Chaque 22 octobre depuis 1895, Kyoto célèbre le Jidai Matsuri (京都時代祭). Ce « Festival des Âges », hommage à la fondation de l’ancienne cité impériale, voit défiler plus de 2 000 personnes en costumes pour illustrer les 1 200 ans d’histoire de la ville, y compris des geiko dans des rôles féminins d’importance.
Considérées comme les gardiennes de la tradition, c’est tout naturellement que des geiko et maiko de Kyoto prennent part au festival de ce qui est désormais la capitale de la culture traditionnelle japonaise.
Les cinq hanamachis participent à tour de rôle au Jidai Matsuri, à raison de deux chaque année. Les geiko et maiko choisies ont ainsi le privilège d’incarner certaines figures historiques majeures, ayant vécu entre les époques Nara (710-794) et Momoyama (1573-1603).
Abutsu Ni 阿仏尼

Dame de la cour de l’impératrice Ankamon-in, décédée en 1283, Abutsu Ni est passée à la postérité pour avoir écrit en 1277 « Izayoi-nikki » son journal de voyage entre Kyoto et Kamakura.
Pour le Jidai Matsuri, elle porte la robe de voyage mentionnée dans son journal. On ne connait pas sa véritable identité, Abutsu Ni étant le nom qu’elle prit en devenant nonne bouddhiste au décès de son époux, Fujiwara no Tameie (1197-1275), poète réputé en son temps.
Ki no Tsurayuki Musume 紀貫之の女 ou Ki no Naishi

Ki no Tsurayuki Musume est la fille de Ki no Tsurayuki (872-946), le plus célèbre poète de son époque. La première anthologie officielle de poésie japonaise, le « Kokin wakashû » (古今和歌集) fut compilée par ses soins en 905. Il en rédige la préface où il soutient la prééminence de la poésie japonaise sur la poésie chinoise alors dominante.
« un jour que l’Empereur voulait faire abattre un prunier, elle écrivit un poème si émouvant qu’il y renonça ».
Avec un père théoricien du waka, sa fille ne pouvait qu’exceller dans l’art d’en rédiger. Ki no Naishi fut dame d’honneur à la Cour et un jour que l’Empereur voulait faire abattre un prunier, elle écrivit un poème si émouvant qu’il y renonça. Elle est vêtue d’un costume typique du milieu du Xe siècle et tient dans sa main une branche de fleurs de prunier.
Murasaki Shikibu 紫式部

Dame de la Cour au milieu de l’époque de Heian, au service de l’impératrice Shôshi, Murasaki Shikibu (973-1014/1025) est mondialement connue pour avoir écrit « Le Dit du Genji » (Genji monogatari) généralement considéré comme le premier roman psychologique au monde.
À savoir que Murasaki Shikibu est son nom d’emprunt nyôbô, ce qui constituait l’usage pour les personnes nobles d’un rang inférieur au service de la Cour avant l’époque Edo. Elle est revêtue d’un Koutigi, un kimono comportant moins de couches que le solennel Junihitoe à 12 épaisseurs. Elle parade placée derrière Sei Shônagon, toutes deux assises sur un char « Kouran ».
Ono no Komachi 小野 小町 (et sa dame d’honneur)

Peu d’éléments de sa vie nous sont parvenus, même ses dates de naissance (vers 820-830) et de mort (900 ?) demeurent imprécises.
Mais l’histoire se souvient d’elle comme d’une exceptionnelle poétesse de tanka, choisie par Ki no Tsurayuki pour être l’un des six génies de la poésie « Rokkasen » 六歌仙, digne de figurer dans son anthologie Kokin wakashû. Elle fut aussi réputée pour sa beauté au point de devenir le symbole de la « bijin » (belle femme) au Japon. Son costume est caractéristique de ceux portés par les dames de la Cour au début de la période Heian.
Sei Shônagon 清少納言

Dame de compagnie de l’impératrice Teishi (977–1001), elle est célèbre pour avoir écrit « Les Notes de chevet » (Makura no sôshi), considéré comme un chef d’œuvre de la littérature japonaise de l’époque Heian au même titre que « Le Dit du Genji » de sa contemporaine Murasaki Shikibu.
Comme cette dernière, son nom de naissance nous est inconnu, Sei Shônagon étant son nom d’emprunt nyôbo. Elle porte un Jûnihitoe, ce vêtement à 12 couches ‘hitoe’ superposées typique des dames de la Cour d’Heian.
Shizuka Gozen 静御前 (et sa dame d’honneur)
« Shizuka Gozen est une danseuse de Cour « shirabyôshi » dont elle porte la tenue masculine caractéristique pour le Jidai Matsuri ».

Shizuka Gozen (1165–1211) fut une danseuse de Cour « shirabyôshi » dont elle porte la tenue masculine caractéristique pour le Jidai Matsuri.
Elle devint célèbre pour l’amour tragique (et romancé au fil de l’Histoire) qu’elle portait au samourai Minamoto no Yoshitsune. Son personnage a été immortalisé dans nombres d’œuvres littéraires, dont des pièces de théâtre Nô, Bunraku et Kabuki.
Tokiwa Gozen 常盤御前

Tokiwa Gozen (1138- vers 1180) vécut à la fin de l’époque Heian, alors que le pouvoir impérial vacillait face à la montée en puissance de la classe des samourais.
Épouse ou concubine du samourai Minamoto no Yoshitomo, chef du clan Minamoto immortalisé dans le « Dit de Heiji », elle fut la mère du puissant général Minamoto no Yoshitsune. Dans les arts et la littérature, elle est principalement représentée fuyant à travers la neige, ses enfants sous ses robes, pendant la rébellion de Heiji en 1160. Il en est de même pour le Jidai Matsuri.
Tomoe Gozen 巴 御前
« il est désormais impossible de séparer les éléments de sa vie de ce qui relève de la légende ».

Tomoe Gozen (1157-1247) fut l’épouse du célèbre seigneur samourai Minamoto no Yoshinaka aux côtés duquel elle combattit pendant la guerre de Genpei (1180-1185).
Guerre qui verra la victoire des Minamoto et l’établissement du shogunat de Kamakura (1185-1333). Elle devint la femme samourai la plus célèbre de l’histoire japonaise au point qu’il est désormais impossible de séparer les éléments de sa vie de ce qui relève de la légende. Lors du Jidai Matsuri, elle apparaît à cheval, vêtue d’une armure masculine.
Wake no Hiromushi 和気広虫

Wake no Hiromushi (730-799) fut dame d’honneur à la Cour au service de l’impératrice retirée Koken. Elle aurait pris soin de 83 orphelins de guerre et cette dévotion fut à l’origine de la création des orphelinats japonais.
Le style de ses vêtements trahit une forte influence chinoise, le Japon de la période Nara (710-794) prenant alors l’Empire du Milieu comme modèle culturel et politique.
Yodo-dono 淀殿 ou Yodogimi (et ses dames d’honneur)

La vie de Yodo-dono (1567/1569- fut inextricablement liée aux trois unificateurs du Japon lors de l’époque Sengoku (milieu du XVe-fin du XVIe siècle). Elle était la nièce de Nobunaga Oda, le premier d’entre eux. Puis, elle devint la concubine et seconde épouse du deuxième, Hideyoshi Toyotomi, à qui elle donne un fils héritier Hideyori.
Elle se suicide avec lui après une défaite contre Tokugawa Ieyasu, le troisième et dernier des unificateurs, fondateur de la dynastie des shogun Tokugawa qui régneront sur le Japon durant l’époque Edo (1603-1868).
Sa tenue somptueuse du Jidai Matsuri incarne l’extravagance qui a donné naissance à la splendide culture de l’époque Momoyama (1573-1603). Elle est accompagnée de trois suivantes, incarnées par des maikos.

Yokobue 横笛

Dame d’honneur à la cour de l’impératrice Taira no Tokuko à la toute fin de l’époque Heian, Yokobue s’éprit de Tokiyori Saito, un garde du palais impérial. Mais son père ayant rejeté leur union en raison de leur différence de rang, le garde devint prêtre bouddhiste sous le nom Takiguchi.
L’apprenant, Yokobue tenta de lui rendre une visite nocturne mais l’ancien garde refusa de la voir par fidélité à ses vœux. Avec son sang, elle écrivit un poème d’adieu sur une pierre avant de se suicider en se jetant dans la rivière Ogawa. La légende s’est mêlée aux faits réels et la véracité historique en devient indiscernable, comme pour tant d’autres récits.
Cette histoire d’amour tragique n’a pas manqué d’inspirer les artistes et elle figure dans « Le Dit des Heike« , le célèbre ouvrage poétique narrant la lutte de pouvoir entre les clans Minamoto et Taira au XIIe siècle. Le temple Takiguchidera au mont Ogura dans la préfecture de Saga expose deux statuettes à l’effigie du couple. Pour le festival, Yokobue est représentée en route pour rendre visite à Takiguchi à Saga.
Pour conclure, précisons qu’outre les rôles historiques réservés aux geiko, et les maiko cantonnées à ceux de suivantes et dames d’honneur, des shikomi et minarai (futures maiko, voir notre article « Comment devenir Maiko, puis Geiko, étape par étape ») peuvent aussi avoir la chance d’incarner ces derniers.
Ainsi, ci-dessous, les futures maiko alors shikomi Fukutomo, Kimitoyo et Koharu de Miyagawacho ont personnifié les enfants accompagnant Wake no Hiromushi lors du Jidai Matsuri 2013.

Si vous avez l’opportunité d’assister au Jidai Matsuri, vous serez désormais capable d’identifier quelques-unes des figures participant à la longue procession !
– S. Barret
En-tête : Geiko Kosen de Miyagawacho en Tokiwa Gozen lors du Jidai Matsuri 2007 – Nullumayulife – flickr CC



















































