De la prostitution au crime, il n’y a parfois qu’un pas. Un cas particulier a défrayé la chronique au Japon. Celui de Lily, une jeune escorte japonaise qui a monté une escroquerie bien organisée pour dépouiller ses clients jusqu’au dernier yen. Yuki nous plonge dans le monde de la prostitution de Tokyo à travers l’histoire de Lily, la Sugar Baby criminelle.

Lily : la Sugar Baby criminelle

Actuellement, au Japon, des jeunes d’une vingtaine d’années affluent de tout le pays vers Kabukicho à Tokyo, le quartier des clubs d’hôtes. La plupart estt en quête d’amour, souvent en raison de maltraitances familiales ou de problèmes de harcèlement. Pour combler leur solitude, ils se tournent vers les clubs d’hôtes, espérant y trouver une forme d’amour, bien que temporaire.

Cependant, ces clubs sont loin d’être à bon marché, et pour maintenir l’illusion de cet « amour », les clientes doivent dépenser des sommes considérables. Certains hôtes sans scrupules n’hésitent pas à contraindre leurs clientes à la prostitution pour accroître leurs revenus.

Source : bengo4.com

Watanabe Mai, alias Lily, figure centrale de l’affaire « Lily : la Sugar Baby criminelle », était elle-même l’une de ces jeunes âmes en mal d’amour. Lourdement condamnée, elle vit désormais en prison dans des conditions qu’on imagine à peine, surtout pour une ex-escorte si jeune…

Au Japon, ce cas a mis en lumière non seulement les mécanismes prémédités et audacieux de certaines escortes, mais aussi les zones d’ombre du monde des hôtes et les problèmes sociaux auxquels sont confrontés les jeunes Japonais(es) d’aujourd’hui.

Les détails de « l’affaire Lily »

Selon le verdict prononcé par la Justice Japonaise, Watanabe Mai, alias Lily (son nom d’escorte), jugée à l’âge de 25 ans, aurait escroqué trois hommes rencontrés via des applications de rencontres entre mars 2021 et août 2023. Elle leur aurait menti en prétendant avoir besoin d’argent pour couper les liens avec ses parents, parvenant à leur soutirer un total de 155 millions de yens (environ 1 million d’euros!).

Plus grave encore, consciente de son succès personnel, elle aurait vendu en ligne un document intitulé « Manuel pour gagner de l’argent pour tout le monde », décrivant des stratégies d’escroquerie et de manipulation. Ces ventes lui auraient rapporté près de 20 millions de yens.

Source : bunshun.jp

L’ampleur des sommes concernées, la planification sophistiquée et le contexte particulier de cette affaire ont suscité un vif intérêt dans la société japonaise.

Les motivations derrière l’escroquerie : le rôle des hôtes

Privée de repères à la maison et à l’école, comme beaucoup de jeunes ados, Watanabe a trouvé un sens à son existence grâce à un hôte rencontré à Kabukicho alors qu’elle était encore toute jeune. Elle en tombera éperdument amoureuse et dépendante. Cet hôte, Tanaka (26 ans), a été également jugé coupable d’avoir accepté près de 38,5 millions de yens provenant des diverses escroqueries de Watanabe.

Dans un passage de ses mémoires, Watanabe déclare :

« Ayumu (le pseudonyme de Tanaka) était différent des autres hôtes. Il avait des objectifs pour l’avenir au-delà du monde des hôtes. Je voulais tout faire pour lui. »

Cependant, son désir de plaire s’est transformé en obsession, l’amenant à fournir jusqu’à 10 millions de yens par mois à l’hôte. On notera que ce cas n’est pas isolé. Beaucoup de jeunes « prostituées » travaillent dans l’ombre d’un hôte soit pour payer ses services (de l’amour tarifé), soit pour payer des dettes contractées dans les clubs masculins.

De plus, comme le révèlent également ses mémoires, Watanabe s’était convaincue de devoir amasser des sommes colossales pour soutenir cet hôte. Cet objectif était devenu son unique raison de vivre.

L’hôte de Lily qui expose sa richesse sur les réseaux sociaux Japonais

Ses stratégies d’escroquerie soigneusement élaborées ont suscité une grande attention au moment de son arrestation. Bien que son manuel ne soit plus disponible en ligne, il aurait été vendu en format papier dans les rues de Kabukicho en milliers d’exemplaires, donnant les mêmes idées folles aux jeunes femmes de sa génération.

Le manuel de Lily : techniques d’escroquerie pour Sugar Baby

Quand elle entreprend l’écriture de son manuscrit, Lily a déjà une certaine expérience dans le milieu. Et elle entend bien la partager… Le manuel, rédigé par l’ancienne travailleuse du sexe et passionnée des clubs d’hôtes, décrivait les méthodes qui lui permettaient de « contribuer à hauteur de 2 millions de yens par mois à son hôte, tout en fréquentant les clubs chaque jour. » Oui, on parle bien d’un manuel à destination de jeunes prostituées pour faire gagner de l’argent à… un homme !

Source : ameblo.jp

Grâce à des explications visuelles incluant des schémas précis et des dialogues types, ce guide a su captiver un jeune public qui s’identifia à son parcours. Les enquêteurs estiment que les ventes de ce manuel ont rapporté près de 20 millions de yens. Des milliers de jeunes filles ont potentiellement suivi ces conseils d’escroquerie.

Selon le manuel, « l’activité des filles à tout prendre » s’articulait autour de trois grandes étapes :

1- Bâtir une relation de confiance : Cette section contenait des scripts de conversation pour créer un lien de confiance et identifiait les types d’hommes les plus faciles à manipuler que d’autres. Watanabe décrivait les conversations quotidiennes comme « un moyen de bâtir une confiance mutuelle. » En découvrant ce qui rendait leurs cibles heureuses, leurs passions, les utilisatrices pouvaient renforcer ce sentiment de connexion. Elle écrivit :

« Une fois que la confiance est installée, vous n’aurez plus peur de demander de l’argent ni d’être rejetée ! »

2- Conversations pour obtenir de l’argent : Dans cette partie, elle expliquait l’importance de cesser brusquement toute communication pendant un moment, créant ainsi un sentiment d’angoisse et d’urgence chez l’homme. Quelques jours plus tard, une fausse histoire de difficultés financières tombe, telle que des loyers impayés ou des dettes imaginaires. L’histoire doit être évoquée pour inciter la cible à proposer de l’aide par elle-même. Elle soulignait toutefois :

« Il est crucial de ne jamais demander explicitement de l’argent. Laissez la cible offrir son aide d’elle-même. »

En insistant sur des phrases comme « Je viens à toi car je te fais confiance » ou « Ce n’est pas pour ton argent que je viens te parler », elle guidait ses lectrices pour obtenir des résultats sans éveiller de méfiance au passage. Le niveau de manipulation et de malfaisance est stratosphérique.

3- Petites attentions post-transactions : Cette étape visait à maintenir la satisfaction de la cible en expliquant précisément comment l’argent avait été dépensé et en exprimant une gratitude sincère. En partageant des plans futurs ensemble ou en montrant comment la vie avait changé grâce à leur soutien, les utilisatrices pouvaient poser les bases d’une nouvelle demande éventuelle à venir. Watanabe insistait sur l’importance de ce processus :

« L’après est la clé pour prévenir les conflits et s’assurer un soutien continu. »

On ne parle pas de quelques lignes de vagues conseils. Environ 25 000 mots détaillaient ces stratégies, y compris des traits caractéristiques des hommes faciles à cibler et des exemples de dialogues pour chaque étape de l’arnaque. Beaucoup ont comparé ces méthodes à des techniques de vente en entreprise, soulignant leur précision et leur efficacité. Certains ont même salué l’ingéniosité de son approche, suggérant que, adaptée à un autre domaine, elle aurait pu devenir une femme d’affaires redoutable.

Le passé de Lily : entre blessures et influences

Source : tokai-tv

Petite, Watanabe souffrait d’une forme sévère d’eczéma atopique, qui l’obligeait à envelopper ses bras et ses jambes de bandages lorsqu’elle était enfant. Cet aspect effrayait les autres enfants, l’empêchant de se faire des amis à l’école. Et on sait à quel point il n’est pas bon d’être différent au Japon. L’enfant allait plus souvent à l’infirmerie scolaire plutôt qu’en classe.

Ayant très peu d’interactions sociales à l’école ou à la maison, elle a ainsi admis : « J’ai grandi sans jamais apprendre à communiquer avec les autres. » Pendant ses années de collège, elle a commencé à fuguer à cause de son inconfort constant. Elle allait de maison en maison, rencontrant des hommes sur des forums en ligne. C’est ainsi que Lily était née, dans le rejet de la société et la banalisation de la prostitution chez les jeunes. Tous les hommes rencontrés sur son chemin vont abuser d’elle, physiquement et mentalement. Jusqu’au jour où un hôte changera tout…

Le sens de la vie découvert dans un club d’hôte

Pendant cette période où elle passait d’un endroit à l’autre, elle a finalement trouvé un « refuge » dans un club d’hôtes. Là, pour la première fois, elle a ressenti un sentiment de joie. Elle était considérée, respectée.

Source : tokai-tv

Dans ses mémoires, elle écrit : « Le dernier hôte qui m’a accueillie était incroyablement joyeux. Il m’a abordé en disant : ‘Viens boire avec moi !’ Il a lancé de nombreux sujets de conversation, m’a fait rire, et j’ai trouvé ça tellement amusant. C’était la première fois de ma vie que j’étais aussi heureuse. J’avais l’impression d’avoir trouvé un sens à ma vie. Mon esprit s’est illuminé, et j’avais le sentiment que ma vie était sauvée. »

Pour quelqu’un comme elle, qui n’avait trouvé sa place ni à la maison ni à l’école, les clubs d’hôtes étaient devenus un refuge qu’elle était prête à protéger à tout prix. Sans le savoir, elle venait de s’enfermer dans une autre prison au profit d’autres hommes.

La suite, vous la connaissez : l’hôte exige des sommes de plus en plus folles et Lily fera tout ce qui est possible pour y répondre, y compris par la criminalité.

Verdict et réactions publiques

Le 17 janvier 2025, Watanabe a été condamnée à 8 ans et 6 mois de prison ainsi qu’à une amende de 8 millions de yens pour avoir escroqué trois hommes rencontrés sur des applications de rencontres, en exploitant leurs sentiments amoureux, pour un montant total d’environ 155 millions de yens.

Source : tokai-tv

En ligne, cette décision a suscité de vives réactions, notamment sur X (anciennement Twitter). Beaucoup considèrent la peine comme trop légère : « Huit ans et demi pour une escroquerie aussi importante, c’est insuffisant. » ou : « La vente de son manuel d’escroquerie est un acte particulièrement malveillant, et la peine ne reflète pas la gravité de ce crime. »

D’autres, cependant, ont pris sa défense, soulignant que la peine était plus lourde que celles de certains autres crimes graves : « Comparé à des décisions rendues pour des crimes sexuels, huit ans et demi semblent excessifs. »

Certains ont également pris en compte son passé traumatique et ses intentions de réinsertion. Bref, difficile de trancher, n’est-ce pas ?

« J’ai choisi moi-même le chemin de la dépendance aux hôtes et j’ai détruit ma propre vie. »

Conclusion

Quand Watanabe a été arrêtée par la police de la préfecture d’Aichi, elle aurait déclaré aux enquêteurs : « Merci de m’avoir arrêtée. » Visiblement, sa conscience n’en pouvait plus.

Dans ses mémoires rédigées après son arrestation, elle écrit :

« Je me suis mise à me demander : ‘Qu’est-ce qu’un vrai salut ?’ Aujourd’hui, je veux le poursuivre. Une fois que je le comprendrai, j’aimerais devenir une personne capable d’offrir ce vrai salut aux filles qui ont vécu des choses similaires. Je ne veux plus blesser personne. Je vais devenir une femme forte. »

« J’ai choisi moi-même le chemin de la dépendance aux hôtes et j’ai détruit ma propre vie. Aujourd’hui, l’industrie des hôtes est considérée comme ‘mauvaise’, mais beaucoup de filles y plongent D’elles-mêmes. J’aimerais que le système des clubs d’hôtes change, mais je sais que ce n’est pas simple. En fin de compte, il faut vivre fort dans ce monde et choisir son propre chemin dans la vie. »

Source : tokai-tv

Les paroles de Watanabe reflètent à la fois ses regrets et sa détermination à avancer vers une nouvelle vie. Cependant, les jeunes femmes comme elle, en quête d’amour et d’un endroit où se sentir à leur place, sont souvent poussées dans des situations extrêmes par des problèmes familiaux ou l’isolement social exacerbé au Japon où la communication est difficile.

Aujourd’hui encore, à Kabukicho, beaucoup de jeunes souffrent sans pouvoir échapper à la douleur ou à la solitude. Dépendance aux hôtes, surconsommation de médicaments, automutilation, prostitution, et dettes sont autant de symptômes de ces souffrances. Il suffit de faire un tour près des Love Hotel du quartier pour se rendre compte du défilé permanent de (très) jeunes filles aux bras d’hommes japonais ayant l’âge de leur père, si pas de leur grand-père.

Mais les causes de cette situation ne se limitent pas à des choix individuels, elles incluent aussi l’éclatement familial, la pauvreté systémique chez les jeunes et un manque de soutien social de l’État. Et pour cause, le système capitaliste triomphant au Japon tolère que les Humains, et les jeunes filles en particulier, soient réduits à des produits commerciaux comme les autres : la marchandisation totale des corps au nom de la liberté, bien évidemment. Pour les observateurs associatifs, il est essentiel de créer des espaces où ces jeunes puissent se sentir soutenus et aidés à prendre de meilleures décisions pour leur avenir. Par ailleurs, les enfants devraient particulièrement être bien entourés et protégés au moment clé de leur développement.

Source : tokai-tv

L’expression « vivre fort », prononcée par Watanabe, prend un poids particulier en venant de quelqu’un qui a traversé tant de souffrances. Cependant, pour résoudre ces problèmes systémiques de manière durable, il est nécessaire que les autorités comme la population Japonaise prennent conscience de la situation afin d’améliorer les systèmes d’éducation, de protection sociale et de créer une société où les jeunes peuvent trouver un véritable sentiment de valeur personnelle. Malheureusement, ceci ne semble pas être au programme des préoccupations politiques actuelles…

– Yuki

Références des citations :
Tokai TV
Bunshun
FNN Prime Online
Nagoya TV
MNS