« House of Sayuri », ou simplement Sayuri au Japon (サユリ), dernier opus du réalisateur Koji Shiraishi, revisite le thème de la maison hantée en faisant se côtoyer l’épouvante et la comédie potache. Dans l’attente de sa diffusion en France, premier aperçu de ce morceau de cinéma japonais.
Présenté dans différents festivals dont l’étrange festival à Paris, le film est adapté du manga « Sayuri » de Rensuke Oshikiri (2020). Derrière des poncifs horrifiques assez classiques et certains clichés rebattus par le metteur en scène se cache une réalité sociale encore taboue. Petit décryptage avant sa sortie prochaine sur les écrans français.
Le dernier film d’un vétéran de la J-Horror
Koji Shiraishi, né en 1973, n’est pas un inconnu dans le domaine de la J-horror. Il débute sa carrière, entre gore et esthétique « série B », à l’aube des années 2000.
Il s’engage dans le sillage de ce genre qui s’est développé à partir du milieu des années 90 et qui influencera par la suite l’ensemble du cinéma d’horreur. Inspirée des kaidan, ces contes japonais de fantômes datant de l’époque Edo, la J-horror s’enrichit au fil du temps de nombreuses légendes urbaines.
Avec « Noroi : the curse », en 2005, Shiraishi utilise le principe des « images trouvées » pour raconter un récit d’horreur sous la forme d’un faux documentaire (c’est le principe du « Projet Blair Witch »).
Il verse aussi dans l’extrême violence avec « Grotesque », en 2009, qui sera interdit en Angleterre. En 2016, il met en scène l’affrontement de deux légendes du cinéma d’horreur avec « Sadako vs Kayako », puis s’essaie au cinéma érotique avec « Safe word », en 2022.
Une variation autour de la maison hantée
« House of Sayuri » s’ouvre sur l’image de tas d’ordures jonchant un couloir menant à l’antre d’une « créature » recluse dans une chambre de la maison et imposant le silence à une famille terrée au rez-de-chaussée. On ne saura rien du drame qui s’y déroule, mais plus tard la maison vidée et à nouveau baignée de lumière est mise en vente pour qu’une autre famille en prenne possession.
Norio, l’ado de la famille, son frère et sa sœur, ses parents et ses grands-parents vont pouvoir vivre sous le même toit et goûter enfin le confort. Une fois passée l’installation joyeuse et la brève idylle d’un repas familial ponctué de rires, la maison distille ses ondes malfaisantes.
Puis vont rapidement s’enchaîner les morts violentes des membres de la famille, à l’exception de Norio et sa grand-mère… Et les chaises de la table familiale de se vider les unes après les autres, implacablement.
Jusqu’ici rien de très novateur dans le paysage cinématographique, a priori.
La chasse est ouverte : un basculement salutaire
C’est à ce moment que Shiraishi « appuie sur l’interrupteur » du personnage le plus sénile, détonant et grabataire de la famille pour faire basculer son récit dans une comédie absurde et survoltée. Est-ce un pur délire ou une parade ? Car la J-horror serait, selon Koji Shiraishi, un genre à bout de souffle commercialement ?
Pour autant, on ne perd jamais de vue l’objectif des survivants qui ne veulent pas céder un pouce de leur territoire. Mais l’image classique du fantôme, (le « yurei », principalement féminin) est ici détournée.
A la figure de la jeune revenante à la robe blanche et longs cheveux noirs se substitue une créature patibulaire d’une laideur monstrueuse, aux cheveux hirsutes et arrachés, sa transformation physique allant de pair avec son histoire tragique.
Si la chasse aux fantômes passe traditionnellement par des rituels d’exorcisme effectués par des prêtres shinto ou bouddhistes, ici le « maître » sollicité n’a pas le loisir de passer la porte, chassé manu militari par une grand-mère qui jure, la clope au bec.
Si « l’usage » avec le fantôme est l’empathie, les paroles respectueuses et les offrandes, le film décline ici les insultes et les moqueries à son attention. Rien ne saurait être plus fort pour combattre la maléfique Sayuri qu’une bonne hygiène de vie (« bien manger, bien dormir, faire du sport ») et une « positive attitude » sans faille, portée par une grand-mère explosive, férue de tai-chi et au look de Janis Joplin. Et cela semble fonctionner…
L’histoire tragique derrière la comédie
Mais la chasse au fantôme de Norio et sa grand-mère est purement cosmétique. La découverte du corps de la jeune Sayuri fait à nouveau basculer le récit dans un autre genre : celui du drame.
C’est à partir de là que l’histoire de Sayuri est révélée et que la vengeance (raison d’être de ces fantômes à l’esprit courroucé qu’on appelle « onryo ») va être mise en œuvre, tandis qu’en parallèle se développe une romance entre Norio et sa camarade de classe extralucide.
« le film nous fait toucher du doigt la question des maltraitances physiques et sexuelles des enfants au Japon »
Avec le récit du passé familial de Sayuri, raconté d’une manière plus sobre et suggérée, le film nous fait toucher du doigt la question des maltraitances physiques et sexuelles des enfants au Japon et c’est peut-être en cela qu’il est connecté à une réalité tristement actuelle.
Libération de la parole ou recrudescence des violences, toujours est-il qu’en 1990, on dénombrait 1000 cas de maltraitances contre 55 000 en 2010 selon l’association Humanium. Le pays a cependant connu de récentes évolutions concernant la protection des enfants face aux abus. A titre d’exemple, en 2023, la définition du viol a été modifiée et l’âge du consentement relevé de 13 à 16 ans.
Le dernier acte est une confrontation en pleine lumière entre le fantôme et ses bourreaux, parsemée de quelques références œdipiennes revisitées. La violence qui s’en dégage est suffisamment grotesque pour nous tenir à distance.
En revanche, là où le film peut être assez touchant, c’est sur l’empathie qu’il déclenche vis-à-vis de son personnage de fantôme, doublement victime, jusqu’à sa délivrance. Si Shiraishi prend le parti de s’amuser, il nous rappelle à cette occasion que la laideur a une histoire.
Donner un nouveau souffle au genre
En sautant littéralement d’un genre à l’autre en l’espace d’un plan, « House of Sayuri » brise l’image traditionnelle de la J-horror, l’adoucit et crée un objet hybride, une sorte de collage.
Mais au-delà du mélange des genres, le film pose une question intemporelle : jusqu’où une famille est-elle prête à aller pour garantir son unité ?
Le paradoxe commun à celles de Sayuri et à celle de Norio, c’est que sont sacrifiés les membres qui ont le malheur, à leur corps défendant, d’en compromettre les rêves et la cohésion.
House of Sayuri de Koji Shiraishi, avec Ryôka Minamide, Toshie Negishi, Kokoro Morita. Japon, 2024. En salles prochainement.
– Candice Corbeel