« Le tofu ? ça n’a pas de goût ! » , « C’est encore un truc de végan ça? » , « Le tofu c’est fade, moi je préfère un bon steak ! » Voilà le discours réducteur et convenu que j’entendais (et entends toujours) en France quand j’évoquais le tofu. Dans mon pays, au Japon, ce dérivé du soja est un aliment ancestral et inévitable. On le trouve dans tous les restaurants, dans tous les magasins, sous toutes les formes et les goûts. Il ne viendrait à l’idée de personne de critiquer le tofu pas plus que les sushis ou le pain. D’où vient cette étroitesse d’esprit en occident concernant cet alimenter pourtant hyper-protéiné, bon pour la santé et très écologique ? Aujourd’hui, comme la majorité des japonais, je ne saurais plus me passer du tofu. Voici pourquoi vous devriez vous aussi songer à en manger, comme plus d’un milliard de personnes sur terre !
Oui, j’assume, j’aime le tofu ! Et le dire ne devrait rien avoir de honteux. Plus d’un milliard d’humains en mangent sur terre. Il s’agit d’un des aliments les plus courants dans le monde. Pourtant, en France, le sujet reste frappé de jugements arbitraires, voire même d’une réaction identitaire. Cet « amour » du tofu ne m’est pas venu par hasard. Comme tout occidental moyen, avant de mettre les pieds en Asie, j’avais une image tronquée du tofu. En occident, il est souvent présenté comme un substitut à la viande, un « truc de vegan » ou encore un aliment fade et sans intérêts. Je l’avoue, je le pensais aussi. Victime de mon ethnocentrisme, je ne réalisais pas à quel point j’étais dans le faux, jusqu’à ce que je m’ouvre à d’autres réalités. Aujourd’hui, je suis fatigué d’entendre ces éternels stéréotypes qui entourent cet aliment écologique.
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« Ton tofu tu cuisineras »
Première règle, merci captain obvious : le tofu doit se cuisiner ! (ne rigolez pas, ce n’est pas évident pour tout le monde).
Affirmer que le tofu est fade et sans goût, c’est un peu comme si un étranger visitant la France voulait manger des pâtes fraîches, sans sauce, ni sel, ni beurre, ni assaisonnement et se plaignait ensuite du goût. S’il nous semble infiniment logique de manger une pizza avec plus que de la pâte vierge ou de beurrer au minimum notre tartine, il en va de même avec le tofu : c’est un aliment de base à cuisiner, accompagner, assaisonner à l’envie.
Ainsi, on comprend surtout que le tofu n’étant pas un aliment culturel en occident, c’est notre incapacité à le cuisiner qui génère ces jugements et rejets. Au Asie, on peut trouver naturellement du tofu pré-cuisiné en magasin ou dans les échoppes. Certains le mangent nature, mais généralement on y ajoute un peu de sauce soja.
Il n’existe pas « un type de tofu » mais des dizaines
Avant d’aborder les manières de cuisiner le tofu, il est intéressant de se pencher sur la constitution même de celui-ci. À la base, le tofu est un fromage de soja issu du caillage du lait de soja. Base de l’alimentation asiatique, il est le plus souvent présenté sous forme d’une pâte blanche et molle. Mais voilà, il existe plusieurs possibilités dans la manière de concevoir du tofu ! Ainsi, on ne peut pas se forger un avis en goûtant un seul type de tofu.
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Le tofu de base, carré et blanc, aura un goût, une texture, une dureté totalement différente d’une technique de fabrication à l’autre (choix du coagulant, qualité du soja, temps,..) et donc d’une marque à l’autre. Il est courant par exemple que le tofu chinois soit plus dur et résistant, se rapprochant parfois même d’une texture de viande hachée ferme qu’il sera possible de mâcher ou découper. Les japonais eux préfèrent généralement le tofu soyeux qui fond en bouche. À l’image de leur culture, ce tofu est plus léger, fin, délicat, nécessite une grande dextérité pour l’attraper avec des baguettes.
Avant même de penser à le cuisiner, il faut donc admettre qu’il existe donc de nombreux tofus différents, avec plus ou moins de goûts, de textures, de formes. Au Japon, un rayon complet lui est généralement consacré en supermarché. Aliment comme les autres, on le trouve séché, fumé, en fines feuilles ou en blocs traditionnels. Il peut être poilu, soyeux, moelleux, fondant, consistant, précuit ou encore mélangé à des herbes. Il prendra ainsi d’autres nominations. Bref, les possibilités sont infinies et on n’est jamais à l’abri d’une surprise en matière de goût. Si vous prétendez que vous avez déjà goûté du tofu sans aimer ça, souvenez-vous que ce n’était qu’un seul type de tofu, au même titre qu’un fromage n’en est pas un autre.
Le tofu, l’ami du lunch rapide
Vient donc le moment de cuisiner notre tofu. Et là encore, une multitude de possibilités s’offre à nous. Étant techniquement un fromage (sans vraiment en être un gustativement parlant), les japonais vont souvent le manger froid avec un peu de sauce soja et un accompagnement minimaliste. Pour nous, il est devenu courant de le manger frais (froid ou réchauffé au four) en accompagnement d’un rāmen ou dans une soupe pour lui donner du goût. S’il existe de nombreux tofus précuits ou grillés en magasin, il est tout aussi courant de repasser des tranches de tofu à la poêle avec du beurre et de l’ail. Par ailleurs, le tofu a la capacité d’absorber les arômes des aliments qui l’entourent ce qui en fait une option de choix lors d’un shabu-shabu (une variante japonaise de la fondue chinoise, proche du sukiyaki). Enfin, il est parfait en dés pour la salade.
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De part sa facilité de préparation et son très faible coût (on trouve 200 grammes de tofu à partir d’un euro à peine), le tofu devient rapidement un incontournable des lunch japonais au même titre que le soba ou, pour les plus courageux, le nattō (haricots de soja fermentés). De plus, il a tendance à bien caler l’estomac et bloquer la sensation de faim. Mais le tofu peut également intervenir dans des préparations plus longues et complexes. Le màpó dòufǔ par exemple, un plat chinois très apprécié au Japon, ressemble à s’y méprendre à une « sauce tomate » où le tofu accompagnerait la viande. Car, pour les asiatiques, le tofu n’est pas réservé qu’aux végétariens.
Par ailleurs, de part sa capacité à absorber le goût, le tofu peut également accompagner un grand nombre de plats occidentaux. Le web regorge aujourd’hui de recettes des plus rapides aux plus complexes. Il suffit d’oser se lancer et faire des tests. Le tofu peut enfin se déguster à travers des aliments transformés comme les tofu-burgers. Là encore c’est l’assaisonnement, la qualité et la préparation qui font le goût. Dans le commerce, il est possible de tomber sur du « bon tofu » biologiques comme du moins bon, industriel et hyper-transformé… de nouveau, comme pour le pain ou les pizzas !
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Bon pour la santé et l’environnement
Loin d’être végan mais faisant des efforts pour le devenir, comme un nombre grandissant de gens, j’ai parfaitement conscience des limites écologiques et des impacts sanitaires catastrophiques de l’industrie de la viande. Au Japon, cette industrie est en plein boom et les premières conséquences se font ressentir sur leur santé jusqu’ici très bonne. Plutôt que de s’enfermer dans des réactions bornées et manichéennes, j’ai fait le choix assumé et mesuré de réguler ma consommation de viande vers le bas (flexitarisme) en vue, peut-être un jour, de m’en passer totalement. Sans en faire un prosélytisme, je pense que c’est le choix concret le plus mature et respectueux du vivant à faire.
En tombant amoureux du tofu d’abord par hasard, j’ai réalisé que, par effet de vases communicants, je mangeais naturellement beaucoup moins de viande sans en ressentir le manque. Mon mode alimentaire avait simplement pris une autre direction. En s’adaptant à l’alimentation asiatique traditionnelle, on comprend rapidement pourquoi les japonais mangent beaucoup moins de viande, sont moins gros et en meilleur santé. Il n’y a pas de centralité de la viande dans l’assiette des asiatiques. C’est la norme. Notre rapport même à la nourriture évolue et l’idée de mettre un gros bout de steak au centre de son plat avec un peu de légumes devient peu à peu incongrue et semble provenir d’un autre âge.
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Le tofu, la hantise des industriels
En matière de santé, outre le fait de freiner l’apport en viande rouge, classé par l’OMS dans la liste des cancérogènes, le tofu est une source importante de protéines qui a l’avantage d’avoir une faible teneur en acides gras saturés et, surtout, il ne contient pas de mauvais cholestérol. Le tofu est ainsi recommandé par les nutritionnistes pour prévenir les maladies cardio-vasculaires ainsi que certains cancers. Avec peu de calories mais beaucoup de calcium, il est aussi riche en fer, prévenant les risques d’anémie et la fatigue qui en découle. Pour les femmes, le tofu contient des isoflavones qui peuvent soulager les symptômes de la ménopause. Et, non, contrairement à ce qu’affirment nombre de blogs réactionnaires et autres fakes, le tofu n’est PAS dangereux. Le soja sous différentes formes est consommé sans inconvénient depuis plus de 9000 ans par des milliards d’humain. Cette peur s’est surtout développée une fois encore en occident en réaction épidermique à l’arrivée sur tofu sur le marché.
Si certains sites peu crédibles continuent de s’attaquer au tofu en lui inventant une fausse dangerosité, nutritionnistes et scientifiques s’accordent à dire qu’il s’agit de rumeurs infondées, voire de mensonges volontaires colportés par quelques industries qui craignent la montée en flèche des alternatives alimentaires non-carnées. En 2015 par exemple, un texte alarmiste intitulé « mensonges et de contre-vérités scientifiques, le texte amateur a été démonté par Le Pharmachien ainsi que des nutritionnistes qui s’alarment de la multiplication de sites de pseudo « experts-santé » et leurs allégations riches en buzz et surtout en revenus publicitaires… Des fakes qui font bien rigoler les japonais dont la longévité et le nombre de centenaires battent des records.
« publié sur www.sante-nutrition.org par un anonyme a été partagé des dizaines de milliers de fois. Truffé deOn trouve même de la glace au tofu
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Une rumeur commune voudrait aussi que le tofu soit issu du soja OGM. Malheureusement, le soja OGM produit à échelle industrielle sert principalement à alimenter les élevages de l’industrie de la viande… Une très large partie de la production végétale industrielle (plus de 70% des surfaces) sert aujourd’hui à nourrir les animaux d’élevage. Le soja servant à la fabrication de tofu est très souvent d’origine domestique. Mais la confusion est nécessairement courante. Enfin, en matière d’émissions de CO², le tofu s’en sort avec un bilan très positif, près de 10 fois inférieur à celui d’une même quantité de viande.
Une chose est certaine, l’alimentation asiatique (non modernisée) est beaucoup plus saine à la fois pour la santé humaine mais aussi pour la santé de l’environnement. On ne parle évidemment pas ici des Burger Kings qui fleurissent dans Tokyo depuis quelques années, ou de l’américanisation galopante de la culture nippone, mais bien d’une logique culturelle qui reste ancrée dans les habitudes des japonais avec le risque de se perdre face à la mondialisation galopante : davantage d’aliments d’origine végétale dans l’assiette, pourtant, sans jamais être déçu d’une nouvelle expérience gustative. Bien au contraire, les restaurants japonais sont réputés pour la délicatesse de leur cuisine, pouvant offrir un goût absolument exquis en utilisant les atouts du monde végétal mais aussi marin (ce qui ne manque pas d’alimenter d’autres débats).
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Crise et survie du secteur
Notons enfin que le « tofu » est en crise même au Japon. Alors qu’on comptait 50 000 maisons de production artisanale de tofu dans les années 80, il n’y en aurait plus de 14 000 aujourd’hui. À peine 1% de cette industrie est biologique. En France, plusieurs producteurs de tofu artisanal ont vu le jour, dont Akira Suzuki, installé depuis 2004 dans les Yvelines. Citons également L’Atelier Tofu au cœur du Luberon ou encore TOUTOFU et son tofu bio-local basé à Paris. La survie de ce savoir-faire dont les implications sanitaires et environnementales ne sont plus à démontrer dépendra donc de la présence d’esprit des rares consommateurs les plus engagés.
En guise de conclusion, on peut dire que tous les stéréotypes qui entourent la consommation de tofu ne survivent pas bien longtemps à l’épreuve des faits et de l’expérience. Une fois sa cuisine maîtrisée, et ses propres peurs surpassées, c’est un océan de possibilités alimentaires qui s’ouvre à nous. Mais surpasser ses préjugés culturels n’est pas toujours évident. Si vous n’y avez jamais songé, c’est peut-être le bon moment 😉 Itadakimasu / いただきます !
Sources : tofuhong.com / maigrirsansfaim.net