Nous rendons compte régulièrement du poids encore très important du sexisme dans la très patriarcale société japonaise (voir notre dossier sur le sujet). Au point que la vague #MeToo n’y a fait que peu de remous l’an dernier. Mais il ne faut pas en conclure pour autant que les mentalités ne sont pas en train d’évoluer. Lentement mais sûrement des voix s’élèvent pour dénoncer les injustices et le sexisme dont sont principalement victimes les Japonaises, mais aussi les hommes japonais par voies de conséquences. Le récent manga « Adieu mini-jupe ! » d’Aoi Makino s’inscrit dans cette lignée.
Des femmes qui font scandale en marchant sur le dohyô sacré alors qu’elles y sauvent la vie d’un homme lors d’un tournoi de sumo. Les plannings de grossesse (voir de mariages) dans les entreprises à respecter sous peine de devoir présenter d’humiliantes excuses. Le harcèlement au travail pour pousser une employée devenue mère à démissionner. Les agressions sexuelles dans les transports en commun commises en toute impunité. La majorité des victimes de viols qui n’osent pas porter plainte ou qui voient cette dernière être classée. De la discrimination dans une fac de médecine pour limiter le nombre d’étudiantes admises au prétexte de leur sexe. Un magazine qui classe les universités selon la facilité avec laquelle on peut « choper » les étudiantes. Les mini-jupes jugées responsables des agressions sexuelles (la culpabilisation des victimes est très enracinée au Japon)… Des histoires comme celles-ci, les réseaux sociaux, la presse nationale (encore qu’assez timide) et internationale s’en font régulièrement l’écho au pays du soleil levant. On pourrait le déplorer mais cette médiatisation est également le signe que les mentalités évoluent et que les générations actuelles refusent de plus en plus ce à quoi leurs aînés se résignaient encore il y a peu.
Au sommet de cette pyramide on n’oubliera pas de mentionner le cliché de la femme idéale incarnée par les « idols » : très (voir trop) jeune, innocente et surtout soumise aux envies des hommes. Elles sont l’objet de fantasmes d’hommes souvent mûrs, qui poussent parfois l’adoration jusqu’à l’agression physique. Avec des conséquences ubuesques comme en témoignent les excuses présentées par Maho Yamagushi le 14 janvier dernier, une idol qui avait eu le tort de « causer des ennuis » en parlant de l’agression dont elle avait été récemment victime par deux hommes (qui n’ont pas fait l’objet de poursuites judiciaires) ! L’affaire avait heureusement suscité l’indignation des internautes et poussé l’agence de l’idol à présenter des excuses.
Ce cliché de la femme-enfant, hyper-sexualisée, mignonne, douce, etc. on le retrouve fréquemment dans la pop-culture nipponne que ce soit dans les « maids cafés », les jeux-vidéo, les animés ou encore les mangas. Mais bien sûr, il ne faut pas mettre tous les mangas dans le même panier, ce serait aussi réducteur que de dire que les jeux-vidéo font l’apologie de la violence et l’encouragent (un rapprochement souvent fait hâtivement dans les médias). Tous les mangas, loin s’en faut, ne cautionnent pas la culture du viol, ne présentent pas des personnages masculins et féminins caricaturaux tels l’obsédé dont la perversion fait office de ressort comique, la « bombasse » dévêtue ou au contraire la jeune fille timide, vouant sa vie à épauler un héros qu’elle aime secrètement. Cependant, ces représentations sont suffisamment présentes, surtout dans les titres les plus connus à destination d’un public adolescent, pour s’imprimer dans l’inconscient collectif et façonner des idées reçues fausses sur les femmes.
Et c’est en réaction à ces clichés sexistes persistants qu’une mangaka du nom d’Aoi Makino a commencé la rédaction d’un manga intitulé Sayonara Miniskirt (さよならミニスカート) soit : Adieu mini-jupe, publié mensuellement depuis août 2018. Manga qui a immédiatement rencontré l’intérêt du public. Sans doute car de par les thématiques abordées, il parle et répond aux attentes de ses lectrices, principalement des jeunes filles et des femmes adultes.
L’histoire est centrée sur le personnage de Mina, une lycéenne mais aussi idol, qui a décidé d’arrêter sa carrière après avoir été agressée par un fan. Suite à cette agression, elle refuse désormais de porter la mini-jupe obligatoire de l’uniforme scolaire féminin et l’a troquée contre un pantalon. En s’appuyant sur des faits réels qu’on identifie aisément, l’auteur entend dénoncer les stéréotypes sexistes de la société japonaise. Dans sa ligne de mire aussi, le harcèlement sexuel vécu quotidiennement par de nombreuses jeunes Japonaises qui n’ont d’autre choix que de le subir en silence au risque de voir la faute reportée sur elles si jamais elles osaient dénoncer les faits.
Si la vague #Metoo n’avait pas déferlé au Japon de la même manière qu’en Occident où les réseaux sociaux (notamment Twitter) furent submergés de témoignages, le succès de ce manga montre que la lutte contre le sexisme y a tout de même pris racine sous des formes différentes, peut-être plus adaptées à la culture d’un pays où les individus ne se mettent que rarement en avant pour privilégier le bien-être du groupe. Une construction sociale qui commence à trembler sur ses bases ?
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S. Barret
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Sources : courrierinternational.com / lemonde.fr /
Source image en-tête : flickr /