.

Derrière son côté évanescent et loufoque, la jeune femme doute et a peur du monde extérieur. Elle n’a aucune confiance en elle et sait qu’elle n’est pas assez forte pour se défendre si la vie lui dépose des obstacles sur sa route. Et, soyons honnêtes, la société japonaise n’aide pas les femmes à s’armer pour combattre les obstacles de la vie.

Alors qu’elle est en vacances dans un onsen, elle assiste par exemple au spectacle d’une jeune comique qui se fait chahuter physiquement sur scène par des hommes ivres et qui arrive à garder son calme. Devant une scène aussi dérangeante, Mitsuko s’imagine à sa place et sait qu’elle n’aurait jamais réussi à ne pas s’effondrer en larmes. On apprend d’ailleurs alors qu’elle a été elle aussi victime de harcèlement par un de ses supérieurs qui s’est moqué de la taille de ses poignets jugés trop menus.

Il y a beaucoup de mélancolie dans Tempura, des tornades de cris et de larmes qui rythment le quotidien de la jeune femme. On ne comprend d’ailleurs pas trop pourquoi il porte ce titre en France, à peine justifié par une scène où Mitsuko en cuisine mais probablement « marketinguement » plus attractif auprès du public de l’hexagone.

Au Japon, le film s’appelle Watashi wo kuitomete, qui signifie « Retiens-moi » et reflète bien plus l’idée générale du film. Ce mélange de sentiments qui s’opposent donne encore plus de force à l’histoire de cette « fragile » Japonaise et nous, spectateurs, avons envie de lui en donner de la nôtre pour qu’elle puisse vraiment s’assumer à 100%. Tout cela est bien aidé par la performance de Non, qui se donne corps et âme à son personnage.

Oui à Non

Difficile en effet de ne pas craquer pour Mitsuko tellement cette dernière est un mélange de folie, d’espièglerie mais aussi de failles que l’on aimerait l’aider à faire disparaître. C’est Non, nom d’artiste de l’actrice Rena Nounen, qui lui prête ses traits. Elle est absolument parfaite, telle une Amélie Poulain japonaise qui prend du plaisir à vivre sa vie autant qu’elle la subit. Elle sourit, crie, pleure, se remet en question et se remplit d’espoir. La jeune femme est éblouissante dans toutes les scènes, alternant les moments d’imagination suspendus et de crise existentielle.

Elle est bien aidée dans l’entreprise par la mise en scène d’Akiko Ohku qui se permet toutes les libertés et toutes les fantaisies. Les deux heures que durent le film passent très vite et cette alchimie entre actrice et réalisatrice rend le film aussi unique que sa attachante héroïne.

Tempura est au final le portrait émouvant d’une Japonaise irrésistible qui se cherche dans une société dans laquelle elle a du mal à trouver sa place. Bourré d’aspects sociologiques propres au Japon, c’est un joli film bien plus complexe que l’on pourrait imaginer en découvrant la bande-annonce. Son histoire nous rappelle que la découverte de soi, même si la route est longue pour y arriver, est toujours récompensée par cette sérénité qui nous permet de tout affronter et de profiter le plus possible des bons moments de la vie.

Le film est à découvrir au cinéma en France à partir du 20 juillet.

Stéphane Hubert

P.S. : Si vous le souhaitez, vous pouvez aller parler avec A, votre conscience, sur le site officiel du film. C’est très drôle mais exclusivement réservé à celles et ceux qui parlent japonais…

P.P.S. : si vous voulez vraiment voir un film qui parle bien plus de gastronomie japonaise, vous pouvez vous jeter goulument sur La Chance sourit à madame Nikuko, toujours projeté dans les salles obscure de l’hexagone.