Pan important de la culture “otaku” au Japon, le VTubing (ou Youtubeur virtuel), cette forme de streaming en live où l’utilisateur est représenté par un avatar, a explosé il y a 6 ans et compte aujourd’hui quelque 16 000 utilisateurs actifs dans le monde. Si cette technique de live streaming gagne du terrain, elle reste pour beaucoup une sphère d’Internet encore bien méconnue. Mr Japanization à rencontré Rurika Asatsuki, « une » VTubeuse japonaise qui existe sans vraiment exister…
Une princesse du XIXe siècle en live sur YouTube
Alors que la caméra termine de charger, c’est un drôle de visage qui apparaît à la webcam.
Celui d’une jeune fille japonaise au teint d’ivoire. Les joues rosées et le sourire radieux, elle arbore de longs cheveux roses tressés en deux nattes qui encadrent son visage et porte une robe bouffante tout droit sortie du placard d’une noble du XIXème siècle. “Hi, nice to meet you !”. Derrière cette princesse d’animé, la voix d’une vraie femme adulte, de celle que l’on pourrait croiser tous les jours. Rurika Asatsuki est VTubeuse. Une Japonaise comme tant d’autres au quotidien qui, sur YouTube, est une princesse de 17 ans.
Rurika commence le VTubing il y a deux ans. Aujourd’hui, sa chaîne YouTube compte plus de 3,34K abonnés, une petite sommité puisque la plupart des VTubeurs n’arrivent même pas à atteindre le millier d’abonnés. Mais ses débuts se font un peu par hasard : “C’est un ami qui m’a conseillé de me lancer parce que j’avais une voix agréable et que je suis quelqu’un de jovial. Au départ, je n’y connaissais vraiment rien. D’ailleurs, je ne comprenais même pas pourquoi certaines personnes adoraient en regarder d’autres jouer”.
Pour son avatar – pierre angulaire du Vtubing puisque c’est par eux que les streamers sont représentés – Rurika dessine un personnage qui lui correspond en tout point. Elle sera une princesse d’animé au look victorien : “Elle ressemble un peu à une jeune femme que l’on pourrait croiser dans un café chic parce que j’ai une licence dans l’art de servir le thé”, décrypte la streameuse.
Pour l’aspect manga/animé de son avatar, pas de question à se poser : “le Vtubing est vraiment imprégné de la culture “otaku” et des animés, je ne me suis même pas posée la question de faire un avatar dans un autre style”.
Une fois son avatar paramétré, c’est un peu hésitante que Rurika lance son premier stream devant des inconnus. Et là, c’est la révélation !
Le Vtubing pour s’émanciper en toute sécurité
Rurika le dit haut et fort : le Vtubing l’a aidé à vaincre sa timidité : “Avant de commencer le streaming, j’étais nerveuse à l’idée de parler aux gens. Maintenant, ça va beaucoup mieux”.
Pouvoir tenir un ‘live’ plusieurs fois par semaine devant des milliers de personnes tout en conservant une certaine intimité est précieux et beaucoup d’adeptes japonais du Vtubing s’y attellent pour combattre des problèmes d’anxiété ou de stress.
“Être une princesse sans réel corps ou visage, c’est très pratique. Se montrer sur Internet, c’est comme un tatouage digital, ça reste a vie !”.
Pour les streameuses en particulier, être derrière un avatar permet de se préserver de paroles sexistes, de commentaires sur le physique ou autres remarques violentes comme celles qu’a récemment dénoncé la streameuse française Maghla. “Beaucoup d’amies VTubeuses me parlent de commentaires terribles qu’elles reçoivent. Certains harceleurs s’en prennent plus facilement à nous, car il est facile pour eux d’insulter un personnage animé… Ils oublient qu’il y a de réelles personnes derrière les avatars”, explique la jeune femme qui affirme n’avoir jamais été victime de telles paroles. 99 % de son audience est masculine.
C’est pourquoi elle réfléchit d’ailleurs à montrer, un jour, son vrai visage, mais ce n’est, pour l’instant, pas sa priorité, ni celle de ces viewers. “Beaucoup de nos fans sont là pour voir un personnage, un avatar qui n’existe pas vraiment. C’est vraiment ça, la culture VTubing. Quand ils voient ma princesse, ils me voient moi. Beaucoup ne veulent interagir qu’avec l’avatar et voir la personne qui est derrière ne les intéresse pas tant que ça”.
Une culture de niche et une industrie lucrative
Finalement, la seule chose que ses abonnés connaissent de Rurika Asatsuki, c’est sa personnalité et sa voix. Alors que beaucoup de VTubeurs se plaisent à faire croire qu’aucun humain n’est aux commandes, Rurika n’hésite pas à laisser s’exprimer toute sa personnalité : “Pour moi, le VTubing permet de divertir, mais c’est surtout un moyen de partager du temps avec de nouvelles personnes et d’exprimer mon caractère”.
Ainsi, sur sa chaîne, les discussions en anglais et en live sur Zelda succèdent aux soirées quiz et autres jeux d’alcool. C’est cela qui plaît tant à son audience japonaise – mais pas que – puisque la streameuse est suivie depuis la France, les États-Unis ou encore en Indonésie et aux Philippines. Elle est également présente sur Twitter.
Une réussite dont elle se réjouit : “Je ne réalise toujours pas qu’autant de personnes puissent me suivre”. Mais malgré son succès, et si elle en rêve, Rurika ne vit pas encore de ses streams. Pourtant, certaines des plus grosses chaînes de Vtubing permettent à leur propriétaire de gagner plusieurs millions d’euros par an.
Aujourd’hui, le Vtubing se fraye de plus en plus une place dans la culture web (Netflix a créé son propre avatar en 2021 pour faire la promotion de ses séries japonaises) mais il reste une culture de niche : “Je pense que 60 à 70% de mes amis en dehors du VTubing ne comprennent pas ce que je fais” explique la streameuse.
La popularité de la princesse Rurika Asatsuki ne cesse pourtant de grandir. En octobre, elle a été interviewée par Vtuber Mode, magazine référence dans ce petit monde virtuel au Japon et son avatar a même obtenu un rôle dans Spirit Master Tape 2, un drama d’horreur sur Amazon Prime. À quand une carrière de VTuber pour Poulpy ?
Léa Gorius
Source de l’image d’en-tête : twitter