La belle année du cinéma japonais sur les écrans français continue avec la sortie de « La Beauté du geste » le 30 septembre. Un film âpre et dur sur le quotidien d’une boxeuse japonaise malentendante dont les tourments ne peuvent pas tous se régler sur le ring…

La Beauté du geste est le dernier film de Shô Miyake. On y suit Keiko, une boxeuse tokyoïte dont la carrière est en train de décoller. Travailleuse acharnée, elle part pourtant avec un handicap certain dès le départ puisqu’elle est sourde. Devant la dureté du sport et de son quotidien, elle se demande quelle direction elle doit réellement donner à sa vie. La boxe fera-t-elle partie de son futur ? Rien n’est moins sûr.

Le monde du silence

Le film est une adaptation très libre de l’autobiographie de la boxeuse Keiko Ogasawara. Au final, ne reste que son prénom, la boxe en toile de fond et le fait que l’héroïne soit atteinte de surdité. Pour le reste, tout n’est que fiction ! Déjà, l’histoire se déroule plus de 10 ans après les événements réels. Et si on peut se demander pourquoi, on en comprend vite la raison qui tient en un mot : Covid ! Car si pour la plupart d’entre nous, porter un masque n’était qu’une gêne esthétique, pour les personnes qui lisent sur les lèvres, il était un problème de plus.

Le réalisateur choisit ainsi sciemment de nous proposer dès le début du film des scènes qui nous plongent dans la réalité d’une personne malentendante. Le frère de Keiko joue de la guitare ? Le caissier lui propose une carte de fidélité ? On annonce le vainqueur du match de boxe ? Elle utilise un sèche-cheveux ? Pour elle, ces situations ont la même bande-son : le silence. Un sujet de société qui traverse d’ailleurs le cinéma japonais ces derniers temps, déjà présent dans Love Life et Drive my Car. Mais La Beauté du geste est bien plus qu’un film traitant du handicap, soulignant le véritable combat d’une femme consciente qu’elle a son destin en mains.

La vie ne prend pas de gants

Le personnage de Keiko est en effet une championne. Elle a des qualités rares de mental, alors que, comme le dit son coach, elle n’a absolument aucune qualité physique pour l’être. Pas la bonne taille, des bras trop courts, elle n’entend ni le gong ni les conseils… et pourtant, sa volonté de se battre l’emporte sur tout ce qui devrait constituer des défauts. Elle est ainsi un symbole d’abnégation et de courage.

Alors sur le ring, elle répète ses gammes, court, se donne à fond, s’épuise…et elle gagne. Mais est-ce vraiment ce qu’elle veut dans la vie ? Fait-elle de la boxe pour rendre fières les personnes qui l’entourent ? Sa mère, son coach, le patron de la salle de boxe ? Ils font tous partie de sa famille de sang ou de cœur et quand le dernier cité annonce que la salle va fermer, alors le monde de Keiko s’écroule.

Loin de ses bases réconfortantes, elle se questionne sur l’avenir qui l’attend et même sur son amour de la boxe. C’est cette aventure intérieure humaine que nous suivons, dans un univers proscrit de tout glamour et d’effets de style.

La vérité à tous les coups

La Beauté du geste est avant tout réalisé avec l’envie de coller au plus près des sensations ressenties par Keiko. Avec une approche quasi documentaire, Shô Miyake nous invite à ses côtés, que ce soit sur le ring, dans son appartement ou dans les rues d’un Tokyo lui aussi dénué d’artifice. Nous restons dans un quartier, avec la communauté qui la fait vivre et les liens humains qui s’y créent. Les personnages secondaires sont d’ailleurs tous très bien écrits et peuplent le micro-monde de la boxeuse avec justesse.

Comment tout cela va évoluer ? Comme dans la vie de tous les jours, les hommes et les femmes grandissent, apprennent sur eux-mêmes comme sur les autres et finissent par choisir la voie qui sera celle qui résonne le plus avec leur âme et leur vérité intérieure. Dans le même souci de retenue, le réalisateur nous livre une œuvre sans musique en plus pour la bande-son. Si l’émotion doit naître, ce ne sera pas avec l’aide de violons, mais plus par les regards et justement, à contre-pied, par les silences.

De presque tous les plans, Yukino Kishii, l’interprète de Keiko, est tout simplement parfaite de sobriété. Chaque clignement des yeux, chaque geste vaut mille mots et l’émotion qu’elle transmet par petite touche donne aussi au film ce ton singulier qui transcende le simple « film de boxe ». La jeune Japonaise de 31 ans a d’ailleurs reçu de nombreux prix de la meilleure actrice au Japon, notamment aux Japan Academy Awards, l’équivalent nippon des César français.

La Beauté du geste est un film brut, exigeant et sensationnel, à la frontière de la fiction et du réel. Il nous met face au combat de Keiko pour se découvrir, sur le ring comme en dehors. Encore un beau film japonais distribué par Art House à découvrir au cinéma en France dès le 30 août. À ne surtout pas louper.

Stéphane Hubert